mercredi 6 janvier 2010

Aimé Césaire par Bernard Ascal : les cris de la négritude mis en musique


Né en 1943, Bernard Ascal est poète. Auteur, grand connaisseur de la poésie qu’il enseigne par ailleurs, peintre aussi, il est musicien et la poésie est une grande partie de sa vie. Mais il va être ici question de la musique qu’il a mise sur un texte. Et quel texte !

PAR PIERRE LE MASSON
plemasson@lavoixdunord.fr
Cahier d’un retour au pays natal, à la fois fresque, épopée, littérature engagée de celui que l’on ne présente plus, Aimé Césaire.
« J’ai découvert la poésie par la mise en chanson ». Fils d’ouvriers, il entendait sur le phono parental des 78 tours d’Yvette Guilbert, puis Juliette Gréco, Mouloudji, Montand, Ferré. « Des dictions parfaites, des engagements qui ont été à l’origine de mes goûts.
Je captais cette importance des rapports entre textes et émotions, entre verbe et musique. Quand parfois, pour le curé, je tirais les cordes du tocsin, je voulais que tout le village soit triste, que ce soit lugubre… Un instituteur communiste a renforcé mon sens de l’émotion ».
Passionné de littérature africaine, Bernard Ascal s’était déjà lancé dans l’adaptation d’un extrait de l’oeuvre de Césaire, à Rennes. Devant le succès qu’il n’escomptait pas, il se lance et écrit à Césaire pour lui demander l’autorisation de mettre l’entier du cahier en musique, persuadé que les droits étaient bloqués. Par retour de courrier, « Moi, l’inconnu du village », il reçoit l’autorisation.
« Pour m’y mettre, j’ai appris ces 1 400 vers par coeur, pour qu’ils deviennent naturels. » Césaire l’encourage, bien qu’il n’ait jamais rencontré Bernard Ascal : « Les contacts avec Césaire étaient mensuels et épistolaires, ou – car il était devenu sourd – , par l’intermédiaire de son fils ou de sa secrétaire. J’étais à l’affût de tout, c’était le bazar dans mon crâne… ».
Ascal décide de faire un oratorio, culture occidentale repoussée par le combat de la négritude de Césaire. « Il voulait bien… J’espérais lui amener mes deux ans de travail pour son 95e anniversaire. Lors du dernier contact avec lui, sa secrétaire m’a dit “M. Césaire vient de partir en urgence à l’hôpital, ça ne va pas du tout”. Dix jours plus tard, il était mort ».
Fallait-il, dès alors, faire paraître ces disques ? “J’ai eu de grands moments de doute et étais à deux doigts de laisser tomber. Des amis Martiniquais m’ont encouragé à respecter le calendrier fixé par Aimé Césaire, et son fils m’a dit de continuer. Lorsque les CD sont parus, l’académie Charle-Cros a mis un coup de baume au coeur sur ma douleur. Puis le premier article qui paraît dans un quotidien arabe, puis des français, Jeune Afrique, la radio, la télé. Brusquement le travail acquérait une autre dimension. J’ai touché des occidentaux, des orientaux, mais aussi des martiniquais ».
Parti seul pour cette oeuvre d’envergure qui magnifie la puissance incantatoire à laquelle même André Breton a rendu hommage, point de départ de la négritude, de la dénonciation du racisme, du colonialisme, ces vingt-cinq séquences chantées, dont neuf avec accompagnement musical, du premier au dernier mot sans changement, sont certes peu faciles, mais tel Ferrat avec Aragon, Bernard Ascal a ouvert la porte de Césaire. •

Chez EPM, distrib. Universal, 20 E

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