vendredi 25 septembre 2009

AIME CESAIRE ET MES SOUVENIRS D'ENFANCE :


Les années ont passé. Mes cheveux ont blanchi sous le poids du racisme, de l’humiliation et de l’injustice. Pourtant, les images de mon enfance et mes rêves sont restés intacts et n’ont pris aucune ride grâce au chantre de la négritude et au visionnaire Césaire.

Je me souviens de ma première rencontre avec Aimé Césaire, c’était l’année où, pour la première fois, j’étais parvenu à enlever l’écosse d’une noix de coco sans coutelas sur une plage du Carbet à la Martinique en me servant d’une – roche - comme j’avais vu faire les anciens. J’avais mal aux mains, mais j’étais très fier. Revenu à Fort-de-France, plus précisément aux Terres-Sainvilles, j’y ai trouvé une très grande effervescence. Les anciens parlaient du discours du camarade Césaire. Une estrade de fortune, sans décor, avait été plantée en face du cours complémentaire.

La joie et l’espérance se lisaient sur le visage de mes parents.


Ils parlaient de dignité, de liberté, de négritude et non de l’histoire de France ou d’Europe et du bourrage de crâne systématique que nous enseignait l'école qui voulait nous persuader que nos ancêtres étaient des gaulois. Je me souviens avoir vu Césaire grimper des marches de fortune pour se trouver sur l’estrade de circonstance. Debout, au milieu de cet espace, Césaire m’apparut immense. Après différentes péripéties dues aux problèmes techniques de l’époque (sono et éclairage défaillants) – ce qui amusait tous les enfants que nous étions – Puis, arriva le tour de Césaire de s’adresser au peuple. Ce fut le silence le plus complet. Pas une mouche n’osait voler. Césaire a commencé son discours. Je ne comprenais pas tous les termes qu'il employait. Je ne saisissais pas tout ce qu’il disait, mais j’étais fasciné par la sincérité qui se dégageait de ses paroles et des mots qui claquaient comme un coup de fouet.

Tarzan ne serait plus jamais notre héros


Mes souvenirs me ramènent à la fin de son discours. Je me vois courant derrière sa voiture pieds nus de Terres-Sainvilles, au centre ville. En faisant le trajet en sens inverse, nous étions toute une bande d’enfants qui avaient acquis la certitude que Tarzan ne serait plus jamais notre héros. Le lendemain au réveil, je savais avec plus de certitude que l’arrogance des békés, le mépris de certains d’entre eux, découlait d’un crime dont nous étions les victimes et que nous n’avions aucune raison de nous sentir complexés. Je savais désormais que mes origines provenaient de la souffrance, de l’humiliation, de l’esclavage et du viol que tout un peuple avait du endurer pendant des décennies.

Le stade de l’amitié…

Mon dernier souvenir public du chantre de la négritude se situe en Afrique, au Sénégal, au stade de l’amitié. C’était l’époque où les nègres du monde avaient décidé de faire un retour à la source de leur histoire. Nous étions des dizaines milliers à vouloir remonter à la source de nos souffrances et à vouloir comprendre les raisons objectives de la lente agonie de notre Afrique chérie. Dans le stade, devant plus de cinquante milles hommes, femmes et enfants survoltés, Césaire s’est appliqué à répondre à Malraux, le représentant de De Gaulle, qui avait parlé de la culture noire avec la condescendance coutumière, voire le paternalisme habituel des européens de cette époque. La réponse de Césaire fut cinglante et sans concession d’aucune sorte. Il a démonté un à un les arguments de Malraux. Dans un tonnerre d’applaudissement où les tambours et les chants donnaient à ce lieu un aspect irréel dans ce crépuscule qu’on ne trouve qu’en Afrique. Voilà qu’un nègre donnait la leçon à un intellectuel français. Malraux avait préféré partir pour la France dès la fin de son intervention.

Afrique … Afrique…

Et puis Césaire a parlé de l’Afrique à nous, ses enfants échoués aux quatre coins du monde. Nous nous trouvions là à boire ses paroles,subjugués. Nous les nègres venus des confins du monde, ceux d’Amérique, des Caraïbes, du Brésil, de toute la planète terre, au gré des escales de bateaux négriers. Nous étions là debout prêts à hurler avec lui notre espérance. Césaire était lui aussi debout, tel un chêne, haranguant cette foule immense et criant à la face du monde "qu'il est place pour nous aussi au rendez-vous de la conquête". Quand il eut fini, et que sa voiture le transportant à Dakar, eut démarré – j’ai voulu courir derrière elle comme à Terres-Sainvilles -, mais les années avaient passé et je l’ai regardée s’éloigner. Mon enfance venait de me quitter, mais mes espoirs étaient ravivés.

André Richol

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