mercredi 23 avril 2008

«Le racisme est une réalité!»


L’immense poète martiniquais, qui vient de s’éteindre à Fort-de-France à l’âge de 94 ans, a prononcé trois fois cette formule dans un grand discours sur le colonialisme.

Le monde de la culture francophone vient de perdre, le 17 avril dernier, de vieillesse et de maladie, un de ses plus grands hommes: Aimé Fernand David Césaire, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (Martinique, «L’Île aux fleurs» ou «La Perle des Antilles» dans les petites Antilles). Son itinéraire est long et double; on le suit dans le domaine de la création littéraire (essentiellement la poésie), marquée indélébilement par le concept de la «négritude» et de son illustration dans les faits, et dans celui de la politique caractérisée par son anticolonialisme courageux et exprimé dans de nombreux écrits et discours. Les «Foyalais», les habitants de Fort-de-France, se souviennent, aujourd’hui, de lui avec respect et émotion de son rôle actif sous les étiquettes Parti communiste puis Parti progressiste martiniquais, car il a été maire (1945-2001) de cette ville française, située dans le département français d’outre-mer de la Martinique et député de la Martinique (1945-1993); il reste pour chacun d’eux, celui qu’ils appellent avec affection «Papa Césaire»। Mais pour le monde, le plus large, c’est-à-dire de l’Afrique dont sont originaires ses aïeux, Aimé Césaire - l’homme et l’oeuvre - appelle à la prise de conscience de la négritude qu’il a découverte et a développé dans ses relations avec cet autre grand africain poète et penseur Léopold Senghor (1906-2001), homme de lettres, député français (1945), premier Président de la République du Sénégal (1960), élu à l’Académie française, en 1983.

Sur Aimé Césaire, homme politique, l’article 3 des statuts du Parti progressiste martiniquais (1958) est un repère assez éclairant: «Le PPM est un parti nationaliste, démocratique et anticolonialiste, inspiré de l’idéal socialiste...il entend dès maintenant, préparer le peuple martiniquais à assumer la responsabilité des décisions sur le plan politique, économique et social, sur le plan culturel, axer ses efforts sur le développement de la personnalité martiniquaise.». Dans son discours, lors du congrès constitutif du PPM, Césaire déclare: «Le Parti Progressiste Martiniquais pourrait proposer la transformation des départements d’outre-mer en régions fédérales. Si nous faisons cela nous aurons réussi à allier notre double souci de rester liés à la France et d’être de bons Martiniquais.» Ses principaux écrits politiques sont: Esclavage et colonisation (1948); Discours sur le colonialisme (1950, rééd. 1955); Discours sur la négritude (1987). Ces écrits ont plusieurs fois relancé le débat sur les problèmes d’actualité relatifs au rôle de la colonisation française. Discours sur le colonialisme est considéré comme un pamphlet anticolonialiste. Aimé Césaire y dénonce avec courage et perspicacité l’oeuvre néfaste de la colonisation française en terre africaine. Il entre dans une grande colère lors de la promulgation de la loi de 23 février 2005 faisant implicitement l’apologie de la colonisation.

Ses principales oeuvres littéraires touchent à la poésie (Cahier d’un retour au pays, 1939, constituant son oeuvre poétique majeure; Les Armes miraculeuses, 1946; Soleil cou coupé, 1947; Corps perdu, 1950; Ferrements, 1960; Cadastre, 1961; Moi, laminaire, 1982; La Poésie, 1994) et au théâtre (Et les chiens se taisaient, 1958; La tragédie du Roi Christophe, 1963; Une Saison au Congo, 1966; Une tempête, d’après La Tempête de W.Shakespeare, adaptation pour un théâtre nègre, 1969).

Nous retenons de toutes ces oeuvres, une ferme volonté de préciser une identité «nègre», une redéfinition nouvelle et moderne qui donne à ce terme un sens positif, très valorisant de la personne humaine de couleur. En effet, Césaire n’a jamais cessé de proclamer «sa forte identité»: «Nègre, je suis, nègre je resterai»; «À liberté, égalité, fraternité, j’ajoute toujours identité»; «Les Européens croient à la civilisation, tandis que nous, nous croyons aux civilisations, au pluriel, et aux cultures». Pour lui, justice et beauté sont une seule et même chose. Et, de plus, il n’a pas de complexe de langue pour s’exprimer; il a pu écrire, sans aucune hésitation: «J’ai plié la langue française à mon bon-vouloir» et d’expliquer: «Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.» En somme, Aimé Césaire a voulu montrer toute sa vie que l’on peut être fier de son identité et prôner son universalité.

Certes, il faut en convenir. Pourtant, s’il a en quelque sorte restauré l’identité de l’homme noir, Aimé Césaire s’est enfermé en gardant sa poésie plus importante que la politique. Il a déclaré que «L’homme de culture doit être un inventeur d’âmes», en conséquence, il a inventé - mais cet homme existait déjà - une certaine tête bien faite ouverte à toutes les tempêtes et à tous les appels des fausses sirènes du néo-colonialisme qui hantent plutôt les contrées africaines dont on a mal analysé les peuples et que, avec d’autres moyens, il va maintenant falloir revoir et corriger! Il faut peut-être se rendre à l’évidence que l’homme Césaire s’est engagé pour lui-même. C’est ce qui semble, en définitive, expliquer sa personnalité au caractère paisible et ses idées sur l’avenir de l’humanité, ses idées, malgré tout, fort modestes dans leurs espérances et dans leurs réalisations immédiates. C’est sans doute pourquoi, chez lui, on souligne son tempérament d’homme mesuré. La France pourrait ouvrir le Panthéon pour l’y accueillir, mais les Martiniquais et tous ses proches disent qu’il ne l’aurait pas voulu.: «Un enfant du pays, reste au pays!» Il est bon de rappeler ici, la mémoire d’un autre grand martiniquais, un penseur très engagé, psychiatre en Algérie où il a transformé la vie des malades et pris la mesure des profonds traumatismes qu’engendre le régime colonial et qui a rejoint les rangs de la lutte de libération nationale, il s’agit bien sûr de Frantz Fanon, né lui aussi à Fort-de-France et dont Aimé Césaire a été le professeur de français au lycée Schoelcher. À le relire (Pour la Révolution africaine; Les Damnés de la terre; L’An V de la révolution algérienne; Peau noire, masques blancs), on trouve incontestablement qu’«il y a quelque chose qui pourrait donner lieu à réflexion». Car l’histoire, quand elle a commencé, elle recommence mais d’une autre façon, et c’est, pourtant, toujours la même histoire: «Racisme et culture», «Vérité première à propos du problème colonial», «Décolonisation et indépendance»,...Frantz Fanon a laissé ce beau et lourd message aux dirigeants des pays libérés du joug colonial: «Si nous voulons répondre à l’attente de nos peuples, il faut chercher ailleurs qu’en Europe.»

Que notre sagesse et surtout notre expérience de ce que nous avons vécu, nous aident à comprendre ce message et à aller vers «ces réserves de foi, ces grands silos de force» dont parlait Aimé Césaire pour retrouver, quant à nous, les vérités essentielles de notre algérianité, seule garante de notre marche ascendante vers l’avenir!...

(*) DISCOURS SUR LE COLONIALISME
de Aimé Césaire
Éditions Présence africaine, Paris, 1955, 58 pages.

Kaddour M´HAMSADJI

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