dimanche 11 novembre 2007

Empreintes

AIME CESAIRE, UN NEGRE FONDAMENTAL

Ce petit homme-là a reçu la reconnaissance des plus grands. Ecrivain, poète, dramaturge, il est l’inventeur du terme 'négritude'. Figure politique de gauche, il fut maire de Fort-de-France pendant cinquante-six ans. A 94 ans, Aimé Césaire consacre encore toute son énergie à ses concitoyens de la Martinique. Les réalisateurs de ce film ont accompagné sur le terrain celui qui, au crépuscule de sa vie, conserve intacts sa réflexion, ses convictions et son engagement pour la fraternité des peuples et la dignité du sien.


"Je ne suis pas du tout anti-Français… J'aime beaucoup la culture française, la langue française. Mais je sais que nous sommes d'origine africaine et je n'ai jamais accepté le piétinement de l'Afrique. Nègres, nous le sommes.

(Son arrivée à Paris en 1932)
Je vais me faire inscrire au lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques… En sortant du secrétariat, je vois un petit homme noir en blouse grise, une ceinture de ficelle autour des reins… Je le regarde, il me regarde. Il marche vers moi : "Alors, bizut, comment t’appelles-tu ?" "Aimé Césaire, de la Martinique. Et toi ?" "Léopold Sédar Senghor. Je suis de Dakar !" Il me donne une embrassade. "Bizut, tu seras mon bizut !"

Avec Senghor, nous avons beaucoup parlé, nous avions les mêmes problèmes : un homme de couleur, l’Afrique, les Antilles… Il est devenu député un peu MRP, un peu socialisant ; moi, communiste mais assez "-isant" Et nous sommes restés très amis, très copains jusqu’à la fin de sa vie.
Il y a toujours ce proverbe africain qui me revient et qui dit : "Quand tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens." En me souvenant d’où je viens, je retrouve la négraille, l’habitation, la rue Case-Nègres, je retrouve mon histoire… C’est ça qui m’a toujours guidé. C’est cela pour moi être noir.

La quête surréaliste… c’était descendre au plus profond de soi-même. C’était libérer l’imaginaire refoulé. Nous sommes dans la lignée de la psychanalyse. Cela m’intéressait, moi, martiniquais, sorbonnard, normalien : faisons ça !... Qu’est-ce qu’on va trouver ? Aller plus loin, encore plus loin… Mais ce que j’ai trouvé en moi, en rigolant d’ailleurs, c’est le nègre fondamental, tout simplement. C’est tout.

Je suis devenu un homme politique presque sans le vouloir. Je n’ai pas osé leur dire non.

(Sa démission du PCF)
Moi, j’étais communiste communisant, mais martiniquais et nègre. C’était ça, la rupture. Je ne pouvais pas me contenter d’être un sous-parti français et dominé par des Français. C’était presque une sorte de colonialisme politique… On n’avait pas les mêmes préoccupations.

(Son discours pour l’autonomie de la Martinique à la fin des années 50)
Si vous ne croyez pas aux élections, il ne vous reste qu’une solution : l’insurrection ! En bref, l’indépendance ne se donne pas : ça se prend, ça s’arrache, ça se paie en sang et en cadavres. Et je vous le demande, la Martinique est-elle prête à payer ce prix-là ?

Je suis pour l’émancipation de l’homme, autrement dit libérer l’homme de tout carcan, de toute contrainte… Dans "émancipation", il y a quand même mancipium. C’est in manu capere : "prendre quelqu’un en main". Alors "émancipation", c’est se prendre en main soi-même. C’est pour moi une valeur essentielle.

La Martinique… c’est un tout petit pays, c’est rien du tout, un bloc de rochers… Il y a des problèmes économiques et des problèmes sociaux liés à un développement économique insuffisant…

Aimé CésaireC’est un peuple que j’aime, je sais comment il est né, je sais comment il a vécu, les difficultés que nous avons rencontrées, les difficultés que nous avons à vaincre pour l’épanouissement de ce peuple. C’est la chose capitale pour moi. C’est mon peuple. Je suis de ce peuple… J’ai juré de l’aider de toutes mes forces.

Je me suis toujours senti essentiellement africain, de tempérament, d’histoire. L’Afrique, je ne la connais pas beaucoup, mais elle est en moi.

Une Afrique nouvelle, des Antilles nouvelles, c’est ça la condition de l’avenir.
Nous vivons un siècle de douleur, donc de nostalgie, mais en même temps de confiance et d’espérance.

Il nous faut une fraternité… le monde en a pris conscience. Nous méritons d’être considérés comme des peuples, avec la dignité que cela représente.

J’ai apporté une parole d’homme… Je crois vraiment en l’homme, en l’humanité et en la fraternité."


Première diffusion : vendredi 9 novembre 2007 à 20:40 (câble, satellite et TNT), dimanche 11 novembre à 11:45 (hertzien et TNT).

Durée : 52'
Auteur : François Fèvre
Réalisation : Laurent Chevallier et Laurent Hasse
Production : France 5 / 2F Productions
Année : 2007

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