Wifredo Lam, passages, 1969-1982 (c) ADAGP, Paris 2011 (c) collection privée
Pour célébrer les 70 ans de la rencontre entre Aimé Césaire et Wifredo Lam, le Grand Palais leur rend hommage
L'exposition, qui ouvre mercredi, veut rendre compte de ce "coup de foudre" entre le poète martiniquais et le peintre cubain. Elle s'intéresse aussi à leurs échanges avec Picasso, ainsi qu'avec d'autres artistes.
Elle présente des peintures et des gravures de Wifredo Lam, des gravures de Picasso, des textes et des ouvrages de Césaire, Breton.
L’exposition, qui est organisée dans le cadre de l’Année des Outre-mer, a été montée en un temps record, profitant de la libération imprévue d’un espace au Grand Palais, raconte l’écrivain Daniel Maximin, commissaire de l’exposition. Elle sera ensuite présentée en Martinique et en Guadeloupe.
Il s’agissait de « casser deux images : celle d’un paradis terrestre et celle d’un enfer marqué par les séismes, les éruptions volcaniques et les cyclones, auxquels on peut ajouter l’enfer historique de l’esclavage et de la traite », explique l’écrivain. Si ces images sont fausses, elles étaient aussi dans la tête d’hommes comme Aimé Césaire (1913-2008) ou Wifredo Lam (1902-1982), qui ont grandi aux Antilles, estime-t-il. Mais « ils ont compris assez vite que ces images étaient fausses » et « Césaire, qui se dit ‘debout et libre’, a passé sa vie à les combattre ».
Les deux hommes, qui ont donc grandi l’un en Martinique, l’autre à Cuba, partent découvrir le monde. Au début des années 1930, le poète fait ses études à Paris, et découvre « toutes les poésies du monde ». Près de dix ans plus tôt, déjà, Lam est parti étudier la peinture à Madrid, avant de s’installer à Paris en 1938, où il rencontre tout ce qui compte sur la scène artistique.Michel Leiris lui fait découvrir l’art africain.
Chez eux, « ils ont cru qu’ils étaient des hommes muets », raconte Daniel Maximin. « L’histoire de cette exposition est celle du ré-enracinement » des deux hommes, qui s’est produit à l’occasion de leur découverte du monde et auquel le choc des fascismes et du nazisme a, selon lui, donné naissance. En même temps que ce ré-enracinement dans leur terre, « ils ont décidé de porter une parole qui a aussi une dimension universelle », souligne Daniel Maximin.
L’histoire de l’exposition est aussi l’histoire de trois coups de foudre, entre Lam, Picasso et Césaire.
Lam rencontre Picasso en 1938 à Paris. Le maître espagnol reconnaît en lui un peintre et un frère, ou plutôt un « cousin ». Les deux artistes sont marqués par l’art africain, et l’influence du cubisme, comme celle du surréalisme, est importante dans sa peinture.
En 1941, Wifredo Lam, réfugié à Marseille pour fuir le nazisme, embarque sur un bateau avec de nombreux artistes et intellectuels comme André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers ou Victor Serge. L’exposition s’ouvre sur des dessins des Carnets de Marseille, créés par Lam à ce moment-là.
En escale en Martinique, les artistes sont arrêtés par les autorités collaborationnistes françaises. Ils y restent restent un mois et ce séjour est pour tous fondamental. Ils rencontrent Aimé et Suzanne Césaire. La lecture duCahier d’un retour au pays natal du poète martiniquais est un choc pour André Breton, qui le qualifie de « plus grand monument lyrique de ce temps ».
Naît aussi un « coup de foudre éternel » entre Césaire et Lam, selon les mots de Daniel Maximin.
Suzanne et Aimé Césaire emmènent Lam et Breton, et aussi André Masson, dans la forêt martiniquaise d’Absalon qui marque durablement tous les artistes. Elle inspirera un tableau foisonnant à André Masson (Antille, 1943), qui illustrera le recueil Martinique, charmeuse de serpents d’André Breton (1941). A tout soupçon d’exotisme, Masson oppose que « le monde entier m’appartient ». Daniel Maximin voit là une « extraordinaire alliance » entre l’Europe et le monde caraïbe.
Selon Daniel Maximin, la forêt, c’est pour les artistes antillais « les retrouvailles avec la nature caraïbe, symbole d’une histoire de douleurs, de cataclysmes et de résistance ». Et c’est là que le peintre, grâce à ces rencontres, devient Wifredo Lam. « Il découvre la puissance d’une nature. » Quand Lam rentre à Cuba, il ajoute la nature aux hommes dans ses peintures et oppose la verticalité à l’horizontalité des peuples écrasés.
Il peint La Jungle, une de ses œuvres clés. Le tableau, qui est conservé au MoMA de New York, n’a pas pu être obtenu pour l’exposition, expliqueEskil Lam, fils du peintre et co-commissaire de l’exposition.
Mais on peut voir au Grand Palais une série de grands tableaux où des figures féminines fantastiques apparaissent au milieu d’une nature luxuriante. Daniel Maximin fait remarquer les « énormes pieds nus » de ces figures, qui représentent « l’enracinement », et symbolisent une dimension populaire et paysanne comme une dimension africaine revendiquée.
Troisième grande rencontre : celle de Pablo Picasso avec Aimé Césaire. Ils se rencontrent en 1948, en Pologne, aux congrès des intellectuels pourla paix. Le poète demande à l’artiste espagnol d’illustrer ses poèmes. Un recueil, Corps perdu, est publié avec 32 gravures de Picasso, où revient la « tête de nègre » et le masque, symboles de l’identité africaine. Une douzaine d’eaux-fortes sont exposées dans le cadre de l’exposition, à côté d’extraits des poèmes de Césaire.
L’exposition se clôt sur une série de gravures réalisées par Wifredo Lam à la fin de sa vie. Cette fois-ci, elles n’étaient pas conçues pour illustrer des textes. C’est lui, au contraire, qui a demandé à Aimé Césaire de composer des poèmes pour les accompagner. Ces images fantastiques évoquent l’univers de la santeria cubaine, religion syncrétique qui a marqué son enfance et avec laquelle l’artiste s’est amusé.
Aimé Césaire, Lam, Picasso: "Nous nous sommes trouvés", Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clémenceau, Paris 8e
tous les jours sauf le mardi
du jeudi au lundi: 10h-20h
mercredi: 10h-22h
tarifs: 6€/4€
du 16 mars au 6 juin 2011
renseignements sur le site de la rmn
L'exposition est organisée dans le cadre de l'Année des outre-mer.
Valérie ODDOS
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