AIME CESAIRE, UN NEGRE FONDAMENTAL
Ce petit homme-là a reçu la reconnaissance des plus grands. Ecrivain, poète, dramaturge, il est l’inventeur du terme 'négritude'. Figure politique de gauche, il fut maire de Fort-de-France pendant cinquante-six ans. A 94 ans, Aimé Césaire consacre encore toute son énergie à ses concitoyens de la Martinique. Les réalisateurs de ce film ont accompagné sur le terrain celui qui, au crépuscule de sa vie, conserve intacts sa réflexion, ses convictions et son engagement pour la fraternité des peuples et la dignité du sien.
"Je ne suis pas du tout anti-Français… J'aime beaucoup la culture française, la langue française. Mais je sais que nous sommes d'origine africaine et je n'ai jamais accepté le piétinement de l'Afrique. Nègres, nous le sommes.
(Son arrivée à Paris en 1932)
Je vais me faire inscrire au lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques… En sortant du secrétariat, je vois un petit homme noir en blouse grise, une ceinture de ficelle autour des reins… Je le regarde, il me regarde. Il marche vers moi : "Alors, bizut, comment t’appelles-tu ?" "Aimé Césaire, de la Martinique. Et toi ?" "Léopold Sédar Senghor. Je suis de Dakar !" Il me donne une embrassade. "Bizut, tu seras mon bizut !"
Avec Senghor, nous avons beaucoup parlé, nous avions les mêmes problèmes : un homme de couleur, l’Afrique, les Antilles… Il est devenu député un peu MRP, un peu socialisant ; moi, communiste mais assez "-isant" Et nous sommes restés très amis, très copains jusqu’à la fin de sa vie.
Il y a toujours ce proverbe africain qui me revient et qui dit : "Quand tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens." En me souvenant d’où je viens, je retrouve la négraille, l’habitation, la rue Case-Nègres, je retrouve mon histoire… C’est ça qui m’a toujours guidé. C’est cela pour moi être noir.
La quête surréaliste… c’était descendre au plus profond de soi-même. C’était libérer l’imaginaire refoulé. Nous sommes dans la lignée de la psychanalyse. Cela m’intéressait, moi, martiniquais, sorbonnard, normalien : faisons ça !... Qu’est-ce qu’on va trouver ? Aller plus loin, encore plus loin… Mais ce que j’ai trouvé en moi, en rigolant d’ailleurs, c’est le nègre fondamental, tout simplement. C’est tout.
Je suis devenu un homme politique presque sans le vouloir. Je n’ai pas osé leur dire non.
(Sa démission du PCF)
Moi, j’étais communiste communisant, mais martiniquais et nègre. C’était ça, la rupture. Je ne pouvais pas me contenter d’être un sous-parti français et dominé par des Français. C’était presque une sorte de colonialisme politique… On n’avait pas les mêmes préoccupations.
(Son discours pour l’autonomie de la Martinique à la fin des années 50)
Si vous ne croyez pas aux élections, il ne vous reste qu’une solution : l’insurrection ! En bref, l’indépendance ne se donne pas : ça se prend, ça s’arrache, ça se paie en sang et en cadavres. Et je vous le demande, la Martinique est-elle prête à payer ce prix-là ?
Je suis pour l’émancipation de l’homme, autrement dit libérer l’homme de tout carcan, de toute contrainte… Dans "émancipation", il y a quand même mancipium. C’est in manu capere : "prendre quelqu’un en main". Alors "émancipation", c’est se prendre en main soi-même. C’est pour moi une valeur essentielle.
La Martinique… c’est un tout petit pays, c’est rien du tout, un bloc de rochers… Il y a des problèmes économiques et des problèmes sociaux liés à un développement économique insuffisant…
Aimé CésaireC’est un peuple que j’aime, je sais comment il est né, je sais comment il a vécu, les difficultés que nous avons rencontrées, les difficultés que nous avons à vaincre pour l’épanouissement de ce peuple. C’est la chose capitale pour moi. C’est mon peuple. Je suis de ce peuple… J’ai juré de l’aider de toutes mes forces.
Je me suis toujours senti essentiellement africain, de tempérament, d’histoire. L’Afrique, je ne la connais pas beaucoup, mais elle est en moi.
Une Afrique nouvelle, des Antilles nouvelles, c’est ça la condition de l’avenir.
Nous vivons un siècle de douleur, donc de nostalgie, mais en même temps de confiance et d’espérance.
Il nous faut une fraternité… le monde en a pris conscience. Nous méritons d’être considérés comme des peuples, avec la dignité que cela représente.
J’ai apporté une parole d’homme… Je crois vraiment en l’homme, en l’humanité et en la fraternité."
Première diffusion : vendredi 9 novembre 2007 à 20:40 (câble, satellite et TNT), dimanche 11 novembre à 11:45 (hertzien et TNT).
Durée : 52'
Auteur : François Fèvre
Réalisation : Laurent Chevallier et Laurent Hasse
Production : France 5 / 2F Productions
Année : 2007
Blog dédie au poète Aimé Césaire notamment à son oeuvre, sa poésie et collectant les articles qui ont été publiés sur ce grand homme martiniquais
dimanche 11 novembre 2007
samedi 10 novembre 2007
dimanche 4 novembre 2007
"Les petits nègres que nous étions..."
Seule la salle des professeurs sera épargnée. Cela tombe bien, car c'est là que le plus illustre des enseignants a dispensé ses cours. C'est gravé sur une plaque de marbre : "Dans cette salle, de 1939 à 1944, a enseigné Aimé Césaire." Tous les autres bâtiments sont promis aux démolisseurs. Le lycée Schoelcher de Fort-de-France doit être rasé à partir de l'an prochain pour céder la place à un nouvel édifice.
C'est le conseil régional, présidé par un indépendantiste, Alfred Marie-Jeanne, qui a décidé en 2004 de rebâtir de fond en comble ce lieu usé. Il a confié le chantier à deux architectes antillais, Alain Nicolas et Gustavo Torres, qui prévoient des bâtiments alignés dans une rue-balcon protégée de la pluie et du soleil.
Mais avant ce bouleversement, le temple du savoir en Martinique fête ses 70 ans. "En fait, il a 126 ans, corrige l'historien Edouard de Lépine. Le premier lycée de l'île a ouvert en 1881 à Saint-Pierre. Ainsi l'a voulu le conseil général de la colonie, composé de mulâtres républicains, qui, deux décennies après l'abolition de l'esclavage et avant Jules Ferry, avait décidé que l'école y serait laïque et gratuite." Les liens entre la Martinique et l'instruction sont alors scellés.
Début 1902, celui qui est le seul lycée de l'île est baptisé Victor-Schoelcher, du nom de l'émancipateur. Le 6 mai suivant, une nuée ardente crachée par le volcan de la montagne Pelée raye la ville et ses 28 000 habitants de la carte. C'est à Fort-de-France que la rentrée suivante se fera. Le lycée est d'abord installé dans les locaux de l'externat colonial. Les classes laborieuses savent que l'étude est le seul moyen pour les garçons d'échapper à un avenir de coupeur de canne : "On a dit à ma mère que je pourrais en sortir avec assez de savoir pour aller en France et devenir médecin, avocat, ingénieur", écrit Joseph Zobel, lui-même ancien élève, dans son roman La Rue Cases-Nègres. "C'était une chance, un rêve extraordinaire pour les petits nègres que nous étions", confirme Edouard de Lépine, qui a été interne.
"L'ÉCOLE ÉTAIT SACRÉE"
En 1937, toujours unique lycée martiniquais, l'actuel établissement est ouvert, ensemble de bâtiments construits à flanc de colline sur trois niveaux, ventilé par les alizés. Avec ses terrasses et ses passerelles surplombant la baie, il a des allures de navire de haut bord, exemple typique d'une architecture coloniale qui use du béton de façon moderne.
Tout au long du siècle, l'élite politique, économique et culturelle martiniquaise a été formée au lycée Schoelcher. Les plus chanceux ont eu Aimé Césaire comme professeur de français et de littérature classique. Tout jeune, il ouvrait ses cours à Rimbaud, à Lautréamont ou à l'Afrique. Ses anciens élèves témoignent qu'il redonnait vie à tout l'établissement, que les faibles réussissaient, que les découragés reprenaient goût aux études. Parmi les privilégiés, Edouard Glissant, Frantz Fanon ou Georges Desportes, qui résumera : "Il fut un levain."
A son tour, Edouard de Lépine devient professeur dans son lycée. De 1959 à 1986, il enseigne l'histoire : "Pour des générations, explique-t-il, l'école passait avant tout, avant même la terre, à égalité avec le droit de vote. Pendant un siècle environ, l'école était sacrée. Dans la Caraïbe, il n'y a pas un pays qui ait eu plus tôt que nous le souci du savoir."
Les élèves d'aujourd'hui du lycée Schoelcher ressentent-ils encore la magie de leurs murs chargés d'histoire ? Ces lycéens de terminale S l'assurent : "C'est une fierté, car notre lycée a une histoire" (Joris) ; "Mes racines s'y trouvent, mon père y a été lycéen avant moi, à nous de continuer ce qu'ont fait nos aînés" (Fabienne) ; "Beaucoup de grands hommes en sont sortis. Généralement, quand on est passé par le lycée Schoelcher, on arrive à intégrer de bonnes écoles" (Océane). Le proviseur, Georges Pinto, s'en fait l'écho : "La très grande majorité assume l'héritage." Ce qui compte pour eux, ce sont les résultats. Leur établissement affiche des chiffres plus qu'honorables : 93,8 % de réussite au baccalauréat cette année, avec 28 mentions très bien, le nombre le plus élevé de l'Académie.
A la dernière rentrée, 22 917 lycéens ont été accueillis dans les 23 lycées de la Martinique.
Patrice Louis
Article paru dans l'édition du 04.11.07
Un lycée "historique", selon Aimé Césaire
Aimé Césaire n'était âgé que de 26 ans quand, de retour au pays natal, il a commencé à enseigner au lycée Schoelcher, dont il a été le plus illustre des maîtres. Recevant Le Monde dans son bureau de maire honoraire de Fort-de-France, ville qu'il a dirigée pendant plus d'un demi-siècle, le poète, aujourd'hui âgé de 94 ans, convient que ses cours sortaient de l'ordinaire. Ses élèves se proclamaient même ses "disciples" : "J'arrivais tout juste de Paris. J'étais bizarrement coiffé d'une casquette et j'avais des points de vue sur l'enseignement très différents du classicisme étroit du temps. Ma conception de la littérature était plus moderne. C'était l'époque du surréalisme. Les notions traditionnelles en ont pris un coup."
La Martinique se souvient-elle encore de ce qu'elle doit à son lycée historique ? "Il faut lui en donner conscience. C'est vrai, c'est un symbole et un symbole a la vie dure. Ce qui reste, c'est l'idée de la Martinique, du caractère indispensable de la culture, de l'ouverture sur le monde."
"LE GARDER À TOUT PRIX"
Aimé Césaire n'a toujours pas digéré l'idée lancée par le président du conseil régional de Martinique de substituer son nom à celui de Schoelcher, un homme qu'il "vénère" : "Nous lui devons tout", résume-t-il. L'an dernier, il affirmait son refus, insistant sur son attachement à un lycée "devenu un monument historique que nous devons garder à tout prix". Aujourd'hui, il considère que "des réparations s'imposent, une modernisation, mais pas une suppression".
Aimé Césaire a adressé, le 10 octobre, une lettre à Christine Albanel, ministre de la culture, lui demandant de "classer bâtiment historique le lycée Schoelcher de Fort-de-France le plus rapidement possible".
Patrice Louis
La Martinique se souvient-elle encore de ce qu'elle doit à son lycée historique ? "Il faut lui en donner conscience. C'est vrai, c'est un symbole et un symbole a la vie dure. Ce qui reste, c'est l'idée de la Martinique, du caractère indispensable de la culture, de l'ouverture sur le monde."
"LE GARDER À TOUT PRIX"
Aimé Césaire n'a toujours pas digéré l'idée lancée par le président du conseil régional de Martinique de substituer son nom à celui de Schoelcher, un homme qu'il "vénère" : "Nous lui devons tout", résume-t-il. L'an dernier, il affirmait son refus, insistant sur son attachement à un lycée "devenu un monument historique que nous devons garder à tout prix". Aujourd'hui, il considère que "des réparations s'imposent, une modernisation, mais pas une suppression".
Aimé Césaire a adressé, le 10 octobre, une lettre à Christine Albanel, ministre de la culture, lui demandant de "classer bâtiment historique le lycée Schoelcher de Fort-de-France le plus rapidement possible".
Patrice Louis
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