mercredi 18 août 2010

Les revues culturelles et la promotion de ‘L'homme noir’ : Et Présence Africaine créa l'homme de culture noire

(rfi.fr) - Les revues et journaux ont largement contribué à la diffusion des idées panafricanistes et aux revendications d'indépendance des pays colonisés. Les penseurs et intellectuels de l'Afrique et de l'Amérique se sont d'abord regroupés au sein d'une rédaction avant de mener leurs destinées individuelles.

La naissance de la revue Présence Africaine (1947) et la fondation de la maison d’édition (1949) du même nom, par le Sénégalais Alioune Diop, sont des moments majeurs de l’histoire littéraire africaine. L’objectif de Diop était de favoriser la visibilité des créations intellectuelles africaines et, ce faisant, aider l’Afrique à s’inscrire dans le monde moderne.

Tout au long des années 1950-60, Présence Africaine s’est acquittée de ses missions avec éclat, en publiant, aux côtés des romanciers et poètes, des penseurs tels que Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, George Padmore et quelques autres qui ont profondément transformé notre façon de penser le monde noir. Présence Africaine a également organisé les deux Congrès des écrivains et artistes noirs, le premier à la Sorbonne en 1956 et le second à Rome trois ans plus tard. A l’orée des indépendances des pays du continent noir, ces Congrès réunissant penseurs, artistes, écrivains de l’Afrique et de ses diasporas, ont permis de redéfinir le rôle de l’intellectuel noir (‘l’homme de culture’) dans le contexte de la décolonisation à venir.

La revue a accueilli, pour sa part, dès les années 1950, moults débats et polémiques littéraires, participant ainsi à la création d’une identité littéraire africaine.

Les autres revues

La Revue du Monde noir est créée en 1931, dans la foulée de l'Exposition coloniale française, par Paulette Nardal (Martinique), René Maran (Guyane) et Léo Sajous (Haïti), avec comme objectif : ‘Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral qui leur permette de mieux se connaître, de s’aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d’illustrer leur race’. La revue, publiée en anglais et en français, ne tiendra que 6 numéros faute d'argent. Paulette Nardal arrive en France à l'âge de 24 ans, après avoir été institutrice en Martinique. Elle est la première étudiante martiniquaise de la Sorbonne. René Maran est le premier écrivain noir à recevoir le prix Goncourt pour son roman Batouala (1921). Léo Sajous est médecin. Il écrira beaucoup dans la revue sur le Liberia. Autour de la revue, on retrouve également Félix Eboué, Jean Price-Mars, et les penseurs du mouvement américain Harlem Renaissance.

L'Étudiant noir est l'héritier du Journal des étudiants martiniquais en France qui paraît depuis 1932. L'Étudiant noir, en revanche, n'aurait, selon les universitaires, connu qu'un seul numéro, celui de mars 1935. Paradoxalement, il est resté dans les mémoires comme un moment fort de la rencontre entre Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas bien que la signature de ce dernier n'apparaisse pas au sommaire. L'article d'Aimé Césaire, intitulé Jeunesse noire et assimilation pose les fondements du mouvement de la négritude. Paulette Nardal et Félix Eboué (qui signe ‘Henri’) sont également au sommaire du numéro.

Légitime Défense, créée en 1932, est sur les talons de La Revue du monde noir. Une revue plus politique que culturelle. Marxiste, surréaliste, elle se place aussi du côté du mouvement psychanalytique. ‘Nous nous élevons contre tous ceux qui ne sentent pas étouffés par ce monde capitaliste, chrétien et bourgeois auquel nous regrettons appartenir’. À l'origine de Légitime Défense, on retrouve un groupe d'intellectuels et militants martiniquais, dont Etienne Lero. Ils dénoncent le colonialisme et les dangers de l'assimilation pour l'identité antillaise.

Les Cahiers d'Haïti naissent pendant la Seconde Guerre mondiale à Port-au-Prince (1944). La revue regroupe les signatures des plus grands auteurs dont celles de Jacques Roumain et Jean-Price Mars. Les Cahiers traitent de poésie, littérature, peinture, histoire, géographie, philosophie, ethnologie, biologie... Une petite encyclopédie culturelle en quelques numéros.

‘La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas’

The Crisis est le journal de l'Association nationale pour l'avancement des gens de couleurs (Etats-Unis), dirigé par William Edward B. Du Bois. Il a été fondé en 1910 et est toujours en circulation aujourd'hui sous une autre forme et avec un autre contenu. Son objectif était celui d'un journal d'information, mais avec une attention particulière pour la question des relations inter-raciales et la condition des Noirs américains. ‘Le magazine ne sera pas l'organe d'une clique ou d'un parti et évitera les rancœurs personnelles de toutes sortes’, précise l'éditorial du premier numéro. La revue encourage le développement artistique. Les jeunes écrivains-poètes inconnus ou célèbres du mouvement Harlem Renaissance y collaborent. Des peintres, des dessinateurs et des photographes connus sont chargés d'illustrer les articles.

Tropiques est fondé en 1941 par Aimé Césaire, sa femme Suzanne, René Ménil et Aristide Maugée. Dans cette revue, les Césaire et leurs collaborateurs invitent les écrivains martiniquais à rompre avec le classicisme français et l'exotisme facile et à inventer une littérature originale, puisant dans les mythes et l'expérience douloureuse de l'esclavage et de l'identité perdue à jamais de la population antillaise.

‘Allons, la vraie poésie est ailleurs. Loin des rimes, des complaintes, des alizés, des perroquets. Bambous, nous décrétons la mort de la littérature doudoue. Et zut à l'hibiscus, à la frangipane, aux bougainvilliers. La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas’, affirme Suzanne Césaire dès 1942 dans un numéro de Tropiques qui va retenir l'attention d'André Breton de passage à la Martinique. Tropiques, dont les animateurs ne cachaient pas leurs sympathies gaullistes, fut interdite par le régime pro-vichyste de la Martinique.

Signalons aussi La Dépêche africaine, revue créée en 1928 par le Guadeloupéen Maurice Satineau, alors militant du Comité de défense de la race noire. Le Cdrc est décrit comme ‘assimilationniste’ par ceux qui se revendiquent ‘nègres’. On trouve parmi les collaborateurs du mensuel, René Maran et les sœurs Nardal. Il se veut ‘le trait d'union entre les peuples nègres du monde entier’.

Par Marion URBAN & Tirthankar CHANDA

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