mardi 29 avril 2008

CONTRIBUTION L'ADIEU AU NEGRE FONDAMENTAL


Homme de lettres, membre de l’ADELF (Association des écrivains de langue française), Ancien Premier Ministre du Togo, Ancien secrétaire général de l’OUA.
Etrange que l'Afrique soit si peu représentée aux obsèques d'Aimé Césaire, le nègre fondamental comme le nommait André Breton, le Pape du surréalisme. Dans la bouche de l'auteur de "NADJA", il s'agissait de la qualification claire d'un être de feu qui portait au front en lettres incandescentes son identité foncière, son identité de nègre. Etrange cette absence de l'Afrique car Césaire, l'antillais a fait plus pour le nègre d'Afrique que des nègres d'Afrique eux-mêmes. Il a poussé "le grand cri nègre" qui a fait trembler les assises de la terre, réveillant nos consciences d'êtres chosifiés, avilis, humiliés, exclus de l'ordre international, en lisière du monde et pour tout dire si peu au Monde. Il le fit, certes, avec d'autres nègres : Léopold Sedar Senghor, le sénégalais dont l'œuvre sertie de prières précieuses ruisselle dans nos mémoires, Léon Gontran Damas le Guyanais, l'un des concepteurs du terme "négritude". Des trois hommes qui avaient à cœur de réhabiliter l'homme noir, le plus volcanique, le plus tellurique, le plus dérangeant, fut sans conteste Aimé Césaire. Ce qui explique peut-être l'espèce d'ostracisme dont il fut longtemps victime dans l'univers de l'écrit : Il méritait mille fois d'être reçu à l'Académie Française. Il fut fâcheusement oublié. Il méritait mille fois le prix Nobel de Littérature. Il ne l'a jamais obtenu. L'hommage retentissant qui lui est fait aujourd'hui vient à retardement, réparer l'énorme injustice dont il fut la victime silencieuse. C'est vrai qu'il était trop simple, trop modeste pour réclamer quoi que ce soit pour lui-même.
Autant le verbe de Senghor est lisse, harmonieux et délicat, autant celui de Césaire est explosif, éruptif et décapant…
Qu'on relise le "Cahier d'un retour au pays natal", le chef d'œuvre inégalé, "le Discours sur le colonialisme", "Et les chiens se taisaient", la pièce de Césaire que personnellement je préfère et l'on comprend pourquoi, plus que quiconque, Césaire aura eu une influence profonde et indélébile sur les africains et particulièrement ceux de la génération des indépendances.
Son influence sur notre manière d'être, de penser et d'écrire est considérable.
Il a démonté le mécanisme du colonialisme, montrant que le colonisateur qui prétend civiliser l'autre est lui-même guetté par "l'ensauvagement", que le nègre qu'on civilise est victime de chosification. Et surtout qu'on ne vienne pas lui parler d'hôpitaux bâtis, des routes construites et d'écoles ouvertes, car si Césaire ne méconnaît pas la valeur de ces "investissements", en face, il y a "des millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme". Et il ose, il ose le jeune antillais car il affirme que si Hitler est l'objet d'une telle abomination dans la mémoire collective de l'Occident, c'est qu'il s'est permis d'infliger à des Blancs ce qui n'était réservé qu'aux nègres.
Ce petit opuscule d'une centaine de pages est une véritable bombe qui a fait exploser les parois compactées de nos consciences nous ouvrant enfin les yeux sur les réalités du Monde.
On comprend dès lors qu'il refuse de recevoir le Ministre français de l'Intérieur (M. Sarkozy à l'époque) venu l'entretenir de la fameuse loi sur les bienfaits de la colonisation.
Césaire est le rebelle… le rebelle de… "Et les chiens se taisaient". Le révolté qui se dresse, flagrant comme un baobab dans la savane, pour dire dans le "Cahier d'un retour au pays natal"
Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé pour ceux qui n'ont jamais rien exploré…mais ils s'abandonnent, saisis, à l'essence de toute chose ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose… véritablement les fils aînés du monde poreux à tous les souffles du monde"
Ce rebelle, ce révolté est pourtant l'homme de l'universel, de la "faim universelle, de la soif universelle" ; ennemi de toute haine, il l'affirme et le précise :
"Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que haine"
En effet, sa "négritude n'est ni une tour ni une cathédrale"
Son objectif est de mettre la négraille debout
"Et elle est debout la négraille la négraille assise inattendument debout… debout et libre !"
On n'en finira pas de citer Césaire.
Son théâtre est un théâtre de combat. "Et les chiens se taisaient" est un chef d'œuvre absolu : un chef-d'œuvre de lyrisme où on voit le leader noir, coincé "entre l'impossible et l'absolu", un chef-d'œuvre d'intensité dramatique. "La tragédie du Roi Christophe" est de la même veine… Comment le visionnaire incompris peut-il sortir ses concitoyens de leur torpeur pour les conduire à la lumière ? Peut-on éviter les pièges du volontarisme forcené, de l'orgueil effréné qui vous conduisent à des actes génocidaires et suicidaires ? Cette pièce créée en 1964, pose déjà le problème de la gouvernance moderne.
"Une saison au Congo" clôt la trilogie : le drame de Lumumba est ici étalé, il est le rebelle de "Et les chiens se taisaient" l'incompris de "la Tragédie du Roi Christophe". Pièce longtemps interdite en Afrique et pour cause ! "Une Tempête", adaptée de Shakespeare évoque la question noire aux Etats-Unis. Comme un drapeau qui claque au vent elle commence par un grand cri : UHURU (Indépendance en Swahili, nous dirions ABLODE !) quête incontournable de la liberté.
Poète, dramaturge, penseur politique, Césaire est difficile à cerner en quelques lignes…
Le poète se forgera "les armes miraculeuses" en 1956, œuvre peu facile d'accès, foisonnant de symboles, à l'écriture surréaliste.
Il tracera les épures de "Cadastre" (1961) qui reprend des poèmes antérieurs "Soleil, cou coupé" (1948) et surtout "Corps perdu" (1949). C'est ce dernier recueil qui commence par ces vers fameux :
"Moi qui Krakatoa
moi qui tout mieux que mousson
moi qui poitrine ouverte
moi qui laïlape
moi qui bêle mieux que cloaque
mois qui hors de gamme
moi qui Zambèze ou frénétique ou rhombe ou Cannibale
Je voudrais être de plus en plus humble et plus bas
toujours plus grave sans vertige ni vestige
jusqu'à me perdre tomber
dans la vivante semoule d'une terre bien ouverte"
L'ensemble du poème est tout simplement fascinant.
Le Poète donnera "Ferrements" en 1960 et "Moi, Laminaire" en 1982 : le révolté laisse entrevoir les portes de l'espérance, les Ferrements de la servitude évolueront vers le Ferment de la vie future.
"Moi, Laminaire" montrera un poète plus apaisé ; assagi ?
Le penseur politique n'épuise pas son fiel dans "le Discours sur le colonialisme". Il écrira "Toussaint Louverture", toujours hanté par l'expérience coloniale en Haïti (1962). Six ans auparavant Aimé Césaire inscrit au Parti Communiste français depuis 1945, démissionne avec fracas du Parti suite aux évènements de Budapest (1956). Il écrivit une lettre demeurée fameuse au Secrétaire Général du PCF : "Lettre à Maurice Thorez", la conclusion de cet écrit mérite d'être citée.
"L'heure est venue d'abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l'imposture, à la tyrannie, au crime. C'est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d'assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de conscience ou à la casuistique des autres. L'heure de nous-mêmes a sonné".
Et voilà tout Césaire. Voilà tout l'homme. Cet antillais, ce Martiniquais né à Basse-Pointe en 1913 (le 26 Juin) fera de brillantes études primaires et secondaires chez lui avant de bénéficier d'une bourse pour aller étudier en France. Il entre au Lycée Louis le Grand, s'inscrit dans les redoutables classes préparatoires au concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure qu'il intègre en 1935, devient l'ami de Senghor qui l'appelle mon "bizut". Il se marie à Paris à une martiniquaise, retourne enseigner en Martinique, séjourne en Haïti et publie à partir de 1945 le "Cahier d'un retour au pays natal" et la suite de son oeuvre. Il est élu Maire de Fort-de-France et le restera 50 ans.
Elu député en 1945, il rompt avec le Parti Communiste en 1956 et crée son propre parti le P.P.M. (le Parti Progressiste Martiniquais).
Il visite la Guinée indépendante en 1960, acclame Sékou Touré, le héros de l'indépendance ; participe au Premier Festival des arts nègres à Dakar en 1966, reçoit Léopold Sédar Senghor en Martinique en 1976 (il prononce à cette occasion un discours d'accueil mémorable). Il met fin à son mandat de député en 1993 et à son mandat de Maire en 2001. A l'occasion de son 90ème anniversaire, il reçoit les hommages du monde entier. Il meurt le 17 Avril 2008 à l'âge de 94 ans.
L'homme est d'une totale simplicité et d'une extraordinaire affabilité doublée d'un sens de l'humour peu banal. Mais il savait être caustique et décapant. L'homme politique a toujours tenu sa ligne : homme de gauche, il le demeurera jusqu'au bout. Tous les chefs d'Etat français sont passés le voir à Fort-de-France, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy. Il les a reçus avec amitié mais fermeté. Parce qu'Apôtre de la départementalisation des Antilles, on le critiquera sans proposer de véritables solutions de rechange.
Dans l'espace francophone, il est sans doute le plus grand poète du 20ème et du 21ème siècle, peut-être avec Saint-John Perse un autre originaire des Iles. Il est un magicien du verbe et des mots rares qui brillent comme des diamants, un orfèvre sans pareil de la langue française. On discutera à l'envi, des raisons qui l'ont tenu éloigné de l'Académie française : et on se posera la question suivante : Saint-John Perse a obtenu le prix Nobel de Littérature, pourquoi pas Aimé Césaire ? En tout cas, Nobel ou pas Nobel, Césaire aura obtenu le droit d'être une Icône par son combat pour la liberté de l'homme noir.
Il tient compagnie à Nelson Mandela. C'est pour cela que l'Afrique aurait dû être massivement présente à ses obsèques.

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