samedi 7 mai 2011

Haiti : Les jardins naissent comme les pays renaissent…


Jean-Euphèle Milcé vient de sortir le roman de l’après séisme. Tout se passe comme si le jeune romancier voulait nous sortir des décombres à travers un imaginaire florissant.

Une opération audacieuse, ce roman paru justement aux Editions Coups de Tête et qui sera bientôt dans les bacs à Port-au-Prince. Le titre inspire et fait rêver : « Les jardins naissent ».
L’histoire se déroule en partie dans la tête d’une jeune coopérante.

Marianne, qu’elle s’appelle, et de tempérament, elle ne supporte nullement la bride au cou que constituent toutes ces règles imposées par son organisation caritative qui veut protéger les expatriés des malheurs qui accablent ce pays. Elle supporte encore moins la froide arrogance de sa cheffe-infirmière, réglée comme du papier à musique, honorable gestionnaire de « l’industrie » humanitaire, une femme sans cœur qui ne connait pas « la religion de la coexistence ».

Elle est venue dans cette ville de Port-au-Prince soufflée par le séisme, pour aider, non pour assister au spectacle tragique et silencieux de la mort en direct. Marianne promène son désœuvrement d’assistante humanitaire dans les rues encombrées de la ville. Dans le dédale de nos corridors où grouille tant de vies en un mouchoir d’espace, où s’invente le monde à chaque minute, où la vie joue à la marelle, où l’art total et libre refuse les clichés de musée, celle qui venait d’ ailleurs revendique un nouvel humanisme.

Si elle est impuissante devant l’ampleur des malheurs et la lenteur exaspérante de la reconstruction, elle ne veut guère rester indifférente à toute cette pâte humaine malaxée et chauffée au four solaire d’un pays mythique même dans les dimensions bibliques de sa destruction. Marianne ne veut pas être une humanitaire « compétente » bardée de diplômes qui transite dans le « couloir de la mort », rien que pour avoir des choses à raconter à sa progéniture, comme d’ autres aimaient raconter, jadis, dans les conversations de café du commerce avoir fait le « Biafra ».

Elle refuse aussi d’être une militante « gaucho-populo » au créole cocardier et conquérant ou une occidentale en mal de « trip » qui chercherait dans la misère d’autrui une nouvelle forme d’ecstasy. Se shooter à la misère, la vraie, celle dont on peut respirer l’effluve en plein midi. La misère noire, crasse, qui rampe comme un dangereux reptile et qui ampli l’espace et qui vous bouffe l’oxygène.

La pauvreté ici n’est pas à quatre balles, elle est d’une « opulence » arrogante, c’est une « star » aux bijoux clinquants qui peuvent se voir d’un avion. On vient du monde entier pour la photographier ou poser à ses cotés. Marianne refuse cet exotisme de la misère.

Marianne, héroïne d’une nouvelle forme de solidarité, toute simple, toute nue, toute vraie ! Son travail au service du Comité International de la Croix–Rouge n’est que prétexte pour vivre son propre idéal, celui de ne pas rester indifférente au monde, une sorte de quête « camusienne » de sens. Sisyphe postmoderne d’une réalité aux dimensions irréelles, elle sent confusément en elle que c’est dans ce lieu de pierres que naîtra le monde nouveau.

Et puis, il y a Daniel, ce jeune Haïtien, « chimè » de naissance, partageux du 21e siècle, pourtant artiste et non fauteur de guerre civile. Il est un déporté du Canada pour avoir voulu rester au Québec, ville de ses fantasmes, l’utopie des artistes, un lieu où on peut partir créer en paix. Mais la paix et la prospérité ne sont pas pour les « goujats », les maraudeurs du bonheur de la civilisation, les resquilleurs de la société de consommation. Daniel n’est pas une foudre de guerre : perdu dans « la fosse aux lions » de son quartier mal famé, où l’on va à la mort par habitude, il n’a que ses « dreads locks » comme moyen de dissuasion. Il traine pourtant une réputation de « kidnapper » de jeune blanche en mal d’exotisme. « Lô malere tout bagay sanble ou ».

Le commandement de la Police, s’est même fendu d’un communiqué, qui déclare vouloir protéger les vies et les biens contre cet évadé de prison. Ce n’est pas la première fois que Daniel s’évade, il avait tenté de « s’évader » de son pays pour des cieux plus cléments. Seulement, le paradis occidental se mérite socialement. Et on l’a enfermé à double tour au pénitencier, pour avoir pris au sérieux le crédo de liberté véhiculé par le discours de la mondialisation. À défaut de je ne sais quelle révolution, la libération sanglante, mortifère, est venue des entrailles de la terre. Les murs de Babylone sont tombés, à la faveur de ce troublant séisme du 12 janvier.

Et puis Philomène, la femme-jardin, un autre personnage qui détient les clés du récit, reine de toutes les audaces, madone des sept douleurs. Celle qui garde les secrets de toutes nos « résiliences ». Mais voyons comment elle est évoquée dans le texte : « Philomène, c’est la logisticienne, la banquière des petits biens hors-la-loi. Son moulin à insultes, son ventre bien en évidence, sont autant de détails qui font d’elle la reine de quelque chose d’inquiétant et de rassurant ». C’est elle qui a l’idée saugrenue mais ô combien verte de faire pousser des jardins sur les décombres du séisme : « Des cacahuètes. Des aubergines. Du pois Congo. Des choses qui poussent belles et vigoureuses. Fleurissent de toutes les couleurs et de toutes les senteurs. Renouvellent la vie. Garantissent la fête de la récolte ».

Une idée subversive qui remplace les projets pharaoniques et vides de la « reconstruction ». Une idée pour gouverner la rosée, un vieux fantasme haïtien, depuis que notre territoire est devenu lentement mais surement une sorte de « rocher de Tanios ».

Le texte se lit facilement et je me suis surpris par moments à sourire des traits humoristiques qui parcourent une syntaxe qui fait du récit, un art de la jubilation. C’est que l’humour de Milcé a un air détaché, juste la pointe qu’il faut pour égayer la phrase…et déjà le récit repart dans une embardée qui pourtant se termine sans risque de se fracasser. Clarté et lisibilité maximales semblent être le choix du romancier permettant ainsi la mise en mots d’un espace non structuré, celui d’une ville surréaliste dans son « art-déco ».

Des descriptions prises sur le vif, sans verbosité inutile. Le texte est « monté » comme pour un film et la lecture rapide se fait sans agacement. Je soupçonne que derrière une narration sans prétention et un brin frivole, se cache la confession d’une « humanitaire » du siècle. Seul le roman, art total, est coutumier de ces audaces. Comme celle d’aller se jouer dans la tête d’une de ces milliers de volontaires accourus au chevet d’un pays fascinant et tragique.

Eh oui, si le vraisemblable vole en éclats sous la poussée vigoureuse et tentaculaire des graines semées par Philomène. Sorte de « résistance Chlorophyllienne » face à l’inertie minérale de la pierre, elle n’en est pas moins présente dans le réel magique d’un quotidien que vous et moi partageons, cher lecteur.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que nos personnages de roman, à quelques exceptions près, imperturbables mènent un combat inégal contre les « moulins à vent » du sort : Manuel, figure christique de la rédemption socialiste, El Gaucho, parangon de l’émancipation de la Caraïbe « bordélisée », Philomène ? Jeanne d’arc des bidonvilles…peut-être. Mais Jean-Euphèle Milcé oublie toute attitude tant soit peu militante, pour se laisser aller à écrire.

Cet auteur sensible est coutumier des identités croisées. Marianne, la jeune suisse vient au pays, où la nature est aussi cajoleuse que furibonde, se chercher une existence qui fait « sens » avec une éthique nouvelle de la responsabilité. Dans une autre histoire du même écrivain, une insulaire trouve ses racines à Genève en découvrant « un archipel dans son bain ».
Dans ce petit roman, sympathique, et pas du tout prétentieux, loin du chic trop poli qui rendent laborieux certains textes, y brillent l’éclat pas assez soutenu d’une littérature « nouvelle vague » qui emporte nos dernières rigidités théoriques et syntaxiques.

Un roman de l’été qui s’annonce, à lire décontracté.

Roody Edmé 
Éducateur, éditorialiste

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