Blog dédie au poète Aimé Césaire notamment à son oeuvre, sa poésie et collectant les articles qui ont été publiés sur ce grand homme martiniquais
mardi 2 octobre 2007
Enfin un dictionnaire du créole martiniquais !
Les Martiniquais en avaient fini presque par en faire un complexe : ils étaient jusqu’à cette année 2007, le seul et unique peuple créolophone de la planète à ne pas disposer d’un dictionnaire pour son créole. Même des créoles parlés par une petite population, comme le marigalantais, ou en voie d’extinction comme le louisianais, en possédaient un et cela, depuis des décennies. Nous avions certes d’excellentes grammaires du créole martiniquais (Jean Bernabé, Robert Damoiseau etc…), de très bonnes études d’anthropologie créole (Gerry et Thierry L’Etang, Raymond Relouzat etc.), d’innombrables travaux sur la littérature créole et, depuis le début des années 70 du siècle dernier, un nombre conséquent de publications poétiques, théâtrales ou romanesques en langue créole, mais pas de dictionnaire.
Eh bien, voici que cet « oubli » est désormais réparé grâce à Raphaël Confiant et aux éditions Ibis Rouge ! Et le résultat est plus qu’impressionnant :
. plus de 1.470 pages en 2 volumes
. près de 20.000 entrées
. environ 15.000 citations d’auteurs créolophones visant à illustrer ces entrées à la manière du dictionnaire Littré.
Ce travail colossal, qui a duré près d’une quinzaine d’années, est le fruit du travail acharné et solitaire d’un seul homme : Raphaël Confiant. On notera d’emblée le caractère insolite de l’entreprise car de nos jours, et cela quelle que soit la langue, plus aucun dictionnaire ne s’élabore tout seul. Il y a toujours un maître d’œuvre épaulé par toute une équipe de collaborateurs. C’est dire que R. Confiant a travaillé à l’ancienne, à la manière des dictionnaristes du 19è siècle, bénéficiant toutefois de ce formidable outil qu’est l’ordinateur. La préface de l’ouvrage nous éclaire quelque peu sur la méthode mise en œuvre par l’auteur qui nous apprend d’emblée qu’il n’a pas fait d’études lexicographiques au sens propre du terme à cause de « la relation problématique qu’entretient le Martiniquais avec son vernaculaire ». En clair, il n’a pas procédé comme le font tous les lexicographes du monde, c’est-à-dire bâtir des questionnaires et se rendre sur le terrain pour interroger les locuteurs. Il a procédé « de biais », comme il le dit lui-même, c’est-à-dire en profitant des enquêtes ethnographiques qu’il menait pour l’écriture de romans tels que « Commandeur du Sucre » ou « Régisseur du rhum ». Pendant qu’il interrogeait tel vieux commandeur d’habitation sur son métier, il en profitait pour relever dans le même temps les mots liés à la coupe de la canne à sucre, par exemple.
D’autre part, R. Confiant a aussi dépouillé presque tout ce qui a été écrit en créole depuis que le créole martiniquais s’écrit à savoir depuis la publication du recueil de fables de la Fontaine traduites en créole, « Les Bambou » (1846), dues à la plume d’un Béké dénommé François-Achille Marbot jusqu’à l’actuelle rubrique hebdomadaire (2007) de Jid, « Kréolad », dans le magazine « Antilla », en passant par les œuvres de Gilbert Gratiant, Marie-Thérèse Lung-Fou, Georges Mauvois, Monchoachi, Joby Bernabé, Térez Léotin, Georges-Henri Léotin, Jala, Serge Restog, Jeff Florentiny, Vincent Placoly, Jean-François Liénafa, Serge Restog, Robert Nazaire, Marcel Lebielle, Daniel Boukman etc…On s’aperçoit au passage, en lisant les citations d’auteur qui accompagnent les entrées, que la littérature martiniquaise en langue créole est beaucoup plus riche qu’on ne le croit généralement. La raison de sa semi-invisibilité est sans doute due à son manque de médiatisation et surtout au fait que le créole est finalement assez peu enseigné à l’école, chose qui aurait permis au plus grand nombre de connaître lesdites œuvres.
En explorant donc le lexique du créole martiniquais sur près d’un siècle et demi, l’auteur nous donne à lire une sorte de dictionnaire historique et non un simple dictionnaire de la langue telle qu’elle est parlée aujourd’hui. Les vieux mots (ou archaïsmes) tels que « tondilié » (tonnelier), « komotif » (locomotive) ou encore « chaspann » (puisette) y côtoient les mots nouveaux (ou néologismes) tels que « kouchal » (en mauvais état) ou « djonmpi » (SDF drogué). Autre point intéressant : toutes les variantes phonétiques sont scrupuleusement notées comme pour « lariviè »/ « lawviè »/ « layiviè » (rivière). D’autre part, l’auteur s’est soucié de l’étymologie puisqu’on y apprend que « kouliwou » vient du caraïbe, « manawa » de l’anglais, « katjopin » de l’espagnol, « danma » (talisman) de l’africain ou encore « kolbou » du tamoul. Il va même jusqu’à différencier les mots qui viennent du français standard comme « chimiz » (chemise) ou « tranglé » (étrangler) de ceux qui viennent du français régional (des parlers d’oïl : normand, poitevin, picard etc…) comme « razié » (buisson) ou « zen » (hameçon), et même de l’ancien français comme « bwareng » (bréhaigne).
Poussant encore plus loin son travail, R. Confiant traduit en français chacune des citations d’auteur créolophone qui illustrent les entrées, chose qui séduira à n’en pas douter l’utilisateur non-créolophone de son ouvrage ou ceux qui sont en train d’apprendre la langue. Mieux, il recense aussi les expressions idiomatiques comme « ba lari chenn » (errer), les proverbes (« Chak betafé ka kléré pou nanm-li ») et même les titim (devinettes). Sans compter que l’auteur ne se contente pas de donner la signification de chaque entrée, il explique de quoi il s’agit soit de lui-même soit en citant un auteur qui a travaillé sur la question. Ainsi pour « tjenbwa », il ne se contente pas de traduire par « sorcellerie », il cite Eugène Revert, Hélène Migerel, Franck Degoul etc…, ce qui donne un petit côté encyclopédique à son dictionnaire, chose qui, là encore, séduira l’utilisateur non-créolophone.
Il s’agit donc, on s’en rend compte, d’un travail colossal dont on peut se demander comment un homme seul a pu en venir à bout, même au terme de quinze années d’un labeur que l’on devine acharné. Quand on pose la question à l’auteur, il répond par une boutade :
« Man sé an chaben, pa janmen bliyé sa ! » (Je suis un chabin, ne l’oubliez jamais !)
On regrettera toutefois que les mots ne soient pas catégorisés grammaticalement. Il est vrai qu’en créole, un même mot peut être tout à la fois un nom, un verbe, un adjectif et un adverbe et que ces catégorisations d’essence latine ne peuvent guère s’appliquer à une langue comme le créole, mais on aurait tout de même apprécié qu’on nous indique quand tel mot fonctionne comme un nom et quand il fonctionne comme un verbe, un adjectif ou un adverbe. Heureusement que le plus souvent, les citations d’auteurs créolophones et leurs traductions viennent désambiguïser les choses.
En tout cas, Raphaël Confiant nous donne là une œuvre majeure pour notre culture non seulement martiniquaise, mais créole au sens large du terme, puisqu’il se garde d’oublier les mots qui, grâce à l’intense circulation entre les îles des Antilles et l’immigration, ont fini par s’agréger au lexique du créole martiniquais comme le saint-lucien « kouchal », le guadeloupéen « chokolaté », l’haïtien « kolokent » ou le guyanais « kwata ».
Woulo-bravo, chaben !
Mandibèlè (Daniel Dobat
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