dimanche 13 avril 2008

Pour Aimé Césaire

Quand il croisait Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire le taquinait : «Toi, tu es né vers 1906 ! » Jeu de mot sur la condition de poète du Sénégalais et l'état civil aléatoire, au début du XXe siècle, en cette colonie française. Le Martiniquais Césaire, lui, est né, c'est sûr, en 1913. Le 26 juin devrait marquer ses 95 ans. Mais des informations « préoccupantes » filtrent du CHU de Fort-de-France, aujourd'hui.


Avant la deuxième guerre mondiale, Césaire avait sympathisé, à Paris, avec un Croate étonnant, Petar Guberina (1913-2005), linguiste acccompli, qui présidera longtemps l'Alliance Française de Zagreb tout en dirigeant le département d'études romanes de la faculté de cette ville. Guberina devait surtout devenir le promoteur d'une méthode dite verbo-tonale, qui vise à faire entendre au sourds la langue grâce à des ultra sons au lieu de leur apprendre le langage des signes, qui entérine leur handicap. Or le futur inventeur de cette méthode fondée sur le volontarisme et l'espoir, fut pour Césaire une sorte d'ange du métissage : il l'invita sur la côte dalmate, dans sa ville natale de Sibenik.



C'était l'été 1935, l'étudiant martiniquais venait de réussir le concours d'entrée à l'École normale supérieure. L'Adriatique et ses îles eurent un tel effet sur Aimé Césaire, qu'il entama sur cette côte son Cahier d'un retour au pays natal, publié confidentiellement en 1939, avant l'édition de 1956, chez Présence Africaine, préfacée par... Petar Guberina.


Ce furent de magnifiques destins qui se croisèrent au Quartier Latin, quand la culture était « hors commerce », quand les librairies de la rue Gay-Lussac existaient encore toutes bel et bien (il n'y a plus aujourd'hui, au n° 30, que celle du Québec pour sauver l'honneur), quand le café où se retrouvaient ces amis des quatre coins du monde, Le Cluny (avec son étage tranquille), n'avait pas été transformé en croissanterie.


À l'heure ou Césaire semble prêt à lever l'ancre, offrons-lui le début de cette Lettre à un poète que lui a dédicacée Senghor, dans le bien nommé, hélas !, Chant d'ombre :

Au Frère aimé et à l'ami, mon salut abrupt et fraternel !

Les goélands noirs, les piroguiers au long cours m'ont fait goûter de tes nouvelles

Mêlées aux épices, aux bruits odorants des Rivières du Sud et des Îles.

Ils m'ont dit ton crédit, l'éminence de ton front et la fleur de tes lèvres subtiles

Qu'ils te font, tes disciples, ruche de silence, une roue de paon

Que jusqu'au lever de la lune, tu tiens leur zèle altéré et haletant.

Est-ce ton parfum de fruits fabuleux ou ton sillage de lumière en plein midi ?

Que de femmes à peau de sapotille dans le harem de ton esprit !

À ce premier recueil de Senghor pourrait répondre l'ultime de Césaire, Moi Laminaire, où celui qui va mourir se définit :

J'habite une blessure sacrée
j'habite des ancêtres imaginaires
j'habite un vouloir obscur
j'habite un long silence
j'habite une soif irrémédiable...



Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?


Antoine Perraud

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