vendredi 19 août 2011

Il y a 50 ans mourait assassiné Jacques Stephen Alexis



Qui s'en souvient aujourd'hui ? Pourquoi rien n'a été organisé au niveau des autorités publiques, des organisations politiques et du secteur cuturel pour magnifier sa vie et son oeuvre ? Quel silence de mort!

Né le 22 avril 1922 à Gonaïves, Jacques Stephen Alexis fut arrêté, torturé et assassiné en avril 1961, à la suite d'un débarquement sur la plage de Bombardopolis (Nord-Ouest) en compagnie de quatre compagnons, Charles Adrien-Georges, Guy Béliard, Hubert Dupuis-Nouillé et Max Monroe. Tragique, la mort de Jacques Stephen Alexis et des membres de son expédition, sans doute trahis, n'a jamais été officiellement reconnue.

Hier, quel triste sort pour un intellectuel de cette envergure ! Aujourd'hui, quelle indifférence collective!

Son père, le journaliste Stephen Alexis, auteur du Nègre masqué (1933), étant nommé à un poste diplomatique en Europe, Jacques Stephen Alexis entreprend des études au prestigieux Collège Stanislas, à Paris. De retour en Haïti en 1930, il poursuit ses études au Collège Saint-Louis de Gonzague, puis à la Faculté de médecine. Doté d'une grande curiosité, il fait la connaissance de Jacques Roumain et de Nicolas Guillen en 1942. Animé par un dynamisme contagieux, il fonde La Ruche, journal d'opposition, qui jouera un rôle décisif lors de la révolution de 1946. Membre du parti Communiste haïtien, il conteste l'élection de Dumarsais Estimé. Pour tant d'insolence, il est emprisonné. A sa sortie, il passe son Doctorat en médecine et se rend à Paris. Brillant mais plein d'idéal, patriote courageux et révolté, il mène de front une triple activité : professionnelle (il se spécialise en neurologie), politique (par les Jeunesses communistes et la Fédération de Paris, il prend contact avec divers partis communistes, dont celui de Chine) et littéraire (il se lie avec le grand poète français Louis Aragon, avec les écrivains de la Négritude et les écrivains latino-américains). En 1955, la célèbre maison d'édition Gallimard publie son premier roman, Compère Général Soleil, dont le succès est immédiat. Auréolé de cette gloire littéraire surprenante, il rentre en Haïti.

Inquiété par les autorités, Jacques-Stephen Alexis prend part néanmoins aux débats culturels et politiques en cours. Avec une compétence avérée, il apporte une contribution importante en 1956 à Paris, au Premier Congrès des Écrivains et Artistes Noirs : Prolégomènes à un Manifeste du Réalisme Merveilleux des Haïtiens. A un rythme étonnant, il publie deux romans et un recueil de courts textes : Les Arbres musiciens (1957), L'Espace d'un cillement (1959) et Romancero aux étoiles (1960). Infatigable agitateur et irrésistible agitateur d'idées, il participe dans le même temps à divers congrès internationaux, dont celui de l'Union des Écrivains Soviétiques (1959). Obsédé par la longue durée, le pouvoir de Duvalier père accentue fortement l'atmosphère d'insécurité autour de lui et empêche certaines de ses activités. Invité en Chine en 1961 et conscient de la déchirure qui se déclare entre les deux grands Etats communistes, il tente de faciliter un dernier rapprochement. Reconnu et respecté sur le plan international, il rencontre Ho Chi Minh, Mao, et lance des appels remarqués pour l'unité du mouvement communiste international. Obnubilé par ses idées marxistes-léninistes de révolution et de progrès collectif, il rentre à Cuba, avec la décision d'entrer dans la clandestinité avant de venir mourir assassiné en Haïti.
On a là une vie palpitante, hors normes, exemplaire jusque dans son dénouement héroïque. On a là une oeuvre dense, impressionnante de générosité politique et de justesse sociologique, écrite dans une langue charnelle et tumultueuse, construite pour durer tant que nos malheurs de peuple meurtri ne seront pas exorcisés.


Pierre-Raymond Dumas

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