samedi 22 novembre 2008

Note de lecture

Aimé Césaire une traversée paradoxale du siècle par Raphäel confiant écriture 2006 283 pages
Une Nègre fondamental, fruit de la dérive des cultures



Du Cahier d’un retour au pays natal (1939) jusqu’à son dernier recueil poétique (1983), Aimé Césaire n’aura de cesse de restituer à la Martinique sa part de nègre et de dénoncer le fait colonial jusque dans l’Hémicycle. En raison de son règne sans partage sur les Lettres antillaises, il fut longtemps tabou de dresser l’inventaire littéraire et politique de son legs. Césaire, en somme, était à prendre ou à laisser. Or cette prééminence reposait sur un malentendu. En quoi le verbe du Rimbaud noir était-il plus nègre qu’héritier des humanités classiques ? Pourquoi l’interprète des ‘malheurs qui n’ont pas de bouche’ restait-il sourd aux griefs indépendantistes ? Et quel obscur ressentiment nourrissait-il pour son île natale, ‘terre stérile et muette’, comme pour sa langue, le créole ?

Longtemps, Raphaël Confiant, l’un des chefs de file de la Créolité, a porté en lui la parole libératoire de l’’accoucheur de cyclones’ avant d’envisager le sacrilège. Dans cette étude iconoclaste, il souligne les paradoxes du ‘leader fondamental’, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001. Mais de quels méfaits le roi Césaire s’est-il rendu coupable ? Principalement, en exaltant ‘le vieil amadou déposé par l’Afrique’ au cœur des Antilles, d’avoir occulté l’’identité mosaïque’ du monde créole, réduit à la seule couleur nègre de son spectre. Mais aussi, de n’avoir conçu pour la Martinique qu’’un avenir de province française’, décourageant toute application du véhément Discours sur le colonialisme (1950).

‘Fils de Césaire à jamais’, Raphaël Confiant reste le premier à avoir commis le meurtre symbolique de ‘Papa Césaire’, tout en lui rendant l’hommage d’un essai magistral. Récusant à la fois les leçons de l’Europe et de l’Afrique, révoquant le paternalisme blanc tout autant que le remords nègre, son réquisitoire inspiré est un autre ‘éloge de la créolité’, laquelle se refusera toujours à n’être qu’’un département de la négritude’.

Les Martiniquais sont un peuple résultant de l‘amalgame forcé (et forcené) d’une multitude de peuples : autochtones caraïbes, européens, esclaves venant d’Afrique, Chinois, Hindous et Levantins.

Aimé Césaire est un fruit de la dérive des cultures, lointain descendant d’Africain, élevé en Amérique, baignant dans un foisonnement créole et nourri, dès la tendre enfance, de culture judéo-chrétienne et gréco-latine. Cet homme, Aimé Césaire, a tenté toute sa vie, commencée à l’orée du XXe siècle, d’exorciser son quadruple exil, en s’aidant des deux seules armes qui furent à sa disposition : les ‘armes miraculeuses’ de la poésie et celles plus prosaïques, plus ingrates, du combat politique. Il y fit montre d’un génie (le mot n’est pas trop fort), d’une détermination et d’un courage qui sont à l’exacte mesure du retentissant et pathétique échec qu’il connaît au soir de sa vie.

L’assimilation, le péché originel

Au lieu d’amarrer son peuple au formidable mouvement de métissage et de créolisation qui n’a cessé d’affecter le Nouveau Monde depuis trois cents ans, n’a-t-il pas fantasmé sur une seule de ses composantes, certes la plus bafouée, la plus dénigrée, à savoir la composante noire.

Les Antilles françaises d’aujourd’hui souffrent d’un péché originel ; celui de l’assimilation. Celui qui a, non pas commis mais légitimé ce péché, en présentant la loi dite d’assimilation de 1949, est Aimé Césaire, le père de l’idée de la négritude.

Fort de France, ville coloniale originale, souvent décriée dans Cahier d’un retour au pays natal et dans la revue Tropiques (‘la très stupide savane de Fort-de-France prit feu à la bougie enfin réveillée de ses palmiers’, y écrit Césaire), finit par ressembler à une sous-préfecture française sous ‘un sacré soleil vénérien’.

L’acte II du drame de l’assimilation a été la grève de soixante-cinq jours menée en 1949 par les fonctionnaires antillo-guyanais afin d’obtenir ‘la prime de vie chère’ (équivalant à un supplément de 40 % par rapport au salaire hexagonal) que le gouvernement venait d’accorder aux fonctionnaires métropolitains en poste aux Antilles. Cette image usurpée du Nègre fondamental est à mettre en relation directe avec l’hypertrophie de l’ego qui a toujours caractérisé Césaire. Cet homme est incapable de dire ’nous’.

Et de fait, du Cahier d’un retour au pays natal publié en 1939 à Moi, laminaire publié en 1982, le poète ne consent pas s’écarter ou s’évader un instant de son moi, lui le chantre de la négritude, c’est-à-dire d’une collectivité.

Par ailleurs, on a peine à croire que le même personnage qui publia un incisif et fulgurant Discours sur le colonialisme s’écria, en accueillant M. André Malraux dans son île : ‘Tout ira bien, tant que la France permettra que se rencontrent en Martinique un poète comme Césaire et un romancier comme Malraux !’. (Eve Dessare, Cauchemar antillais, François Maspero, 1965).

Césaire se citant à la troisième personne…

Défiant envers une culture créole qui souffre à ses yeux de la tare indélébile qu’est la bâtardise, Césaire ne s’en est point servi pour édifier son œuvre poétique et théâtrale. Il était en faveur d’une prétendue négrification de la langue française. Il était entre deux langues et trois pays.

La négritude césairienne repose sur le postulat selon lequel dans les profondeurs de tout Nègre martiniquais, dans son inconscient, survit une parcelle, un gisement d’africanité que trois siècles d’esclavage ont refoulée, mais qu’il peut, qu’il doit retrouver par un long effort de plongée en soi.

En puisant dans ‘le vieil Amadou’ déposé en lui par l’Afrique, Césaire, bien qu’il use d’une langue européenne, parvient à renouer avec la rythmique de l’oralité africaine proférée bien évidemment en langue vernaculaire. C’est du moins la thèse que soutiennent la plupart des césairologues africains tels B. Zadi Zaoura ou Gloria Nne Onyeoziri. Le ‘nègre fondamental’ est une notion ethnoculturelle : elle renvoie à l’idée que le poète de la négritude a plongé en lui-même afin de retrouver l’Afrique mère. Le ‘nègre fondamental’ est aussi une notion politique qui découle logiquement de la première. Tout premier Nègre à avoir effectué cette reconquête de la ‘race’, Césaire devenait du même coup celui qui était le plus à même de conduire son peuple sur la route de l‘émancipation totale.

Raphaël Confiant se livre à un essai de périodisation de l’œuvre littéraire et de l’œuvre politique.

Quatre grandes périodes peuvent être distinguées : la découverte de la négritude (1931, date de son arrivée à Paris), la période surréaliste (1941, date de rencontre à Fort-de-France avec André Breton, l’explosion théâtrale (1963, date de la publication de La Tragédie du Roi Christophe), le testament littéraire : Moi, laminaire en 1982.

On peut discerner quatre grandes étapes dans le parcours politique du député-maire de Fort-de-France : la revendication de l’assimilation (1946-1958), la revendication de l’autonomie (1958-1973), la tentation nationaliste (1974-1980), le Moratoire (1981-1992).

Fils à jamais de Césaire, Raphaël Confiant n’hésite pas un seul moment pour parler de l’échec d’Aimé Césaire.

Il existe trois formes d’allégeance à Aimé Césaire en Martinique : celle des césairiens, celle des césairolâtres et celle des césairistes. Le césairolâtre est une variante pathologique du césairiste et fait partie, en général, de la pseuso-élite intellectuelle ou la nomenklatura de gauche foyalaise (L’ancien nom de Fort-de-France était Fort Royal. Par contraction, la ville fut surnommée Foyal et ses habitants, les Foyalais). Lui a lu le Maître et ne supporte pas la moindre critique.

Ce livre écrit dans une belle langue est plein de réflexions pertinentes sur la personnalité et l’œuvre d’Aimé Césaire.

Amady Aly DIENG

Aucun commentaire:

René ou ka voyajé

  Mon fidèle parmi les fidèles, mon ami, mon frère, l'indomptable René Silo est parti jeudi et je suis inconsolable. Triste, triste à pl...