mercredi 20 avril 2011

CE N’EST PAS LE PANTHEON QUI HONORE CESAIRE C’EST CESAIRE QUI HONORE LE PANTHEON


Beaucoup de nos compatriotes ont considéré la plaque apposée au Panthéon en hommage à Aimé CESAIRE comme une reconnaissance suprême du chantre de la Négritude par la « Nation française », le Panthéon apparaissant -du moins aux yeux de quelques uns- comme « l’antre de la mémoire ». Mais quelle mémoire ?

Si cette attitude peut s’expliquer par le parcours historique de notre peuple, les dénis dont CESAIRE a été l’objet durant de longues décennies et les repères qui ont formaté nos représentations culturelles et idéologiques, il convient néanmoins de s’interroger sur le sens de cet évènement, le contexte dans lequel il s’inscrit et  sa portée. En dépit de toutes nos divergences avec l’ancien maire de la capitale, nous ne pouvons rester indifférents à l’instrumentalisation de sa pensée et de sa personne par Nicolas SARKOZY.

Celui-ci, disons-le tout net, a, sans état d’âme, utilisé CESAIRE contre CESAIRE, dans ce qu’il faut bien appeler une opération politique visant à séduire l’opinion publique, particulièrement celle des dernières colonies et de leurs diasporas en France. D’autre part, au moment où, renouant avec toutes ses vieilles dérives coloniales, la France fait le coup de feu dans une de ses anciennes possessions d’Afrique, quelle aubaine de présider la panthéonisation du chantre de la Négritude et de l’auteur du « Discours sur le colonialisme » ! On ne pouvait pas rêver plus belle et plus opportune caution !

Nous reconnaître nous-mêmes

L’acte de « reconnaissance » de la République française, coloniale ou « post-coloniale », n’a jamais été gratuit. Il  participe indubitablement d’une démarche de consolidation symbolique de la puissance colonisatrice. Il s’agit, quant au fond, d’un acte d’appropriation.

Il n’est pas jusqu’à la dépouille de nos grands hommes que la République ne cherche à transférer sur son territoire « métropolitain ». Ce fut le cas pour la dépouille de CESAIRE que l’Elysée souhaita installer au Panthéon. La famille du poète s’y refusa fermement, respectant ainsi sa volonté de reposer dans sa terre natale. Cette fin de non recevoir reflétait le sentiment général des Martiniquais qui vivaient mal ce qui ne pouvait constituer qu’une dépossession. Penser, comme un chroniqueur respectable de la place, « qu’un jour le corps du défunt rejoindra la plaque qui lui est dédiée » relève d’une singulière spéculation, tant une telle décision traduirait la volonté d’aliéner à l’autre une part importante de notre mémoire et nos fondations.
   
Aimé CESAIRE, si souvent exclu par ceux qui entendent l’honorer aujourd’hui, n’a jamais été dupe des lustres de la République française, de ses prétentions et de ses soliloques. Le choix de la terre martiniquaise se voulait ainsi affirmation de l’urgence de nous reconnaître nous-mêmes, de cesser d’exister par procuration, par la simple magie du regard de l’autre, de ses normes… et de ses Panthéons. Mieux que personne, CESAIRE savait que son plus sûr Panthéon, c’était le cœur et la conscience de son peuple, de tous ces peuples dont il se voulait la « bouche ».

L’apologue de la colonisation

Certes, il sera toujours aisé d’arguer que c’est la République française qui a honoré CESAIRE, mais on pourra difficilement ignorer que cette République a aujourd’hui le visage d’un Nicolas SARKOZY. On pourra difficilement faire abstraction du mépris affiché pour les  jeunes des banlieues (eux aussi « fils et filles de colonisés »), de la chasse aux Roms, des discours racistes, de l’arrogance -grassement étalée- des troupes françaises en Côte d’Ivoire, de la volonté de maintenir coûte que coûte la domination néo-coloniale de la France dans un continent où son influence se réduit comme peau de chagrin.

Cet assaut de brutalités est aux antipodes de toutes les valeurs du Césairisme et ne peut pas ne pas nous interpeller. Il jette plus qu’une ombre sur l’hommage rendu à l’un des pères de la Négritude.

Il serait tout aussi irresponsable, intellectuellement, d’effacer de notre mémoire le discours de Dakar, prononcé par le même président de la République française, le 26 juillet 2007, à l’université Cheikh Anta Diop, discours fondé sur le racisme le plus primaire.

Ainsi, pour Sarkozy, l’Africain serait, à lui seul, incapable de « raison » :  « (…) Cette part d’Europe en vous n’est pas indigne. Car elle est l’appel de la liberté, de l’émancipation, de la justice et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Car elle est l’appel à la raison et à la conscience universelle ».

Pire ! L’ « homme africain » ne serait pas entré dans l’histoire.

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire. […]  Dans cet imaginaire où  tout recommence toujours, il n’y a pas de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. […] Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ».

Gobineau aurait-il fait mieux ?

Avec l’actuel locataire de l’Elysée, l’apologue de la colonisation n’est jamais loin :

« Il a pris [le colonisateur] mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir ».

Dans son « Discours sur le colonialisme »,  CESAIRE avait déjà répondu à cette tentative du colonisateur de se dédouaner :

  
« On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de millions d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes,  à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir,  le larbinisme ».

Le rebelle mutilé

Comme le discours de Dakar –et dans la continuité de sa posture- l’hommage rendu à CESAIRE au Panthéon est un habile dosage d’empathie, de non-dits, de dévoiement de sens et de falsification idéologique. L’ambigüité est permanente et le coup-bas menace à chaque mot. SARKOZY a rusé avec le Césairisme sous les applaudissements de ceux là-mêmes qui se réclament du grand poète.

Aimé CESAIRE a, certes, été flatté, porté aux nues. Mais, c’est le portrait d’un CESAIRE méconnaissable, passé au rouleau compresseur de la récupération idéologique  qui a émergé de cette cérémonie du 6 avril.

La Négritude racontée par SARKOZY apparaît comme un renoncement fondamental, un besoin de dépendance sans rémission du colonisé par rapport à la « France indivisible ».

« Le plus beau combat de cette vie politique, celui peut-être où il a été le plus grand, fut le combat qu’il engagea et qu’il gagna pour la départementalisation », prétend Sarkozy. Il faut n’avoir rien compris au parcours de CESAIRE  et ignorer notre histoire politique pour oser asséner une telle inanité. L’essentiel du combat de CESAIRE fut, au contraire, un combat contre le statut départemental qu’il définissait comme un statut « néo-colonial ». L’essentiel de cette vie a été consacré à l’émergence d’une personnalité martiniquaise et au combat pour l’autonomie. On peut exprimer des désaccords sur sa conception de l’autonomie, sur bien de ses prises de positions, sur le moratoire et d’autres questions, mais on ne saurait laisser présenter CESAIRE comme un départementaliste, un amoureux éconduit de la France.

De même, l’assertion suivante ferait frémir de désespoir même le dialecticien le plus blasé : « Lui qui avait combattu l’idée d’assimilation mit le mot départementalisation à la place et en fit l’instrument de la décolonisation »…

Un mauvais élève de philo n’aurait pas osé un tel charabia !

Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de nos peines sur la notion d’assimilation chez le président français : « Il rejetait l’assimilation quand elle se confondait avec ce qu’il appelait le génocide par substitution […]. Il y eut jadis une assimilation de combat comme il y eut une laïcité de combat… »

Là encore, le président de la République française exprime toute la confusion de sa pensée politique et son incapacité à remettre en cause l’assimilation qui a toujours été un mauvais combat qui ne pouvait générer que le génocide par zombification de nos peuples, le « génocide par substitution » étant, lui, non pas un concept culturel, mais le remplacement physique d’une population par une autre sous l’effet du nombre, de la déportation, de l’exclusion et de la violence.


A dire vrai, la rigueur conceptuelle ne fait pas partie des exigences sarkoziennes. Lui, Il soliloque :« Grand […] il le fut quand il choisit de dire oui à la constitution de la Ve République »… « CESAIRE le Martiniquais aimait la France »… « Il ne voulait pas l’indépendance.. » « Nul désir de séparatisme… »  « Nulle demande de réparation… », « A aucun moment de sa vie, il ne parla contre la France ».

Et ce soliloque caricatural donne un Aimé CESAIRE défiguré, un rebelle domestiqué, sorti tout droit de l’imagination d’un Prospero de circonstances. A la fin d’une telle accumulation, le chantre de la Négritude est réduit au rôle de vigie inespéré des scléroses idéologiques de la « République une et indivisible : « Mais il dressa sans cesse la meilleure part d’elle-même contre tout ce qui en elle menaçait à ses yeux de l’avilir ».

Il faut avoir le courage de le dire : Le 6 avril 2011, la part de révolte et d’espérance contenue dans la pensée de CESAIRE a été assassinée sous nos yeux.

Contrairement à Madame TAUBIRA qui exprima son écoeurement dès la fin de la cérémonie, ainsi qu’Alfred MARIE-JEANNE et Claude LISE, il ne s’est pas trouvé un seul de nos césairistes pour dénoncer la supercherie intellectuelle de ce discours. Ceux qui sont si prompts à qualifier de « sacrilège » toute discussion autour de la Négritude et du césairisme ont avalé, sourire aux lèvres, un immense chapelet de « sacrilèges » et d’injures !

Si on n’est pas surpris par la teneur des propos de Monsieur SARKOZY, il y a, par contre, quelque chose de profondément scandaleux dans le silence du président du PPM et des dirigeants de ce parti, après ce discours réducteur et lamentable. Comment oser applaudir à cette vision atrophiée du géant qu’est CESAIRE ? Comment persister à se taire aussi pitoyablement face à cette caricature du combattant anti-colonialiste ?

Chacun connaît nos différences avec Aimé CESAIRE. Nous ne les avons jamais niées, tout en respectant profondément l’homme. Lui-même ne s’en affligeait pas, considérant la contradiction, non comme un crime de lèse-majesté, mais comme une nécessité de nos luttes pour la liberté. Aimé CESAIRE, comme Frantz FANON, comme Cyrille BISSETTE, comme Lumina SOPHIE, comme Eugène MONA, comme Koko RENE-CORAIL, comme Edouard GLISSANT et d’autres, chacun à un titre particulier, chacun avec sa densité propre, chacun dans son rôle, fait partie des fondations de notre pays. Certes, il ne s’agit pas de le déifier. Et à cet égard, il y a place pour une lecture critique de CESAIRE. On ne saurait cependant le laisser mutiler en silence par des apologues de la colonisation, au prétexte que ce serait le prix à payer pour une place au Panthéon… qu’il n’avait d’ailleurs pas demandée.


Francis CAROLE                                                                                                      Clément CHARPENTIER-TITY

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