vendredi 18 avril 2008

« ...La bouche des malheurs qui n’ont point de bouche* » -

Aimé Césaire
« ...La bouche des malheurs qui n’ont point de bouche* »

Les Martiniquais l’appellent affectueusement « Papa Césaire ». Son nom d’état civil est Aimé Fernand David Césaire. Il est né le 26 juin 1913 dans une famille de sept enfants, Basse Pointe, commune du Nord-Est de la Martinique, bordée par l’océan Atlantique dont la « lèche hystérique » viendra plus tard rythmer ses poèmes. Le père est un petit fonctionnaire, la mère couturière.



SON grand-père était le premier enseignant noir en Martinique et sa grand-mère, exception parmi les femmes de sa génération, savait lire et à écrire et l’apprit très tôt à ses petits-enfants.
De 1919 à 1924 il fréquente l’école primaire de Basse-Pointe, où son père est contrôleur des contributions, puis obtient une bourse pour le lycée Victor Schoelcher à Fort-de-France.



Ayant réussi en 1935 le concours d’entrée à l’École normale supérieure, Césaire passe l’été en Dalmatie chez son ami Petar Guberina.

Elève brillant, il obtient une bourse du gouvernement français pour poursuivre ses études supérieures en classe d’hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand. C’est dans les couloirs de ce grand lycée parisien que, dès son arrivée, en septembre 1931, le jeune Césaire rencontre Léopold Sédar Senghor, son aîné de quelques années, qui le prend sous son aile protectrice. Ils nouent dès ce jour une amitié qui durera jusqu’à la mort du grand Sénégalais, le 20 décembre 2001, à l’âge de 95 ans.

Prise de conscience

Au contact des jeunes Africains étudiants à Paris, Aimé Césaire et son ami guyanais Léon Gontran Damas, qu’il connaît depuis le Lycée Schœlcher, découvrent progressivement une part refoulée de l’identité martiniquaise, la composante africaine dont ils prennent progressivement conscience au fur et à mesure qu’émerge une conscience forte de la situation coloniale. En 1932, des étudiants antillais communistes et surréalistes créent la revue Légitime Défense qui révèle à Césaire, Damas et Senghor des préoccupations communes. En septembre 1934, tous trois, avec d’autres étudiants antillo-guyanais et africains (comme Birago Diop), fondent L’Étudiant noir. C’est dans les pages de cette revue qu’apparaîtra pour la première fois le terme de “Négritude”. Ce concept, forgé par Aimé Césaire en réaction à l’oppression culturelle du système colonial français, vise à rejeter d’une part le projet français d’assimilation culturelle et d’autre part la dévalorisation de l’Afrique et de sa culture, des références que le jeune auteur et ses camarades mettent à l’honneur. Construit contre le projet colonial français, le projet de la négritude est plus culturel que politique. Il s’agit, au-delà d’une vision partisane et raciale du monde, d’un humanisme actif et concret, à destination des tous les opprimés de la planète. Césaire déclare en effet : « Je suis de la race de ceux qu’on opprime ».


Ayant réussi en 1935 le concours d’entrée à l’École normale supérieure, Césaire passe l’été en Dalmatie chez son ami Petar Guberina - un linguiste croate rencontré à la Sorbonne - et y commence la rédaction de son chef d’œuvre Cahier d’un retour au pays natal, qu’il achèvera en 1938. Il lit en 1936 la traduction de l’Histoire de la civilisation africaine de Frobenius. En 1938, il sort de l’Ecole normale supérieure avec un mémoire, “Le Thème du Sud dans la littérature négro-américaine des USA”. Marié en 1937 à une étudiante martiniquaise, Suzanne Roussi, Aimé Césaire, agrégé de lettres, rentre en Martinique en 1939, pour enseigner, tout comme son épouse, au lycée Schœlcher.

Contre le “doudouisme” de carte postale

La situation martiniquaise à la fin des années 30 est celle d’un pays en proie à une aliénation culturelle profonde, les élites privilégiant avant tout les références arrivant de la France, métropole coloniale. En matière de littérature, les rares ouvrages martiniquais de l’époque vont jusqu’à revêtir un exotisme de bon aloi, pastichant le regard extérieur manifeste dans les quelques livres français mentionnant la Martinique. Ce doudouisme allait nettement alimenter les clichés frappant la population martiniquaise.
En réaction contre cette aliénation culturelle, le couple Césaire, épaulé par d’autres intellectuels martiniquais comme René Ménil, Georges Gratiant et Aristide Maugée, fonde en 1941 la Revue Tropiques, dont le projet est la réappropriation par les Martiniquais de leur patrimoine culturel.

Alors que la Seconde Guerre mondiale provoque le blocus de la Martinique par les États-Unis (qui ne font pas confiance au régime de collaboration de Vichy), les conditions de vie sur place se dégradent. Le régime instauré par l’Amiral Robert, envoyé spécial du gouvernement de Vichy, est raciste et répressif. Dans les communes, les élus de couleur sont déposés et remplacés par des représentants des békés (descendants des colons). Dans ce contexte, la censure vise directement la revue Tropiques, qui paraîtra, avec difficulté, jusqu’en 1943.

« Nègre fondamental »

Le conflit mondial marque également le passage en Martinique du poète surréaliste André Breton (qui relate ses péripéties dans un bref ouvrage, Martinique, charmeuse de serpents). Breton découvre la poésie de Césaire à travers le Cahier d’un retour au pays natal et le rencontre en 1941. En 1943 il rédige la préface de l’édition bilingue du Cahier d’un retour au pays natal, publiée dans la revue “Fontaine” (n° 35) dirigée par Max-Pol Fouchet et en 1944 celle du recueil Les armes miraculeuses, qui marque le ralliement de Césaire au surréalisme. Surnommé par André Breton "le nègre fondamental", Aimé Césaire influencera des auteurs tels que Frantz Fanon, Edouard Glissant (qui ont été ses élèves au lycée Schoelcher), le guadeloupéen Daniel Maximin et bien d’autres. Sa pensée et sa poésie ont également fortement marqué les intellectuels africains et noirs américains en lutte contre la colonisation et l’acculturation.

Invité à Port-au-Prince par le docteur Mabille, attaché culturel de l’ambassade de France, Aimé Césaire passera six mois en Haïti, donnant une série de conférences dont le retentissement sur les milieux intellectuels haïtiens est formidable. Ce séjour haïtien aura une forte empreinte sur l’œuvre d’Aimé Césaire, qui écrira un essai historique sur Toussaint Louverture et consacrera une pièce de théâtre au roi Henri Christophe, héros de l’indépendance.

Discours sur le colonialisme

Partageant sa vie entre Fort-de-France et Paris, Césaire fonde, dans la capitale française, la revue Présence Africaine, aux côtés du sénégalais Alioune Diop, et des guadeloupéens Paul Niger et Guy Tirolien. Cette revue deviendra ensuite une maison d’édition qui publiera plus tard, entre autres, les travaux de l’égyptologue Cheikh Anta Diop, et les romans et nouvelles de Joseph Zobel.
En 1950, c’est dans la revue Présence Africaine que sera publié pour la première fois le Discours sur le colonialisme, charge virulente et analyse implacable de l’idéologie colonialiste européenne, que Césaire compare avec audace au nazisme auquel l’Europe vient d’échapper. Les grands penseurs et hommes politiques français sont convoqués dans ce texte par l’auteur qui met à nu les origines du racisme et du colonialisme européen.

Parallèlement à une activité politique continue (voir par ailleurs), Aimé Césaire continue son œuvre littéraire et publie plusieurs recueils de poésie, toujours marqués au coin du surréalisme (Soleil Cou Coupé en 1948, Corps perdu en 1950, Ferrements en 1960). À partir de 1956, il s’oriente vers le théâtre. Avec Et les Chiens se taisaient, texte fort, réputé impossible à mettre en scène, il explore les drames de la lutte de décolonisation autour du personnage du Rebelle, esclave qui tue son maître puis tombe victime de la trahison. La Tragédie du Roi Christophe (1963), qui connaît un grand succès dans les capitales européennes, est l’occasion pour lui de revenir à l’expérience haïtienne, en mettant en scène les contradiction et les impasses auxquels sont confrontés les pays décolonisés et leurs dirigeants. Une saison au Congo (1966) met en scène la tragédie de Patrice Lumumba, père de l’indépendance du Congo Belge. Une tempête (1969), inspiré de Shakespeare, explore les catégories de l’identité raciale et les schémas de l’aliénation coloniale. Pensant à l’origine situer l’action de cette adaptation de Shakespeare aux États-Unis, il choisit finalement les Antilles, gardant tout de même le projet de refléter l’expérience noire aux Amériques.
Au total Césaire à publié plus de quatorze œuvres, recueils des poésies, pièces de théâtre et essais. De nombreux colloques et conférences internationales ont été organisés sur son œuvre littéraire qui est universellement connue. Son œuvre a été traduite dans de nombreuses langues : anglais, espagnole, allemand et cœtera.

Avec Alfred Largange
* Cahier d’un retour au pays natal

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