Blog dédie au poète Aimé Césaire notamment à son oeuvre, sa poésie et collectant les articles qui ont été publiés sur ce grand homme martiniquais
dimanche 4 novembre 2007
"Les petits nègres que nous étions..."
Seule la salle des professeurs sera épargnée. Cela tombe bien, car c'est là que le plus illustre des enseignants a dispensé ses cours. C'est gravé sur une plaque de marbre : "Dans cette salle, de 1939 à 1944, a enseigné Aimé Césaire." Tous les autres bâtiments sont promis aux démolisseurs. Le lycée Schoelcher de Fort-de-France doit être rasé à partir de l'an prochain pour céder la place à un nouvel édifice.
C'est le conseil régional, présidé par un indépendantiste, Alfred Marie-Jeanne, qui a décidé en 2004 de rebâtir de fond en comble ce lieu usé. Il a confié le chantier à deux architectes antillais, Alain Nicolas et Gustavo Torres, qui prévoient des bâtiments alignés dans une rue-balcon protégée de la pluie et du soleil.
Mais avant ce bouleversement, le temple du savoir en Martinique fête ses 70 ans. "En fait, il a 126 ans, corrige l'historien Edouard de Lépine. Le premier lycée de l'île a ouvert en 1881 à Saint-Pierre. Ainsi l'a voulu le conseil général de la colonie, composé de mulâtres républicains, qui, deux décennies après l'abolition de l'esclavage et avant Jules Ferry, avait décidé que l'école y serait laïque et gratuite." Les liens entre la Martinique et l'instruction sont alors scellés.
Début 1902, celui qui est le seul lycée de l'île est baptisé Victor-Schoelcher, du nom de l'émancipateur. Le 6 mai suivant, une nuée ardente crachée par le volcan de la montagne Pelée raye la ville et ses 28 000 habitants de la carte. C'est à Fort-de-France que la rentrée suivante se fera. Le lycée est d'abord installé dans les locaux de l'externat colonial. Les classes laborieuses savent que l'étude est le seul moyen pour les garçons d'échapper à un avenir de coupeur de canne : "On a dit à ma mère que je pourrais en sortir avec assez de savoir pour aller en France et devenir médecin, avocat, ingénieur", écrit Joseph Zobel, lui-même ancien élève, dans son roman La Rue Cases-Nègres. "C'était une chance, un rêve extraordinaire pour les petits nègres que nous étions", confirme Edouard de Lépine, qui a été interne.
"L'ÉCOLE ÉTAIT SACRÉE"
En 1937, toujours unique lycée martiniquais, l'actuel établissement est ouvert, ensemble de bâtiments construits à flanc de colline sur trois niveaux, ventilé par les alizés. Avec ses terrasses et ses passerelles surplombant la baie, il a des allures de navire de haut bord, exemple typique d'une architecture coloniale qui use du béton de façon moderne.
Tout au long du siècle, l'élite politique, économique et culturelle martiniquaise a été formée au lycée Schoelcher. Les plus chanceux ont eu Aimé Césaire comme professeur de français et de littérature classique. Tout jeune, il ouvrait ses cours à Rimbaud, à Lautréamont ou à l'Afrique. Ses anciens élèves témoignent qu'il redonnait vie à tout l'établissement, que les faibles réussissaient, que les découragés reprenaient goût aux études. Parmi les privilégiés, Edouard Glissant, Frantz Fanon ou Georges Desportes, qui résumera : "Il fut un levain."
A son tour, Edouard de Lépine devient professeur dans son lycée. De 1959 à 1986, il enseigne l'histoire : "Pour des générations, explique-t-il, l'école passait avant tout, avant même la terre, à égalité avec le droit de vote. Pendant un siècle environ, l'école était sacrée. Dans la Caraïbe, il n'y a pas un pays qui ait eu plus tôt que nous le souci du savoir."
Les élèves d'aujourd'hui du lycée Schoelcher ressentent-ils encore la magie de leurs murs chargés d'histoire ? Ces lycéens de terminale S l'assurent : "C'est une fierté, car notre lycée a une histoire" (Joris) ; "Mes racines s'y trouvent, mon père y a été lycéen avant moi, à nous de continuer ce qu'ont fait nos aînés" (Fabienne) ; "Beaucoup de grands hommes en sont sortis. Généralement, quand on est passé par le lycée Schoelcher, on arrive à intégrer de bonnes écoles" (Océane). Le proviseur, Georges Pinto, s'en fait l'écho : "La très grande majorité assume l'héritage." Ce qui compte pour eux, ce sont les résultats. Leur établissement affiche des chiffres plus qu'honorables : 93,8 % de réussite au baccalauréat cette année, avec 28 mentions très bien, le nombre le plus élevé de l'Académie.
A la dernière rentrée, 22 917 lycéens ont été accueillis dans les 23 lycées de la Martinique.
Patrice Louis
Article paru dans l'édition du 04.11.07
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