jeudi 18 août 2011

ECRIRE POUR LA JEUNESSE : Un choix aux accents de gageure, de paradoxe et… de jubilation




(Contribution au Colloque Diversité culturelle dans la Caraïbe – La Havane, Cuba, 16 au 20 mai 2011)

La littérature jeunesse en Martinique subit de façon amplifiée le sort de toute la littérature - essentiellement la perte de lecteurs happés par le développement exponentiel du multimédia et le peu d’intérêt et donc d’engagement des politiques pour ce parent pauvre de la culture. A quoi il convient d’ajouter les limites liées à l’insularité, à notre arrogante frilosité à l’égard des autres peuples du bassin caribéen et à notre imaginaire de toujours-colonisés éduqués à n’accorder de crédit qu’à ce qui a d’abord été validé par la France, le reste de l’Europe et les Etats-Unis. De surcroit, la littérature jeunesse souffre encore d’être considérée comme un genre mineur.
Dans un tel contexte, choisir d’écrire - et de continuer d’écrire - pour la jeunesse relève d’une véritable gageure.
Pourtant, paradoxalement, en dépit des freins évoqués, notre littérature jeunesse fait montre d’une incontestable vitalité. Preuve qu’il y a pour les auteurs-jeunesse dont je suis, un indéniable bonheur, une secrète jubilation à faire naître des histoires, des poèmes, des chansons pour notre jeunesse et, partant, pour l’enfant qui s’obstine à trouver asile en notre intérieur, quelque part entre âme et cœur, tandis que nous nous évertuons à devenir ou à paraître adultes…


La littérature-jeunesse, entre élan vivace et clichés tenaces
« La littérature jeunesse est en pleine croissance avec un chiffre d’affaire de 526 millions d’euros pour 70 millions de volumes vendus en 2007 et une profusion de sites Internet et de blogs qui lui sont consacrés. Mais derrière ce bilan optimiste qui s’explique en partie par l’engouement du public pour certains titres (Harry Potter, Twilight, fantasy française et anglo-saxonne etc.) se cachent des disparités importantes et une fragilisation des structures de promotion et de médiation du livre jeunesse. » (La Petite Bibliothèque Ronde)
Ces chiffres fournis par le site de la PBR valent pour la France. La littérature caribéenne pour enfants semble bénéficier elle aussi de cette croissance.
Conscients de l’énorme manque relatif aux propositions de lectures pour les plus jeunes, auteurs, éditeurs et autres acteurs du livre tentent de leur offrir un choix à la fois qualitatif et quantitatif plus conséquent. Nous choisissons de ne pas abonder dans le sens de ceux qui considèrent que l’intérêt pour cette littérature n’est justifié que par des motifs mercantiles, par l’espoir secret de dénicher la poule aux œufs d’or, de devenir les nouveaux JK Rowlings. L’on voit même les stars du show-biz ou du sport, qui, sentant venir le vent, prennent la plume à destination des plus jeunes.

En Martinique l’élan est vigoureux, orchestré par une majorité de femmes. Les Alex Godard, Patrick Chamoiseau, Serge Restog, Jack Exily, André Lagier, Jude Duranty (et quelques autres auxquels nous demandons pardon de ne pas les citer) sont minoritaires face à la joyeuse et néanmoins opiniâtre inventivité créative des femmes inspirées par leurs brillantes aînées, Ina Césaire, Marie-Thérèse Rouil, Jacqueline Labbé, Arlette Rosa-Lameynardie, ect. Citons pêle-mêle Marie-Ange Bernabé, Jala (alias Jeannine Lafontaine), auteur pour enfants et éditrice, Ginoux, Nicole Noizet, Anique Sylvestre, Mireille Desroses-Bottius, Béatrice Tell, Marie-Line Ampigny, là aussi, liste non exhaustive et mille excuses à celles dont le nom n’apparaîtrait pas ici.
Cette parole en direction des jeunes est souvent animée d’un fort souffle poétique et comme c’est le cas pour un large pan de la littérature antillaise, elle puise sa sève dans les racines de l’héritage du conte, cette parole de nuit où, à l’abri des oreilles et des yeux du maître, nos ancêtres s’osaient à déployer le champ fécond et douloureux de la nostalgie et de l’espérance…

Ecrire pour la jeunesse, c’est d’abord écrire. Et écrire c’est être confronté à l’âpreté du métier d’écrivain, un métier de « travailleur indépendant » qui pâtit de la vulnérabilité liée au statut des travailleurs indépendants, sans pour autant bénéficier en rien des aides et dispositifs auxquels peuvent prétendre ces mêmes travailleurs.  L’écrivain est sans doute le seul travailleur à concevoir un projet professionnel sans salaire garanti, sans sécurité sociale, sans congés payés, sans régime de retraite.
Ecrire c’est être victime du cliché de l’écrivain-cigale, du rêveur vivant d’écriture et d’eau fraîche. Or, nous le rappelle Dany Laferrière, « Il faut arriver à l’idée que c’est la chose la plus normale, la plus simple, la plus banale, que de payer quelqu’un pour l’énergie qu’il vous vend. » Nous en convenons, écrire requiert une phénoménale énergie !
Le caractère sacerdotal du métier d’écrivain le devient encore davantage quand il s’agit d’écrire pour la jeunesse. Car il faut l’avouer, les auteurs-jeunesse souffrent d’une forme de condescendance de la part des auteurs tout public et d’un désintérêt parfois à la limite du mépris de la part du grand public et des instances culturelles et politiques. Ils sont les oubliés des grands’ messes de la littérature et des media. Dans ce contexte l’initiative de la petite ville du Prêcheur à l’extrême nord de l’île, avec son Village de littérature jeunesse est d’autant plus méritoire.
Les préjugés sur ce secteur littéraire ont encore la vie dure.
« Il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pourrais écrire pour les enfants. J’avais toujours eu cette fausse impression que ceux qui écrivent pour les enfants ne sont pas de vrais écrivains. » confie Isaac Bashevis Singer, Prix Nobel de littérature.
Ou encore, selon l’écrivaine française Marie Desplechin « Les bouquins pour enfants ne sont toujours pas considérés comme de la littérature(…)! Chez nous, les Latins, dans notre culture machiste, l'enfance, comme la féminité, est considérée comme un sous-monde, déconnecté de l'univers masculin de la raison, de l'abstraction... Les auteurs le ressentent régulièrement: lors des Salons du livre, les écrivains pour adultes descendent dans un grand hôtel et rencontrent le préfet, tandis que ceux pour enfants se contentent d'un deux-étoiles et dînent avec leurs copains instituteurs! »
C’est un peu comme si, inconsciemment, le fait d’écrire pour les enfants relevait plus de la résignation que du choix, n’était que l’aveu implicite d’une incapacité à s’adonner à la « vraie littérature ».

Pourtant, à y regarder de plus près, les écrivains-jeunesse ne font pas le choix de la facilité, même s’ils ont pu eux-mêmes le penser avant de se confronter à ce monde !
« Je savais déjà que les livres destinés aux jeunes lecteurs sont les plus difficiles à écrire parce qu’ils exigent que l’auteur retrouve son imaginaire d’enfant dans un environnement qui n’est plus le même. Les langues voyagent aussi dans le temps et les sensibilités évoluent sans qu’on s’en aperçoive. C’est donc un tour de force qui requiert le sens de l’émerveille, le plaisir de conter combiné au langage des images. » dira Ernest  Pépin à l’occasion d’un prix de littérature jeunesse organisé en Guadeloupe.
Pour Peter Härtling, « Ce n’est pas de la petite littérature. C’est de la littérature, une littérature très complexe qui doit être en même temps très simple. Cette simplicité, ce naturel, c’est ce qu’il y a de plus difficile en art. »
Difficile en effet de trouver le juste équilibre en résistant à la tentation d’être trop didactique, simpliste, prévisible, de trop vouloir se « mettre au niveau » du jeune public. Difficile de trouver le ton juste en ayant le souci de susciter de l’émotion, d’inviter au rêve ou à la réflexion, ou d’initier un apprentissage. Comment établir le baromètre du jusqu’où… Jusqu’où,  jusqu’à quel point puis-je aborder les délicates questions de la religion, de la sexualité, de la mort, de la drogue ? Comment « calibrer » mots et images pour ne pas heurter les jeunes âmes ou semer le trouble en elles ?

Alors pourquoi, en dépit de ce qui s’apparente à un parcours du combattant, nous obstinons-nous à écrire pour les jeunes enfants et/ou pour les adolescents ?

Un choix en conscience

A la question de savoir pourquoi il écrit pour les jeunes, Michel Le Bourhis répond : « Ecrire pour des adolescents, c'est d'abord se souvenir de son enfance.
Cette thématique, il faut bien l'avouer, révèle avant tout une attitude : écrire, c'est se souvenir. En ce sens, écrire pour des adolescents, c'est d'abord se souvenir de son enfance (je n'ai pas dit " raconter "), de ces années d'émergence dont André Comte-Sponville nous rappelle qu'elle sont à la fois un miracle et une catastrophe. Mieux, osons le théorème : " Toute littérature un tant soit peu honnête trouve son origine dans cette alchimie du questionnement - bonheurs à trois sous et douleur sans nom - qui accompagne l'enfance ". Autrement dit, écrire pour adolescents, revient, en ce qui me concerne, à revisiter mes fêlures de l'époque, pour essayer d'y donner, de longues années plus tard, un sens définitif qui m'aide à grandir, à me glisser dans le monde adulte. Je reconstruis, a posteriori, un champ des possibles de l'enfance au sein duquel, par personnages interposés, j'explore les voies qui auraient pu être les miennes. Je m'invente ainsi les souvenirs et les origines validant mon parcours, ma trajectoire. » 
Quant à moi, j’écris avec dans la tête l’obscurité, la chaleur et le roulis du ventre de ma mère ; j’écris pour tenter de retrouver ce vide qui n’était point néant, quand tout allait devenir possible mais que « je » ne le savais pas puisque « je » ne « me » savais pas ; en d’autres termes, j’écris depuis le lieu de l’innocence et de l’ignorance originelles.
J’écris pour dessiner les jouets que mes frères, mes sœurs et moi n’avons pas eus. Pour tendre la main à cette naïve avidité de l’enfance. Pour offrir en partage ces jouets aux petits enfants qui comme nous n’en ont pas eus ou qui ne savent plus comment on peut jouer avec de telles choses à l’heure du tout-internet, du tout-media.
J’écris depuis le lieu de ma peur du Grand Méchant Loup sévissant dans une forêt qui n’a que peu à voir avec mes gran-bwa ; depuis les frissons d’un Chaperon rouge qui, quoique je tente, refuse de me ressembler.
Depuis ma terreur des quatre-croisées, la nuit ; des vieilles femmes qui, ayant trop souffert, se vengeaient de la vie en volant l’âme des enfants ; des chiens « montés-gagés » ; des dorlis qui dévirginisaient les filles par trop sensuelles…
J’écris pour les enfants parce où que j’aille je porte en moi cette odeur que je poursuis en vain, celle de ma Presqu’Île franciscaine idéalisée, ce parfum tenace de mer indomptée, de végétation orgueilleuse sous l’implacable soleil. Ou la fragrance de volupté de la terre remuée par les labours, fécondée par la pluie, la sueur et la soif de mon père et de mes frères. Avec le puéril dessein de parvenir à les faire sentir et aimer de mes petits lecteurs.
J’écris pour déchirer l’épaisse bâche des silences qui épouvantent, des non-dits qui rendent graves avant l’heure.
J’écris pour retrouver et partager les rires des espérances fabuleuses ; la saveur des noix de cajou que papa faisait griller le dimanche après-midi ou des mangos mûrs à point… Pour donner à imaginer les plumes irisées des coqs de combat ou la transparence des perles de rosée sur le ventre des feuilles…
J’écris pour le bonheur de voir briller les yeux des jeunes lecteurs, de voir sourdre des questions, des larmes ou des sourires et tant pis si l’instant d’après ils m’auront oubliée et ne me reconnaîtront pas dans la rue, pourvu que les images et la musique des mots poursuivent leur tracée en eux…

J’écris aussi avec mon temps, l’on ne peut uniquement servir la salade-nostalgie-an-tan-lontan. La carte se doit de proposer aussi des menus du temps-présent, dans l’effort sans prétention d’en mieux cerner les contours ; et les menus savent suggérer que MSN, facebook ou autres textos peuvent servir l’amitié, l’amour, le blabla gratuit, les mots juste pour-de-rire, les idées de génie, les grandes causes, sans desservir la langue.
Et dans les nouveaux contes, la toile tisse des liens jusque-là inconcevables, jette des ponts que l’on croyait infranchissables et une petite palestinienne nourrie de deuils et d’Intifada peut lancer les filets du rêve jusqu’à une minuscule île de la Caraïbe à la robe sertie de vagues et d’éclats de soleil, jusqu’à une petite fille ou un petit garçon pour qui le monde arabe rimera désormais avec miel, figues, oranges sanguine, dattes, senteurs envoûtantes, dunes étourdissantes, cèdres majestueux, musiques bouleversantes ou prières vibrantes…

J’écris tout simplement pour donner à aimer les mots dont le goût, la couleur, le parfum ont bercé mes rêves ; les mots dont l’âpreté, la sourde dureté m’ont coûté tant de larmes ; les mots dont la folle insolence m’a arraché tant d’inoubliables rires, tant de doux frémissements.
Je me jette dans l’écriture d’une histoire ou d’un poème pour enfants quand l’enfant en moi veut toucher des enfants certes, mais aussi et peut-être surtout quand l’enfant en moi veut convier les grandes personnes à écouter parler, pleurer, rêver, rire en elles l’enfant qu’elles n’ont pas cessé d’être…

                                           Nicole Cage
                                           Casa de las Américas, La Havane, le 17 mai 2011

Mona

Le dompteur l’a trouvée, Mona
-Elle souriait encore-
Elle semblait dormir, Mona
Couchée telle une enfant croissant de lune arc fœtal
Comme elle a l’air heureuse
Quand elle dort ainsi, Mona !
Elle est partie l’instant d’un rêve, Mona
Jouer à cache-cache parmi les lianes
Courir ainsi qu’une folle enfant dans la savane dorée, Mona
Félicité d’être épouillée par sa maman
Douceur suprême de se frotter contre le ventre chaud
D’une maman joueuse
Elle est partie l’instant d’un rêve, Mona
Retrouver sa savane enchantée
Sa chère maman dont l’écho du rire
Se faisait de plus en plus
De plus en plus
De plus en plus lointain
Combien de frères a-t-elle laissés
Elle ne s’en souvient plus
C’était si loin, déjà,
Ce jour où ils sont venus
Ce jour où leurs filets se sont refermés
Sur l’imprudente chimpanzé
Elle est partie, Mona,
Comme ça, l’instant d’un rêve d’Afrique
Un petit tour et puis s’en va
S’en va, Mona
Elle semble heureuse, Mona
D’être partie, comme ça,
Un petit tour, reviendra pas
Pourquoi pleure-t-il, le beau dompteur ?
Elle est si bien, Mona !


Mona

El domador la encontró, Mona
- Aun sonreía -
Como si durmiera, Mona
Acostada tal si fuera una niña en luna creciente arco fetal
¡Qué feliz se ve
Cuando duerme así, Mona !
Se fue  sólo el instante de un  sueño, Mona
A jugar al escondido entre las lianas
Correr tal si fuera una niña loca en la sabana dorada, Mona
Felicidad  de ser despiojada por su mamá
Dulzura suprema de frotarse contra el vientre caliente
De una madre juguetona
Se fue el instante de un sueño, Mona
A reencontrarse con su sabana encantada
Con su  querida mamá cuyo eco de risa
Se volvía cada vez  más
Y más
Y más lejano
Cuántos hermanos dejó
Ya no lo recuerda
Hace tanto, ya
Ese día en que vinieron
Ese día en que se cerraron  sus mallas
Sobre la imprudente chimpancé
Se fue, Mona,
Así, el instante de un sueño de África
Una vueltecita y luego se va
Se va, Mona
Parece feliz, Mona
De haberse ido, así,
Una  vueltecita, no volverá
Porqué llora, el bello domador ?
¡Se siente tan bien, Mona !
(traduction Zulema Gonzales Rodriguez)

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