lundi 27 décembre 2010

Qu'est-ce que ça veut dire : Afrique noire ?

On entend de tout dans ce Festival des arts nègres !!! Et même un professeur algérien qui affirme que ’Afrique noire’, ça ne veut rien dire, et qu’il faut déracialiser l'Afrique ! A cela le professeur ajoute que ‘d'ailleurs, l'Afrique dite noire est composée d'une multitude de pays et de langues qui n'ont rien de commun.’ Nous sommes restés sidérés. Deux sottises d'un seul coup :
1) - la négation de la race malgré son évidence géographique
2) - la négation de la civilisation africaine dans la relation profonde de ses cultures entre elles. 

Mais pourquoi ces contrevérités assénées en toute innocence ? Si nous avons bien compris, l’argument du professeur était que les Algériens ne se sentaient pas assez africains, qu’ils regardaient toujours vers l’Europe ou les Arabes, que d'ailleurs ils se montraient racistes envers les éléments nègres de leur population. Et ceci est très vrai. 

Mais la solution qu'avait trouvée la brave dame n'était pas de changer la mentalité de ses compatriotes, en les instruisant davantage sur les cultures d'Afrique noire, et sur son histoire depuis l'Egypte jusqu'au Wagadou, Tekrour, Mali, Songhai, Djolof, Kayor, Dahomey, Kongo, Zoulou, et j'en passe... Non, la solution serait de déracialiser l'Afrique, autrement dit de lui enlever sa couleur noire que les Algériens n'aiment guère, ou tout au moins d'en faire abstraction dans les mots (puisqu'il n'y a évidemment pas moyen de l'effacer du corps de ses habitants). 

C'est oublier singulièrement (comme dirait Senghor) que cette couleur fait partie intégrante de l'histoire des Africains. Car c'est bien parce qu'ils étaient noirs qu'on s'est permis de les réduire en esclavage et d'en faire commerce pendant trois cents ans. Qu'on les a traités comme des bêtes. Qu'on a édicté un Code Noir afin de préciser les châtiments pour leurs actes d'insubordination aux maîtres blancs : tant de coups de fouet, tant de jours de cage (et non de cachot réservé aux humains), le jarret coupé pour les fuyards, et la mort pour les instigateurs de rébellion. 

Trois cents ans. D’où Césaire un jour qui se dresse et clame : ‘Je pousserai le grand cri nègre jusqu’à ce que les assises du monde en soient ébranlées.’ (1939). D'où la révolution de la Négritude et Sartre qui écrit en 1948 : ’Insulté, asservi, il ramasse le mot nègre qu'on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme Noir en face du blanc, dans la fierté.’ D'où Présence Africaine qui rassemble tous les Noirs africains de la Diaspora ; et Alioune Diop qui écrit : ‘Nous voulons manifester le génie noir, et faire reconnaître sa dignité.’ D'où Rabemananjara qui écrit à son tour : ‘On peut parler d'une grande famille des cultures africaines qui méritent le nom de civilisation négro-africaine... On sait que les avatars de l'histoire ont fait qu'aujourd'hui le champ de cette civilisation déborde très largement l'Afrique, au Brésil, aux Antilles, en Haïti, et même aux Etats-Unis.’ 

Et ce n'est pas à un Algérien ou à un Français ou un Américain ou un Chinois de venir dire aux Africains qui ils sont et comment ils doivent se définir ; ni comment ils doivent nommer la partie du continent où ils vivent et d'où l'homo sapiens est sorti pour aller peupler les autres. 

Afrique noire parce que c'est d'abord, le continent de la race noire. Parce que cette race a produit une civilisation qui a ses caractères et ses richesses propres. Parce que cette race a été victime de la plus longue, la plus dure et la plus violente exploitation qui soit de mémoire d'homme. Parce que c'est en tant qu'Afrique noire que fut exigée l'indépendance et que, depuis, les Africains luttent à travers les pires déboires pour se libérer du néo-colonialisme et de ses collaborateurs noirs et blancs. 

C'est pourquoi tout homme ou femme d'Afrique noire conscient et responsable comprend et contresigne ces vers de David Diop dans Coups de Pilon :
"Ecoutez camarades des siècles d'incendie
L'ardente clameur nègre d'Afrique et d'Amérique,
C'est le signe de l'aurore"

Et c'est sur cette base que beaucoup, en ayant tiré la leçon universaliste, se joignent au sermon de Frantz Fanon : ’Je me suis engagé à combattre pour que, plus jamais, il n'y ait sur Terre de peuples opprimés.’ (1954). 

Lilyan KESTELOOT IFAN (Institut fondamental d’Afrique noire)

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