lundi 19 mars 2012

CSLR - 66eme anniversaire des Départements d'Outre-mer


Ce jour, 19 mars 2012, est le soixante sixième anniversaire de l’érection de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, en Département français, par une loi votée par L’Assemblée Nationale Constituante le 19 mars 1946.

COHESION SOCIALE ET LIBERTES REPUBLICAINES souhaite un joyeux anniversaire à tous les originaires des départements d’outremer et leurs amis et les invite à relire un extrait du discours historique par lequel Aimé Césaire introduisit ce projet de loi devant l’Assemblée Nationale Constituante le 12 mars 1946.

Amédée ADELAIDE
Président de CSLR

extrait de discours : Aimé CÉSAIRE en pièce jointe
(Assemblée Nationale Constituante, 12 mars 1946)


Mesdames, messieurs, les propositions de loi qui vont sont soumises ont pour but de classer la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane française proprement dite en départements français.
Avant même d’examiner le bien fondé de ce classement, nous ne pouvons manquer de saluer ce qu’il y a de touchant dans une telle revendication de vieilles colonies.


Mesdames, messieurs, c’est là un fait sur lequel il convient d’insister : dans ces territoires où la nature s’est montrée magnifiquement dangereuse règne la misère la plus injustifiable.
Il faut, en particulier, avoir visité les Antilles pour comprendre ce qu’il y a de faux dans la propagande officielle qui tend à les présenter comme un paradis terrestre. En réalité, dans des paysages qui comptent parmi les plus beaux du monde on ne tarde pas à découvrir des témoignages révoltants de l’injustice sociale. A côté du château où habite le féodal – l’ancien possesseur d’esclaves – voici la case la paillote avec son sol de terre battue, son grabat, son humble vaisselle, son cloisonnement de toile grossière tapissée de vieux journaux. Le père et la mère sont aux champs. Les enfant y seront dès huit ans ; ils feront partie de ce qu’on appelle là-bas « les petites bandes » d’un terme qui rappelle assez curieusement « les petites hordes » de Fourier. La tâche est rude sous le soleil ardent ou parmi les piqûres de moustiques. Au bout de quelques années, pour celui qui s’y adonne et qui n’a pour tromper sa faim que les fruits cuits à l’eau de l’arbre à pain, il y a la maladie et l’usure prématurée.
Voilà la vie que mènent les trois quarts de la population de nos îles.
Si, plus favorisé, plus instruit, l’Antillais échappe à la servitude de la glèbe il deviendra petit fonctionnaire, et injustement repoussé des cadres généraux auxquels ses diplômes français devraient donner accès, refoulé dans des cadres dits « locaux », loin du ministre des colonies, loin de ses faveurs, sans garantie contre l’arbitraire du gouverneur, sans audience rue Oudinot, à la fois humilié et désarmé, il végétera, soumis à toutes les brimades d’une administration impitoyable.
En réalité, dans des pays qui sont pourtant vieille citoyenneté française, la notion de « cadre local » est une survivance fâcheuse du code de l’indigénat, survivance contre laquelle doivent s’élever tous ceux qui, comme nous, sont partisans de la doctrine : « à diplôme égal, ou à travail égal, salaire égal ». (Applaudissements à l’extrême gauche et sur les bancs.)
Pour nous résumer, nous n’hésitons pas à affirmer que, dans l’état actuel des choses, près d’un million de citoyens français, natifs des Antilles, de la Guyane et de la Réunion, sont livrés sans défense à l’avidité d’un capitalisme sans conscience et d’une administration sans contrôle. Et alors, on se prend répéter le mot de Diderot :
« Avoir des esclaves n’est rien. Ce qui est intolérable, c’est d’avoir des esclaves en les appelant citoyens. » (Applaudissements à l’extrême gauche à gauche et au centre.)
Assimiler les Antilles et leurs sœurs à la France ne signifie pas seulement introduire plus de justice dans la société d’outre-mer, cela signifie aussi prendre l’initiative d’une politique qui, à brève ou longue échéance, assainira l’économie de ces territoires en arrachant à de véritables monopoles privés des industries dont dépend toute la vie de ces colonies.
On comprendra ce que nous voulons dire lorsque nous préciserons, pour tout le monde, que l’économie antillaise, comme l’économie réunionnaise est faussée parce qu’elle se trouve dans la dépendance de dix familles qui, après s’être mises à l’abri de la concurrence mondiale par le jeu de complicités qu’il faudra dénoncer un jour, réussissent à imposer leurs produits à la métropole à des taux supérieurs aux prix mondiaux, comme elles imposent au prolétariat antillais ou réunionnais les salaires les plus bas du monde.
C’est dire que pour des raisons non seulement sociales, mais encore économiques, nous souhaitons de toutes nos forces l’extension aux Antilles et aux territoires analogues du grand mouvement qui a été inauguré en France et qui tend, sur la base des nationalisations, à organiser la production et surtout à la développer en fonction de l’intérêt général et non plus de quelques intérêts privés.
Bref, nous demandons à l’Assemblée d’approuver les trois propositions qui lui sont présentées parce que nous pensons qu’il ne doit pas y avoir deux capitalismes : le capitalisme métropolitain que l’on combat et qu’on limite, et le capitalisme d’outre-mer que l’on tolère et que l’on ménage. (Applaudissements.)
Nous en arrivons à nos conclusions.
L’assimilation qui vous est proposée est conforme aux vœux des populations.
Dès 1838, le conseil colonial de la Guadeloupe réclamait pour les populations antillaises le droit « d’être soustraites à l’exception coloniale » et d’être « replacées dans le droit commun des Français ».
En 1865, le baron de Lareinty, délégué de la Martinique au comité consultatif, formulait de la manière suivante les aspirations de la colonie :
« On répète sans cesse que les colonies sont françaises par leurs sentiments, par leur territoire, par leurs idées et par leur esprit de nationalité ; rien n’est plus vrai ; elle sont unies à la France par tout ce qui peut créer un lien indestructible…Mais si on le reconnaît, qu’on n’hésite donc plus à proclamer que les colons doivent jouir des droits attachés à la qualité de citoyens français et vivre sous des institutions qui sont, en France, l’un des éléments les plus puissants de la nationalité…C’est là ce qui leur manque ; des institutions surannées élèvent entre la France et les colonies, qui sont aussi la France, une barrière qu’il est temps d’abaisser. »
Ce que les représentants de la Martinique et de la Guadeloupe disaient déjà sous la Monarchie ou sous l’Empire, les parlementaires antillais le reprirent à l’adresse de la IIIe République.
Le 15 juillet 1890. M. Isaac sénateur de la Guadeloupe, et M. Allègre, sénateur de la Martinique, déposaient sur le bureau du Sénat une proposition de loi tendant à classer la Martinique et la Guadeloupe en départements français.
En 1915, MM. René Boisneuf et Lagrosillière, respectivement députés de la Guadeloupe et de la Martinique, déposaient une proposition de loi dans le même sens.
En 1919, c’est au tour de M. Henry Lémery, député de la Martinique.
Et ce ne sont pas seulement les parlementaires antillais qui réclament l’assimilation. Ce sont également les assemblées locales des deux colonies.
Parmi les innombrables vœux qu’elles émettent à cet effet, nous ne voulons vous en lire qu’un : le plus récent. C’est celui que le conseil général de la Martinique a voté en novembre 1945 lors de sa première réunion :
« Le conseil général de la Martinique, réuni en session ordinaire, salue l’Assemblée nationale constituante, le Gouvernement de la République française et son chef le général de Gaulle. Il fait confiance aux élus du peuple, à l’Assemblée constituante pour une véritable renaissance française par l’application intégrale du programme du C.N.R. et son extension aux vieilles colonies françaises, notamment en ce qui concerne les industries clés. Il espère que la nouvelle constitution française fera droit aux revendications unanimes et constantes des vieilles colonies en ce qui concerne leur assimilation aux départements français. Le conseil général s’engage à collaborer pour développer le prestige de la France qu’il désire voir forte et heureuse. Vive la République ! Vive la France ! »
Ce vœu, si noblement exprimé, nous vous demandons de le prendre en considération.
Nous savons que certains essaient de soulever contre le projet des objections d’un ordre très particulier, des objections d’ordre financier notamment. Nous savons que certains seraient assez partisans d’ajourner la réforme, sous prétexte qu’elle coûterait peut-être à la France.
Ces objections nous les réfuterons plus longuement quand l’occasion s’en présentera, comme nous les avons réfutées dans notre rapport annexe.
Cependant, dès maintenant, je tiens à dire que si l’admission de nouveaux territoires dans la famille française doit imposer des charges nouvelles à la métropole, elle lui apporte aussi des ressources nouvelles et des budgets parfaitement équilibrés.
Et puis j’ajoute – et c’est par là que je veux terminer – que si, par impossible, l’application de la loi nouvelle devait entraîner pour la France des dépenses supplémentaires, il serait indigne de ce pays, indigne de cette Assemblée, de s’arrêter, en un problème aussi important, à d’aussi mesquines considérations.
Depuis quelque temps, notre pensée se reporte invinciblement à la grande époque de 1848. A cette époque aussi, de graves questions se posaient et parmi elles, comme aujourd’hui, la question coloniale. Il s’agissait de savoir si on allait abolir, ou non, l’esclavage.
En ce temps là, comme aujourd’hui, on se rendait compte que le vieux système ne pouvait durer, mais on hésitait à faire le geste décisif qui allait le précipiter dans l’oubli.
Et il y avait des gens pour dire : « l’esclavage est abominable, certes, et moralement indéfendable. Mais, voyez comme il coûterait cher à la France de l’abolir. »
Eh bien ! en 1848, un grand homme s’est levé : c’était un alsacien. Victor Schoelcher (Applaudissements), que les noirs de mon pays ne sont pas prêts d’oublier. Mettant l’honneur de la nation au dessus de tout et s’insurgeant contre
je ne sais quelle dictature de la comptabilité, il prononça une phrase qui mérite d’être redite :
« Ce serait 260 millions que la métropole aurait à payer pour faire disparaître la servitude qui souille encore quelques terres françaises. La France doit donner cette somme ; et elle la donnera. Il faudrait désespérer de la grande nation si l’on pouvait douter d’obtenir des Chambres, l’argent nécessaire pour désinfecter les colonies. Elle a pu donner un milliard aux émigrés ; et elle ne pourrait payer l’affranchissement ! Nous ne voulons pas le croire ! Il ne s’agit pas du Trésor ; il s’agit de la morale ! »
Eh bien ! Mesdames, messieurs, nous avons confiance dans cette Assemblée, certains qu’elle n’entachera son geste d’aucun marchandage.
Quatre colonies, arrivées à leur majorité demandent un rattachement plus strict à la France.
Vous apprécierez cette pensée à sa juste valeur, j’en suis sûr, à cette heure où l’on entend des craquements sinistres dans les constructions de l’impérialisme.
Ce que nous demandons, c’est de faire que l’expression « France d’outre-mer » ne soit pas une vaine figure de rhétorique.
Plus ambitieusement encore, nous vous demandons, par une mesure particulière d’affirmer solennellement un principe général, à savoir que, dans ce cadre que l’on commence à appeler l’Union française il ne doit plus y avoir de place, pas plus entre les individus qu’entre les collectivités, pour des relations de maîtres à serviteurs, mais il doit s’établir une fraternité agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse, dont il est permis d’attendre les plus hautes révélations. (Applaudissement.)


Lien pour l'intégralité du discours
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/images/rapport-520.pdf

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