jeudi 17 novembre 2011

Se réapproprier Fanon


La publication récente, en perspective de la commémoration de l'anniversaire de la mort de Frantz Fanon, par les éditions « Le Teneur » de l'ouvrage de l'écrivain André Lucrèce intitulé Frantz Fanon et les Antilles, l'empreinte d'une pensée, repose la question de la réappropriation par les Antillais aujourd'hui de l'oeuvre de cet immense écrivain.

D'autant que replacer les choses dans leur contexte historique, nous restituer Frantz Fanon dans ses rapports avec la Martinique n'empêche nullement d'ouvrir le chemin beaucoup plus large de la connaissance de Frantz Fanon, médecin psychiatre, ou celui de Frantz Fanon théoricien et acteur de la décolonisation.
Bien au contraire. En effet, tous ces itinéraires côtoient au passage et sans arrêt le point de départ ou d'arrivée de sa relation objectivement distancée, mais toujours si intiment liée à cette ile antillaise où il est né d'une famille aisée de Fort-de-France. L'époque est significative. C'est celle de ces années 50 si soumises à la frénésie assimilationniste aux Antilles.

André Lucrèce rend Fanon plus proche des Antilles à partir des éléments, souvent rectificatifs, qu'il apporte avec une précision inédite. Entre ceux relevant de la biographie personnelle de Frantz Fanon et les composantes de son milieu familial considéré dans le contexte sociétal martiniquais de l'entrée dans la départementalisation après 1946, il fallait éclaircir un certain nombre de points.

C'est sans doute là une des originalités du travail d'André Lucrèce d'avoir permis cette plus grande proximité. Pour autant, ce livre n'est pas une biographie. Il traite non seulement du rapport de Fanon aux Antilles, mais en outre, il approfondit et remet en perspective certaines thématiques majeures de la pensée de cet auteur, en montrant la pertinence encore très présente des apports de cet écrivain à la compréhension de la situation des sociétés antillaises contemporaines.
Le rapprochement de Fanon avec son milieu familial et social d'origine contribue à l'approche du personnage Fanon. Et ici, l'attention portée au personnage en tant que sujet singulier est grandement féconde.

L'exceptionnalité des épreuves vécues par Frantz Fanon, celle des réponses apportées au cours de sa vie d'homme et des témoignages connus de son histoire personnelle, illustrent de façon significative l'existence d'un homme absolument déterminé et lucide sur son époque et sur son milieu.

Pourquoi n'est-il pas revenu ?

Il est utile de comprendre en quoi d'abord la participation volontariste du jeune Fanon à la Deuxième guerre mondiale sur le front européen, puis les quelques mois vécus à son retour en Martinique, ensuite la découverte en tant que psychiatre de la condition asilaire des malades mentaux, ainsi que la confrontation au racisme au quotidien ont constitué pour lui de réelles et successives épreuves initiatiques.
Une des questions récurrentes, plusieurs fois posée par les intellectuels antillais est celle de savoir pourquoi Frantz Fanon n'est pas revenu en Martinique. Elle est restée longtemps sans réponse à la fois parce qu'il y avait ambigüité sur l'interprétation des faits expliquant les raisons du choix de Frantz Fanon et, sans doute aussi, inopportunité à chercher à les connaitre vraiment.

André Lucrèce nous en livre l'essentiel dans son livre. En fait, Frantz Fanon n'a jamais été loin des Antilles, par sa pensée qui incorporait la nécessité d'une vraie émancipation de ces pays. Aujourd'hui son oeuvre le rend toujours plus proche de nous et de tous les autres humains, surtout à un moment où il y a tant de damnés de la terre qui clament leur indignation de leur vie soumise aux exploitations extravagantes des puissances d'argent.

Aussi, devons nous entendre l'actualité des messages de Frantz Fanon : Il n'y a d'indignation féconde que dans l'engagement éthique et politique.

Louis-Félix Ozier-Lafontaine - socio-anthropologue

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