mardi 14 juin 2011

Une nouvelle autochtonie


Comme les Antilles, La Réunion est née de la mise en contact des populations culturellement différentes, venues des quatre coins du monde, que "le maelström de l’Histoire" a réunies au cœur de la mer indiaocéanique.

Pour les auteurs de l’Éloge, la Créolité laisse entendre que rien ne demeure d’une identité originelle en dehors de quelques « traces » infimes. Elle se caractérise par l’absence d’origine, du moins l’origine est dans la Créolité même, c’est-à-dire dans la mise en contact brutal… des populations culturellement différentes. L’un d’eux précise : « Le point de départ, le point génésique » de l’identité créole — antillaise, réunionnaise, mauricienne, seychelloise… — ce n’est ni l’Afrique, ni l’Inde, ni la Chine originelles, « mais la cale du bateau, un lieu d’effondrement majeur. En descendant dans la cale, on ne descendait pas dans un autre monde, mais dans une autre vie où il fallait réinventer les dieux, les certitudes, tout refaire » (Patrick Chamoiseau, “Le Monde”, 26 avril 1998).

L’image du bateau-négrier comme ventre est également présente chez Edouard Glissant et avec la même ambivalence. Le bateau-négrier n’est pas seulement ce qui détruit et rejette, mais également le ventre qui enfante : « Le ventre de cette barque-ci te dissout, te précipite dans un non-monde où tu cries. Cette barque est une matrice, le gouffre-matrice. Génératrice de ta clameur ». (Poétique de la Relation, 1990, p. 18). 

On comprend que Patrick Chamoiseau puisse dire que « les populations qui sont le produit d’une créolisation, d’un métissage culturel, biologique n’ont pas la possibilité de se raccrocher à une source lointaine » (“Le Monde”, 26/04/1998). Cette déclaration nous concerne, car le processus de créolisation n’est pas propre au seul continent américain. D’où l’insistance des auteurs de l’Éloge sur les images d’une création inédite, d’« une entité anthropologique nouvelle », d’« humanité nouvelle »,  de « nouvelle dimension de l’homme ». Jean Bernabé estime même que « la créolisation est, en son principe, le vecteur d’une nouvelle autochtonie » (cité par Chancé Dominique, 2002 ; Bernabé, 1996).

Sans prendre position, nous tenons à souligner que cette conception de la Créolité ne reflète pas la complexité des préoccupations identitaires de nos divers groupes socioculturels, ici à La Réunion. Le concept de Réunionnité semble correspondre le mieux à notre situation.

Une Réunionnité une et diverse

Comme les Antilles, La Réunion est née de la mise en contact des populations culturellement différentes, venues des quatre coins du monde, que "le maelström de l’Histoire" a réunies au cœur de la mer indiaocéanique. Dans le contexte de violence de la plantation — esclavage, engagisme, colonisation — ces populations ont été amenées, malgré elles, à se côtoyer durablement et à multiplier leurs interactions.

De ce processus dit de créolisation, entendu comme « une dynamique de la perte, de l’emprunt et de la création » (MCUR, 2009), est née une langue, une musique, diverses traditions rituelles et pratiques culturelles et un savoir-faire spécifiques dans divers domaines. Bref, une culture dite créole née sous le signe du contact de civilisations qui se sont rencontrées dans ce lieu, sur cette terre réunionnaise. Cette culture créole est partagée par tous. C’est notre tronc culturel commun (Laurence Pourchez, 2005).

Cependant, « la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies »(Glissant) entre ces diverses cultures et civilisations n’ont pas eu pour résultat leurs effacements. Mieux, leurs apports culturels sont restés assez vivants pour permettre aux Réunionnais de nos divers mondes de résister au rouleau compresseur de l’assimilation de la colonisation. Aujourd’hui, dans un désir d’affirmation identitaire, ces cultures retrouvent un nouveau souffle et s’affirment de plus en plus dans l’espace public, tout en cherchant à se rattacher à leur source d’origine respective.

Bref, à côté d’un tronc culturel que tous les Réunionnais partagent et qui s’enrichit progressivement, coexistent des cultures propres à nos différents groupes socioculturels, cultures spécifiques qui font partie de notre patrimoine commun. Ensemble, elles constituent la culture réunionnaise, notre Réunionnité, toujours en construction. C’est sous le signe de notre Réunionnité, une et diverse, que s’opèrent où devront s’opérer nos relations interculturelles, sociales, économiques et politiques.

Si à La Réunion, la culture créole, résultat de notre processus de créolisation, — que certains qualifient de Kréolité — ne constituent qu’une partie de la culture réunionnaise, aux Antilles ce que les auteurs de l’“Éloge de la Créolité” et d’autres appellent la Créolitéest une « Totalité » qui inclut tous les éléments de la culture antillaise. Ainsi, s’il va de soi qu’aux Antilles « la Créolité a vocation à irriguer toutes les nervures de notre réalité pour en devenir peu à peu le moteur » (Éloge, p. 29), à La Réunion, cette vocation revient à la Réunionnité, une et diverse.

De ce fait, lorsqu’on s’affirme comme Réunionnais, on s’affirme identitairement, mais c’est une identité multiple et ouverte. Pour parler comme les auteurs de l’“Éloge de la Créolité”, notre Réunionnité exprimée, frémit de la vie de toutes nos cultures particulières et de notre culture créole commune. Sé nout Zarlor kiltirèl.

Reynolds Michel

(Fin)(Sources  : Ghasarian Christian, “Patrimoine culturel et ethnicité à La Réunion”, in Revue Ethnologie française, juillet-septembre 1999. Bernabé Jean, Chamoiseau Patrick, Confiant Raphaël, “Éloge de la Créolité” Ed. Bilingue, Gallimard, 1990.Chancé Dominique, “Diaspora et créolité”, in Cahiers Charles V, n° 31, 2002.Bernabé Jean, “La Créolité : problématiques et enjeux”, in Alain Yacou (éd), “Créoles de la Caraïbe”, Paris, Kartala, 1996.MCUR, Rapport d’information sur la MCUR/DGADD/2009, Edit. Région Réunion, 2009.Pourchez Laurence, “Métissages à La Réunion : entre souillure et complexité culturelle”, in Africultures, n°62, janvier-mars 2005. 
Glissant Édouard, “Traité du Tout-Monde, Poétique IV”, Paris, Gallimard, 1997)

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