Frankétienne est né en 1936 à Ravine-Sèche, petit village de la province de l'Artibonite d'une mère noire, très jeune et d'un père industriel américain blanc dont il garde la peau claire et les yeux verts. Dans le quartier populaire du Bel-Air, il va bientôt devoir assumer cette différence qui lui vaut des surnoms péjoratifs, dévalorisants comme blan mannan, blan popan qui désigne le blanc pauvre en Haïti. Très intelligent, Frankétienne fait de brillantes études, il est diplômé de l'Ecole nationale des hautes études internationales. Il fonde sa propre école où il enseigne presque toutes les matières. Il entre en littérature sous les influences de la romancière Marie Vieux Chauvet et les poètes de Haïti littéraire en publiant en 1938 un recueil de poésie Chevaux de l'avant-jour et un roman Mûr à crever en 1968 qui annonce ce bouleversement que son oeuvre va provoquer dans la littérature haïtienne par l'éclatement de l'écriture. Peu à peu sa personnalité se forge, il se dégage de ses premières influences pour aller plus loin dans sa quête de création absolue qui bouscule le langage à sa limite extrême. Il fonde le Mouvement spiralisme avec deux autres écrivains qui vont eux aussi devenir majeurs : Jean-Claude Fignolé et René Philoctète. Dès Mûr à crever, il énonce une première définition du spiralisme conforme à son oeuvre :
Le spiralisme cerne la vie au niveau des associations (par les couleurs, les sons, les lignes, les mots) et des connexions historiques (par les situations dans l'espace et le temps). Non dans un circuit fermé. Mais suivant une spirale. D'une richesse telle que chaque nouvelle spire, plus élargie, plus élevée que la précédente, agrandit l'arc de vision. [...] En ce sens comme moyen d'expression-efficient par excellence-le spiralisme utilise le genre total où sont mariés harmonieusement la description romanesque, le souffle poétique, l'effet théâtral, les récits, les contes, les esquisses autobiographiques, la fiction. De Ultravocal, récit polyphonique d'une grande densité poétique où s'entremêlent le je le tu le nous à l'Oiseau schizophone où il a atteint l'extrême délire du langage jusqu'à construire des phrases composées entièrement de néologismes, en passant par Dezafi premier roman en créole haïtien, roman de déconstruction formelle et renaissance de la conscience, et Eros-chimère, Frankétienne n'a jamais abandonné ses manières de pyromane. En plus d'une quarantaine de livres, roman, poésie, théâtre, spirale, il a illustré l'esthétique du chaos et « la spirale enflammée de violence et d'horreurs ». Bien que sur les planches du monde entier avec Garnel Innocent pour jouer sa dernière pièce de théâtre Melovivi ou le piège qui évoque la catastrophe du 12 janvier, il a eu le temps de parachever un livre de 568 pages intitulé Textamentaires qui annonce par le titre que c'est l'un de ses derniers livres qui seront des testaments, les derniers cahiers de fin de voyage. Textamentaires est un voyage à l'intérieur de l'être, le moi va à la recherche de la conscience par des fulgurances poétiques. C'est une spirale plutôt poétique plus ou moins ouverte, mais toujours exigeante dans ses images qui brûlent indéfiniment pour exorciser l'angoisse existentielle et le chaos.
Corps inouï d'éclairs intarissables
je me retire du dérisoire
je m'abstrais du tangible
sans jamais m'évanouir
pour retrouver mon être
dans l'opulence des voyages intuitifs
au présent perpétuel
de l'énergie intemporelle
Frankétienne
Textamentaires
Spirale 2010
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