lundi 3 mai 2010

ALIOUNE DIOP : Une vie pour l’émancipation du peuple noir


Un « Socrate noir ». La comparaison n’est pas abusive pour cerner la personnalité. Plus soucieux d’accoucher les autres que de produire une œuvre personnelle ambitieuse, Alioune Diop était d’une générosité intellectuelle qui ne souffrait d’aucun conteste.

Alioune Diop (1910-1980) était un intellectuel sénégalais qui a joué un rôle de premier plan dans l’émancipation des cultures africaines, fondant notamment la revue Présence Africaine. Fils de postier, Alioune Diop est né à Saint-Louis le 10 janvier 1910. Né musulman, il fréquente l’école coranique durant son enfance, mais ses tantes maternelles l’initient à la lecture de la Bible. A l’âge adulte, Alioune Diop se convertira au christianisme. Il recevra son baptême catholique du père dominicain Jean-Augustin Maydieu dans la nuit de Noël 1944 à Saint-Flour, dans le Cantal (France), sous le nom de Jean. Le jeune Alioune effectue ses études primaires à Dagana et ses études secondaires à Saint-Louis (lycée Faidherbe). Il obtient son Baccalauréat classique (Latin-Grec) en 1931. Puis, en qualité de citoyen français, il effectue son service militaire à Thiès.

En 1933, n’ayant pas obtenu une bourse pour se rendre en métropole, il se rend à Alger où il s’inscrira à la faculté de Lettres classiques, à l’Université d’Alger, la même année qu’Albert Camus, alors en philosophie. Il subvient à ses besoins en exerçant les fonctions de Maître d’internat jusqu’à son arrivée en France en 1937. Il poursuivra ses études en faculté à Paris. Il est titulaire d’une licence de Lettres classiques et d’un diplôme d’études supérieures.

En 1939, avec l’éclatement de la deuxième Guerre mondiale, il est mobilisé comme soldat, avant d’être démobilisé à l’armistice en 1940, qui le trouve à Marseille.A son actif, plusieurs activités professionnelles. Tour à tour enseignant et fonctionnaire de l’Aof (professeur au Prytanée militaire de La Flèche dans la Sarthe, en 1943, professeur au lycée Louis le Grand en 1945, puis chargé de cours à l’École coloniale, il est ensuite nommé chef du Cabinet du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française).

Il sera également sénateur de la IVe République française entre décembre 1946 et novembre 1948. Il milite à cette époque à la Sfio (Section française de l’Internationale socialiste) et figure en troisième position sur la liste présentée par ce parti au Sénégal lors des élections du 23 décembre 1946 au Conseil de la République. Il est élu.Au terme de ce mandat, lors des élections qui suivent, le 14 novembre 1948, il figure encore en troisième position sur la liste présentée par la Sfio au Sénégal, mais il n’est pas réélu, son siège étant remporté par Mamadou Dia du Bds (Bloc démocratique sénégalais).Cependant, c’est surtout à travers ses talents d’animateur culturel, d’organisateur, de fédérateur qu’il trouve sa voie, se consacrant désormais à ses activités d’éditeur de revue littéraire, puis d’éditeur au sein de sa maison d’édition.En 1947, alors qu’il est encore sénateur, il fonde la revue Présence Africaine dont il propose le titre. Le logo de Présence Africaine, inspiré d’un masque Dogon, sera proposé par l’écrivain français Michel Leiris qui est membre du comité de patronage de la revue. Parmi les autres membres du comité de patronage, il y a également Paul Rivet, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, André Gide, Théodore Monod, Richard Wright, le R.P Maydieu, Merleau-Ponty, Aimé Césaire.

Le 1er numéro paraît simultanément à Paris et à Dakar. Dans l’éditorial du numéro 1 de la revue, intitulé « Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine », Alioune Diop écrit : « (...) notre revue se félicite (...) d’être française, de vivre dans un cadre français ». Il renchérit à la fin : « C’est au peuple français d’abord que nous faisons confiance : je veux dire à tous les hommes de bonne volonté qui, fidèles aux plus héroïques traditions françaises, ont voué leur existence au culte exclusif de l’homme et de sa grandeur ».Pour l’anecdote, un des numéros de cette revue, consacré aux Antilles et à la Guyane, sera saisi en 1962 par le parquet de la Seine pour « atteinte à la sûreté de l’État ».Entre 1947 et 1960, on trouvera 12 fois la signature de Léopold Sédar Senghor dans la revue Présence Africaine. En 1949, Alioune Diop fonde également les éditions Présence Africaine.Les éditions Présence Africaine ont publié, entre autres, les premiers écrits du romancier Mongo Béti et du poète David Diop, ainsi que « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire.

Emancipation culturelle

Et c’est en 1956 qu’Alioune Diop organise à la Sorbonne le Congrès des écrivains et artistes noirs qui réunira les intellectuels noirs de nombreux pays, soutenus par des écrivains et artistes du monde entier et militant pour l’émancipation des cultures africaines et en faveur de la décolonisation.En 1957, il crée la Société africaine de culture (Sac), sur le modèle de la Société européenne de culture, fondée en 1950 à Venise et dont Alioune Diop était alors le seul membre originaire d’Afrique.

Alioune Diop sera le secrétaire général de la Sac, le Haïtien Jean Price-Mars (1876-1969) diplomate, médecin et auteur en étant le premier président. En mettant sur pied une communauté africaine de culture, loin était le besoin de se singulariser. Elle n’est ni une simple proclamation du droit à la différence, ni le signe d’une crise politique ou de désarroi économique. Le propos n’était ni un réflexe d’autodéfense à l’agression quasi-quotidienne de la culture technicienne occidentale, ni un processus de purification destiné à détruire les germes de la culture politique plurielle.

La Société africaine de culture compte à son actif l’organisation du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs (Rome, 26mars-1er avril 1959) sur le thème de « l’unité des cultures négro-africaines », ainsi que l’organisation du premier Festival mondial des arts nègres (Dakar, 1966), du Festival d’Alger (1969) et de celui de Lagos (1977). A l’occasion de la préparation du Concile Vatican II, Alioune Diop mobilisera, au sein de la Société africaine de culture, les intellectuels catholiques, prêtres et laïcs pour le colloque de Rome qui a lieu du 26 au 27 mai 1962, sur le thème « Personnalité africaine et catholicisme ».Au soutien que l’équipe de Présence Africaine reçut de la part d’André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Théodore Monod pour ce 1er Congrès, s’ajoutèrent les marques de sympathie de Roger Bastide, Basil Davidson, Michel Leiris, George Padmore, entre autres.

Pablo Picasso dessina, à cette occasion, le portrait d’un homme noir, devenu l’affiche officielle du Congrès. L’on déplorait l’absence de W.E. B. Du Bois et de Paul Robeson, tous deux américains et interdits de visa. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la défaite du nazisme, des intellectuels noirs renouent avec l’esprit des mouvements abolitionnistes des XVIIIe et XIXe siècles.

Dans la continuité des congrès panafricanistes, notamment ceux de Londres, New York et Bruxelles, ont lieu les Congrès de Manchester (1945, 1947) avec des personnalités telles que W. E. B. Du Bois, George Padmore, Kwame Nkrumah, Nnamdi Azikiwe, Jomo Kenyatta... Ces Congrès mettent l’accent sur le nécessaire engagement politique en vue de l’accession à l’indépendance des peuples du continent noir. Alioune Diop crée Présence Africaine en 1947.

Cette même année, l’anthologie de Léon Gontran Damas, Poètes noirs d’expression française 1900-1945, paraît aux éditions du Seuil. En 1948, Léopold Sédar Senghor publie l’Anthologie de la nouvelle poésie noire et malgache de langue française précédée de l’Orphée noir de Jean-Paul Sartre. La parution de ces deux textes constitue les prémices d’un grand mouvement d’affirmation des peuples noirs.

El Hadji Massiga FAYE

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