vendredi 6 mai 2011

L’Outre-mer dans la République

Bernard Stirn et Pierre Lise

Intervention de Bernard Stirn, président de la section du contentieux, le 29 avril 2011 dans le cadre du colloque organisé au Sénat par le Cercle pour l’excellence des originaires d’Outre-mer “Outre-mer et devise républicaine”.
Colloque organisé au Sénat par le Cercle pour l’excellence des originaires d’Outre-mer
Outre-mer et devise républicaine
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Vendredi 29 avril 2011
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L’Outre-mer dans la République
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Intervention de Bernard Stirn
Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat
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C’est pour moi un réel honneur et un grand plaisir d’ouvrir ce colloque, organisé par le Cercle pour l’excellence des originaires d’outre-mer, qui va permettre, au cours d’une riche journée, d’approfondir la réflexion sur les liens qui, dans la longue histoire comme dans l’actualité d’aujourd’hui, unissent la République et l’outre-mer. Cette journée ne pouvait trouver meilleur lieu que la salle Gaston Monnerville du Sénat où nous nous trouvons ce matin. Je remercie les organisateurs, et tout spécialement mes amis le préfet Pierre Lise et le professeur Ferdinand Melin-Soucramanien, de m’avoir demandé de formuler, en préliminaire à vos travaux, quelques réflexions sur l’Outre-mer dans la République.
Pour l’outre-mer, la République est le cadre dans lequel s’inscrit une évolution fondée sur le respect du droit et sur l’égale dignité des hommes. Pour la République, l’outre-mer est une de ses composantes, qui lui apporte davantage de diversité, lui impose des obligations et contribue, par les ouvertures qu’il lui offre, à son propre enrichissement.
L’histoire témoigne de la force de ces liens réciproques, qui s’expriment en termes de développement économique et commercial, de diversité, de présence internationale, de rayonnement, d’humanisme partagé.
Durant la dernière guerre, la France d’outre-mer a été l’une des lumières à partir desquelles la Résistance a pu s’affirmer. A l’origine même de l’épopée du général de Gaulle se trouve le constat que, la métropole occupée, il restait l’Empire pour continuer le combat. « La libération nationale, si elle était accomplie un jour grâce aux forces de l’Empire, établirait entre la Métropole et les terres d’outre-mer des liens de communauté » écrit le général de Gaulle dans l’un des premiers chapitres de ses Mémoires de Guerre. Dès 1940, grâce notamment au gouverneur Félix Eboué et au colonel Leclerc, le Tchad, le Cameroun, le Congo rejoignent la France libre. Le Conseil de défense de l’Empire est formé à Brazzaville en octobre 1940. C’est à Alger que se constituent le Comité français de libération nationale puis le Gouvernement provisoire de la République française.
Le droit n’exprime qu’une partie d’une si longue histoire commune. Mais il est l’une des voies qui permet de constater que l’outre-mer est aussi attaché à la République que la République à l’outre-mer. Aussi les rapports que le droit, et notamment les textes constitutionnels, ont tissés entre la République et l’outre-mer font-ils apparaître à la fois un engagement et un enrichissement réciproques.
I/ La République et l’outre-mer : un engagement réciproque.
Sous ses formes successives, la République s’est engagée envers l’outre-mer comme l’outre-mer envers la République.
A/ L’engagement de la République envers l’outre-mer.
L’engagement de la France envers l’outre-mer a certes précédé la République. Il inspire Jacques Cartier, Richelieu, Colbert, qui sont soutenus par les Rois de France, François Ier, Louis XIII et Louis XIV.
Mais le tournant marqué par la Révolution de 1789 oriente de manière déterminante la République naissante envers l’outre-mer. Toutes les Républiques successives ont consolidé cet engagement.
Dès 1789, six députés représentent l’outre-mer à l’Assemblée constituante. Brissot crée la Société des amis des Noirs. Barnave, député du Dauphiné, défend devant l’Assemblée constituante l’autonomie locale.
Les premières hésitations apparaissent entre logique d’identité et logique de spécialité législatives, entre lesquelles la Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799) réalise le premier compromis : tout en affirmant l’unité et l’indivisibilité de la République, elle établit un régime particulier pour les colonies, qui relèvent de « lois spéciales ».
A la IIème République revient, sous l’inspiration de Victor Schoelcher, l’étape décisive de l’abolition définitive de l’esclavage par le décret du 27 avril 1848. Les principales colonies élisent leurs représentants à l’Assemblée constituante puis à l’Assemblée législative, au suffrage universel.
Sous la IIIème République, la France consolide son implantation outre-mer et y assoit l’esprit de Jules Ferry. Même si, dans leur brièveté, les lois constitutionnelles de 1875 sont silencieuses sur l’outre-mer, les institutions républicaines s’y enracinent, avec en particulier l’extension des grandes lois métropolitaines et la constitution de l’Afrique occidentale française (AOF) en 1904 puis de l’Afrique équatoriale française (AEF) en 1910.
Dans le contexte de la décolonisation, la IV ème puis la V ème Républiques ont marqué les engagements de la République envers l’outre-mer.
Selon le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « la France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion». L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité ». Avec la Constitution de 1958, la Communauté succède à l’Union française avant que les indépendances successives ne conduisent en fait puis en droit à sa disparition.
De manière beaucoup plus durable, le statut des collectivités d’outre-mer qui font le choix de la République est déterminé par la Constitution, à partir d’abord de la distinction entre départements et territoires d’outre-mer, à laquelle a succédé, en vertu de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, la distinction entre les départements et régions d’outre-mer, d’une part, les autres collectivités d’outre-mer, d’autre part, dotées chacune d’un statut déterminé par la loi organique.
L’ensemble de l’outre-mer français est en outre énuméré à l’article 72-3 de la Constitution, qui mentionne expressément, introduisant de la sorte à la fois une reconnaissance et un verrou constitutionnels, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises.
B/ L’engagement de l’outre-mer envers la République.
Les liens de l’outre-mer avec la République reposent sur un engagement librement consenti. Dès le référendum du 27 septembre 1958, le choix est ouvert entre l’indépendance et l’entrée dans la Communauté.
Sur le fondement de l’article 53 de la Constitution, en vertu duquel « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées », sept consultations ont été organisées depuis 1958, notamment pour la Côte française des Somalis en 1967, les Comores en 1974, la Nouvelle Calédonie en 1988 puis 1998. A partir d’une décision du 30 décembre 1975, le Conseil constitutionnel a constamment jugé conformes à la Constitution ces consultations d’autodétermination, sous réserve de la clarté de la question posée.
Au-delà du principe de l’appartenance à la République, les populations d’outre-mer sont appelées à s’exprimer sur le cadre général de leur organisation. La période récente a vu se multiplier ces consultations locales et leur portée s’accroître.
Pour la Nouvelle-Calédonie, l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 a été approuvé par la population locale et a reçu un statut constitutionnel en vertu des deux révisions du 20 juillet 1998 et du 23 février 2007. Une nouvelle consultation de la population de Nouvelle-Calédonie aura lieu, dans les conditions prévues par cet accord, à partir de 2014.
Le 7 décembre 2003, les électeurs de la Guadeloupe et de la Martinique ont rejeté l’instauration d’une collectivité unique se substituant aux deux départements. Le même jour, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, alors communes de la Guadeloupe, ont, en revanche, approuvé leur transformation en collectivités d’outre-mer. Le 29 mars 2009, une consultation de la population de Mayotte a exprimé l’accord de celle-ci à la transformation de Mayotte en département : Mayotte est ainsi devenue, le 31 mars 2011, le cinquième département d’outre-mer et le 101ème département français. Le 24 janvier 2010, les électeurs de la Martinique et de la Guyane ont enfin approuvé la création d’une collectivité unique exerçant des compétences dévolues au département et à la région, tout en demeurant régie par l’article 73 de la Constitution.
II/ La République et l’outre-mer : un enrichissement réciproque.
A/ L’enrichissement de l’outre-mer par la République.
Le cadre constitutionnel ouvert à l’outre-mer par la République permet à la fois d’assurer le respect des grands principes républicains et de prendre en compte les particularités qui sont celles des différentes collectivités d’outre-mer.
« La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » proclame, depuis la révision du 28 mars 2003, l’article 72-3 de la Constitution. L’unicité du peuple français, « composé de tous les citoyens français sans discrimination d’origine, de race ou de religion », selon la formule retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 mai 1991 relative au statut de la Corse, et les originalités ultramarines se trouvent de la sorte conciliées autour de la devise républicaine.
Pour les départements et régions d’outre-mer, l’article 73 de la Constitution affirme le principe de l’identité législative, tout en permettant les adaptations nécessaires, en indiquant que, dans ces collectivités : « les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Ces adaptations peuvent être décidées par les collectivités intéressées elles-mêmes dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées par la loi. En outre, et sauf à la Réunion, la loi peut les autoriser à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans des matières autres que celles qui touchent aux droits fondamentaux.
A côté des départements et régions d’outre-mer, les collectivités d’outre-mer, régies par l’article 74 de la Constitution, « ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République ». La souplesse est donc la règle. Il appartient à la loi organique de tracer, après avis de l’assemblée délibérante de la collectivité intéressée, le cadre approprié à chaque collectivité.
Le statut peut être, comme cela est le cas pour la Polynésie française, un statut d’autonomie. Dans cette hypothèse, certains actes de l’assemblée délibérante relèvent directement du Conseil d’Etat, qui exerce sur eux « un contrôle juridictionnel spécifique ». Grâce à l’outre-mer, le rôle juridictionnel du Conseil d’Etat se trouve de la sorte expressément mentionné dans la Constitution, qui ne traitait jusque là que de son rôle consultatif. La révision du 23 juillet 2008 consacrera cette reconnaissance de l’ordre juridictionnel administratif, dont le Conseil d’Etat est la juridiction suprême. Dans sa décision du 12 février 2004, le Conseil constitutionnel a précisé que les lois du pays de la Polynésie française sont des actes administratifs, et qu’il appartient au Conseil d’Etat de s’assurer qu’elles respectent notamment les principes généraux du droit ainsi que les engagements internationaux de la France applicables en Polynésie. Sur ces fondements, le Conseil d’Etat exerce son contrôle de légalité depuis les décisions du 1er février 2006 Commune de Papara et M. Sandras et du 13 mars 2006 Flosse et autres.
Plus originale encore est la situation propre à la Nouvelle-Calédonie, définie par le titre de la Constitution qui lui est spécifique. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie est doté d’un véritable pouvoir législatif, qu’il exerce en adoptant des « lois du pays », soumises, à l’instar des lois nationales, à l’avis du Conseil d’Etat et au contrôle du Conseil constitutionnel.
Un régime spécifique d’ordonnances, défini à l’article 74-1 de la Constitution, permet d’étendre, avec les adaptations nécessaires, les législations nationales aux collectivités d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie.
La même volonté d’appartenance à un ensemble et de respect des particularités se retrouve à l’échelle de l’Union européenne. Celle ci distingue les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d’outre-mer. Signe de l’importance de son outre-mer, la France est le seul pays de l’Union à avoir des collectivités qui relèvent des deux catégories.
Selon l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), les régions ultrapériphériques (RUP) sont la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, la Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ainsi que les îles espagnoles des Canaries et les archipels portugais de Madère et des Açores. Les traités européens s’appliquent dans ces collectivités mais le Conseil de l’Union européenne peut arrêter à leur égard des mesures spécifiques en tenant compte de leurs caractéristiques et contraintes particulières « sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes ».
Les autres collectivités d’outre-mer qui font partie intégrante des Etats membres ont la qualité de « pays et territoires d’outre-mer » (PTOM). Ils n’appartiennent pas à l’Union européenne mais sont associés à celle-ci, au travers notamment de la politique commerciale et des fonds structurels. Leurs ressortissants sont citoyens de l’Union du seul fait qu’ils ont la nationalité de l’un des Etats membres.
Le passage de l’une à l’autre des catégories reconnues par le droit de l’Union peut être décidé par une décision du Conseil européen prise à l’unanimité, sur proposition de l’Etat membre concerné. D’ici 2014, Mayotte, devenu département, devrait parallèlement accéder au statut de région ultrapériphérique tandis que Saint-Barthélemy suit le chemin inverse, qui le conduira à devenir pays et territoire d’outre-mer en 2012.
B/ L’enrichissement de la République par l’outre-mer.
La longue tradition de liens avec l’outre-mer donne aux principes constitutionnels fondamentaux une force particulière, en particulier le principe d’égalité ou celui de dignité de la personne humaine.
Grâce à l’outre-mer, certains principes, sans perdre de leur autorité, se déclinent de manière plus ouverte. Le principe de laïcité se combine avec le respect du statut de droit local à Mayotte et avec le rôle spécifique de l’Eglise catholique, en particulier dans l’enseignement, à Wallis-et-Futuna. Si le français est la langue de la République, comme le rappelle l’article 2 de la Constitution, les langues régionales, notamment le créole ou la langue tahitienne, peuvent être enseignées et encouragées.
Dans la période récente, l’outre-mer a servi de laboratoire d’idées pour l’évolution constitutionnelle des rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales, y compris de métropole.
Montrant que l’unité de la République pouvait s’accommoder de diversité et de souplesse, les statuts des collectivités d’outre-mer ont facilité le mouvement de décentralisation, initié par la loi du 2 mars 1982 et consacré par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, qui a complété les grands principes énoncés à l’article 1er de la Constitution –« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances »- par une phrase selon laquelle l’organisation de la République est décentralisée. Dans l’ensemble de ses termes, le premier des articles de notre loi fondamentale résonne notamment comme un écho aux liens de la République et de l’outre-mer.
Avec la Nouvelle-Calédonie, les liens définis par le titre XIII de la Constitution sont proches d’un modèle fédéral. La République peut ainsi se construire de manière souple et différenciée.
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A partir des principes constitutionnels, la force et la richesse des relations entre la République et l’outre-mer apparaissent avec évidence. Le colloque d’aujourd’hui va les éclairer de multiples manières en réfléchissant à la belle et riche question des liens entre la devise républicaine et l’outre-mer.
Nul doute que la devise de notre République est pour l’outre-mer français une aspiration en même temps qu’une exigence, au travers des perspectives multiples qui s’ouvrent à chaque collectivité dans l’horizon républicain. Notre devise républicaine vaut sans partage pour l’outre-mer comme pour la métropole. La liberté, l’égalité, la fraternité incluent ainsi le thème, cher à Aimé Césaire, de l’identité

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