mercredi 17 juin 2020

JEAN RASPAIL EST MORT QU’IL AILLE AU DIABLE !



Jean Raspail est mort. L’information m’est parvenue le jour même de son décès, le samedi 13 juin 2020. J’ai aussitôt pensé : « Qu’il aille au Diable ». Surpris moi-même de ma réaction quelque peu ou franchement « minable » je me suis vite ressaisis, sans pour autant battre ma coulpe pour avoir ainsi juré. J’ai alors cherché à atténuer la « charge » en l’allégeant ainsi : « Et qu’il emmène Schœlcher avec lui ».

Pourquoi donc ?
Parce que, il y a quelques jours, suite à la destruction de 2 statues de Victor Schœlcher en Martinique, l’un de mes amis avec qui j’échangeais à propos de cet « acte politique » et de la controverse qui a suivi, me rétorquait avec une solennité à effrayer les « capons » : « Ceux qui sont contre la destruction des statues sont des réactionnaires ; ils trahissent leurs ancêtres ; ils sont pour que nou rété an ba béké é an ba Lafwans ; ils auront des comptes à rendre. Tu sais aujourd’hui, chacun doit choisir son camp. »

Je découvrais alors que cet ami et camarade qui, depuis des décennies, partage avec moi le projet de Souveraineté du Péyi-Gwadloup et d’Emancipation sociale du Peuple, traçait une Nouvelle ligne de démarcation.

J’étais èstèbèkwè. Non que je me sentisse personnellement visé - loin de là -, mais plutôt du fait que ce n’était plus le positionnement sur la Question Nationale et l’Avenir qui était mis en avant, mais plutôt la Question de la Mémoire et le Passé, bref « le contentieux historique ».

J’étais quelque peu surpris par ce « glissement », non qu’il fût inattendu mais par la « qualité » ou « les qualités » que je prêtais jusqu’ici à son auteur que je garde en estime et en « camaraderie ». Il m’a été difficile de trouver réponse à cela :
Je voyais, perplexe et attristé, disparaître sous une logorrhée oiseuse, la question centrale et essentielle qui nous avait toujours préoccupés : celle de la Souveraineté Nationale et de la Révolution Sociale.
Je lui ai seulement dit : Alors Vive Raspail !

Wè ! Viv Raspail menm ! Et comme pour me donner tort, voilà que le bougre meurt ! Oh non, pas mon ami, à qui je souhaite longue vie pour les combats que nous avons encore à mener ensemble, mais Jean Raspail.
Alors je dois expliquer ce Vive Raspail, et aussi ce Qu’il aille au Diable, et qu’il emmène Schœlcher avec lui.

Il y aurait beaucoup à dire sur cet écrivain français, auteur du livre Secouons le cocotier publié en 1966. Cet ouvrage fait partie de ces pamphlets à l’encontre des peuples antillais parmi les plus détestables, disputant la préséance à la satire de Philippe de Baleine Les danseuses de la France (1979).

Si je me fie à ma mémoire parfois défaillante, on n’avait pas fait mieux en la matière depuis l’ouvrage raciste de Louis Chadourne, Le pot au noir : Scènes et figures des tropiques datant de 1923.
Lors de sa parution au milieu de cette décennie des années 1960 de bouillonnement d’idées anti- colonialistes, ce livre de Raspail avait provoqué un wélélé dans les milieux autonomistes et indépendantistes.
L’auteur qui avait l’avantage d’être une belle plume s’en était pris aux Guadeloupéens et Martiniquais avec des mots très durs, triviaux, un mépris calculé et surtout avec une délectation non feinte : à notre façon de vivre, de travailler, de nous vêtir, de rire, à notre langue, de notre accent .
Il nous avait décrits comme un peuple imbécile, niais, assisté, mendiant ; un peuple sans arts, à la musique exécrable ; un peuple qui passe son temps à tortiller du cul. Il avait aussi exprimé son mépris envers les femmes du Péyi.
Oh Bien sûr, il avait étalé aussi quelques simili-vérités sur le tourisme, le travail dans les administrations, ou encore sur la « rivalité » entre Martinique et Guadeloupe. Il avait dénoncé l’obligation faite à Haïti par la France de racheter sa Liberté conquise en 1804, et appelé à ce que l’on répare cette spoliation en restituant l’argent « volé » qui rappelons-le équivaudrait aujourd’hui à quelques 30 milliards d’euros sans compter les intérêts.

Dans son ouvrage, ce monsieur Raspail qui arborait toujours sa cravate avec la fleur de lys, celle-là même qu’on incrustait au fer rouge dans la chair et sur l’épaule de l’esclave fugitif dès lors qu’il avait été capturé, avait même prôné l’Indépendance des DOM. Rien que ça !

Mais qui était ce Jean Raspail ? Un écrivain français dont les nombreux écrits lui ont valu d’être primé par l’Académie Française, ratant de peu en 2000, une intronisation dans cette vénérable institution en remplacement de Jean Guitton. Mais il est aussi connu et réputé comme homme de droite voire d’extrême - droite, inspirateur du Front National notamment sur la question de l’immigration.

Lui préférait se dire, se proclamer, se réclamer « ultra-réactionnaire », ou encore « droite-droite », affirmant sans rire : « Je ne suis pas rentré dans le 21ème siècle, je ne sais donc pas ce qu’on y dit ». ».
Il avait déclaré vertement : « La révolution ? A mes yeux, elle a été un désastre ! » En Janvier 1993, il avait même organisé à Paris un rassemblement en commémoration des 200 ans de la mort du roi Louis XVI.
Un personnage iconoclaste, catholique traditionnaliste, royaliste et raciste, opposé au métissage et donc partisan de « la pureté de la race.

Aussi, on n’est pas surpris que dès l’annonce de son décès ce 13 juin 2020, toute la crème de l’extrême droite française notamment la Nouvelle Droite ou encore l’Action Française, lui a rendu hommage appuyé. Mais aussi le chef de la Maison Royale, Monseigneur le Comte de Paris, ainsi que Philippe de Villiers et Marine Le Pen, la Présidente du Rassemblement National allant jusqu’à dire sur Twitter que son décès est « une immense perte pour la famille nationale ». Entendez bien la famille d’extrême droite. Normal : Jean Raspail n’avait pas manqué de lui porter son soutien lors des élections présidentielles de 2012 et 2017.
Ces hommages qui lui sont rendus sont même l’occasion pour certains de dénoncer avec encore plus de rage les manifestations qui se déploient aujourd’hui en France contre les violences policières et le racisme, autour de l’assassinat de Amada Traoré et de tant d’autres Noirs et Arabes.
Ainsi, peut-on lire dans l’un d’entre eux :
Mais direz-vous : que vient donc faire Jean Raspail dans ce débat à propos de Schœlcher ? Pourquoi ce Vive Raspail comme réplique à mon ami ? En fait : juste une boutade ... ou presque.

Jean Raspail meurt au moment où disparaît, dans la laideur, la bêtise et la lâcheté, la civilisation qui l’a vu naître, entre les statues que l’on abat, et les agenouillés qui s’excusent de crimes qu’ils n’ont pas commis auprès de gens qui ne les ont pas subis. (« Languedoc Info » du 14 juin 2020)

Parce que, figurez-vous ce monsieur « ultra-réactionnaire » avait sur le grand libérateur blanc et sa forte présence dans l’espace public Guadeloupéen et Martiniquais un point de vue qui ne manque pas d’intérêt et qui pourrait même surprendre ... à première vue. Il me plait de citer alors un extrait détonnant de Secouons le cocotier ; un peu long, mais ça vaut le détour :
« Le 4 mars 1848, Victor Schœlcher fit voter une loi qui mettait fin à une situation évidemment intolérable : l’esclavage était aboli. Encore que l’on conçoive difficilement comment la jeune République Quarante-Huitarde, aurait pu ne pas abolir l’esclavage, l’auteur de cette loi mérite la reconnaissance du peuple libéré. Une belle avenue, une statue bien placée, soit...

Mais quelque chose me choque dans cette inflation de Schœlcher en plaques de rue, en bustes avec ou sans barbe. Le rappel se répète avec trop d’insistance. Si je n’hésitais, en une telle matière, à juger selon les critères de la bonne éducation, je dirais que cela manque de tact [...] Si j’étais noir et antillais, ces Schœlcher abusifs m’échaufferaient le sang.
A force de m’entendre répéter, à chaque rappel du nom de Schœlcher, que mon grand-père n’était qu’un esclave, ou que ma grand-mère, si j’étais un mulâtre, servait le Blanc dans son lit et retournait coucher au quartier des esclaves, je finirais peut-être par détester le petit-fils du Blanc.
Ces petits-fils du Blanc ne sont pas responsables d’un passé pénible, mais dans leur sang coule le sang des Maîtres.
Ce n’est pas d’une domination étrangère que Schœlcher a libéré le Noir, mais du Maître français dont la descendance se perpétue sur les lieux mêmes du « crime ». A célébrer le libérateur avec tant d’insistance, on s’obstine et se torture à ne jamais oublier le passé...
Les Marocains qui doivent tout à Lyautey, et qui le savent pour la plupart, se sont empressés de déboulonner sa statue...

Je n’aime pas ces vengeances mesquines, elles ressemblent trop au coup de pied de l’âne. Mais il faut admettre, je suppose, que la dignité d’un peuple neuf s’accommode mal du culte d’un bienfaiteur étranger.

Il faut déboulonner ce Schœlcher obsédant. Aux descendants des esclaves, il faut tout au moins rendre son souvenir plus discret.

Et si l’on tient absolument à utiliser les socles grecs et les plaques de rue, et à offrir un père du peuple à la population, qu’on y colle donc Delgrès brandissant son lardoir.
Quand le général Richepance, sur les ordres du Premier consul, débarqua à Pointe-à-Pitre en 1802 pour rétablir l’esclavage aboli par la Convention, il trouva Delgrès devant lui, un Noir, un Toussaint Louverture guadeloupéen, qui, après des combats sanglants, se fit sauter à Matouba. C’est lui, le héros de l’anti-esclavagisme, et pas le Schœlcher bourgeois en redingote qui ne fit qu’octroyer, comme une charte, ce que Delgrès voulait conquérir par les armes, et pour quoi il mourut. Ainsi le souvenir de l’esclavage, si l’on ne peut s’en passer, chatouillera moins l’amour-propre antillais. Symbolisé par un Delgrès bien monté en épingle, le peuple aura l’impression d’avoir marqué lui-même son destin ...

Pourquoi pas Delgrès ? Delgresville, cinéma Delgrès, lycée Delgrès, hôpital Delgrès, etc. Quel merveilleux antidote contre tant d’années de servitude ! »
Voilà ce qu’écrivait l’ultraréactionnaire Jean Raspail qui concluait en disant : « Pour parader chez les anciens esclaves, la France n’a pas loupé l’occasion : elle a mobilisé Schœlcher. »

Ainsi les propos de Raspail sont au plus haut point d’actualité. Ils sont plus que vrais. Mais ce monsieur est allé plus loin : Quand en 2002, la municipalité de Paris dirigée par Bertrand Delanoe décide de renommer la rue Richepanse du nom de Chevalier de Saint-Georges, ce royaliste enragé écrit au maire de Paris pour que ce soit plutôt le nom de Delgrès qui soit retenu.
Lors d’une interview en novembre 2012 à Radio courtoisie, « la radio de toutes les droites », il déplorera que sa proposition n’ait pas été retenu, s’esclaffant : Ç’aurait été une belle revanche !

Mais chacun conviendra avec moi que tout cela ne fait pas de ce triste individu ni un progressiste (il s’en offusquerait), ni un révolutionnaire. C’est dire que cela ne suffit pas : aucun d’entre nous, partisan sincère et engagé pour la Souveraineté Nationale ne saurait se satisfaire du déboulonnage de Schœlcher sans jamais lever les yeux et porter le regard plus haut et surtout plus loin, vers un autre horizon que l’état de dépendance extrême dans lequel croupit le Péyi et vagit le Peuple.

Alors cette vérité à quatre sous ne saurait être la mienne. En réalité, chez Raspail, l’opposition à Schœlcher est me semble-t-il une opposition à la République, en dépit du fait que l’un de ses arrières grands-parents Raspail François-Vincent (dont l’une des rues de Pointe-à-Pitre porte le nom) ait été un des principaux acteurs de la proclamation de la 2ème République en février 1848 et un compagnon de Schœlcher.

Quand Raspail déclare sur Radio courtoisie « j’ai toujours été horripilé par Schœlcher », en réalité, c’est la République qu’il abhorre, c’est elle qui l’insupporte. Quand il dénie à Schœlcher le beau rôle, c’est aussi pour affirmer que la République n’a pas à s’enorgueillir d’avoir aboli l’esclavage et les bourgeois en redingote comme Schœlcher qui y trônaient non plus.
La palme et les honneurs doivent selon lui revenir à Delgrès notamment, qui devrait avoir des statues, des monuments et des villes en son nom et pour lui rendre hommage. Raspail, le royaliste dira encore que « Schœlcher est un faux-héros. C’est Delgrès le héros »

Il dit vrai incontestablement mais, ainsi que j’ai eu souvent à le répéter plagiant l’académicien Jean Rostand que parfois « sortant de certaines bouches, la vérité elle-même a mauvaise odeur. »

Voilà donc ce à quoi j’ai pensé lors de mon bokantaj de paroles avec mon ami. Voilà aussi ces « souvenirs » que me sont revenus à l’annonce du décès de Jean Raspail. Voilà comment et pourquoi j’ai fait le lien entre les deux et que j’ai lancé ce Vive Raspail qui en fait était, je l’avoue enfin, bien plus qu’une simple boutade.

Mais, ainsi que j’ai pu le dire par ailleurs, je tiens pour conclure à répéter à mon ami ceci : Schœlcher est un homme politique français. Il compte peu et pour rien pour ce DEMAIN qui nous intéresse. Il ne peut pas, d’où il est, tracer « une ligne de démarcation » et encore aujourd’hui, diviser les Guadeloupéens, qui plus est ceux qui ont entrepris de marcher ensemble vers l’Emancipation. S’agissant des différences de points de vue, notamment sur l’Histoire et/ou certains faits historiques il est certes important d’en discuter, de se disputer même, en évitant toujours ce faisant de se détourner de l’ESSENTIEL : la recherche de la Voie de la Responsabilité et de la Souveraineté. Mieux : la marche résolue, « tèt kolé ». Et si janmé Schœlcher, quoiqu’il fît en son temps de bon, de moins bon ou de détestable, devait constituer un poids qui nous divise, nous ralentisse ou nous écarte du chemin vers la Souveraineté ; si janmé il devait être à l’origine ou la cause de procès en sorcellerie et excommunications dans nos rangs, dans notre camp, alors qu’il aille au Diable lui aussi ... s’il n’y est déjà.
Ça fera de la compagnie à Jean Raspail. Ainsi nous poursuivrons, plus légers, notre route san pèd an chimen, san pèd chimen, san fè chimen kòsyè.


Par Ary BROUSSILLON (Sociologue-Historien) / Petit-Bourg, le 15 Juin 2020

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