17 ans, sur le balcon, lycée de Bellevue... |
Il y a peu, je commentais avec « quelqu’un » une photo de lui prise à l’époque de ses dix-sept ans. Comme je lui demandais quels étaient les rêves de ce jeune garçon il me répondit qu’il rêvait alors d’être celui qu’il est aujourd’hui sur le plan professionnel, ainsi que d’une femme aimante pour la vie - et qu’en cela il avait dû déchanter…
Et moi, à dix-sept ans, c’est-à-dire trente ans plus tôt, de quoi, à quoi pouvais-je bien rêver ?
A dix-sept ans je m’ouvrais, enthousiaste, aux joies et à l’âpreté du militantisme et je demandais à l’un des camarades chargés de notre éducation politique s’il croyait que dans dix ans la Martinique serait indépendante, la Caraïbe unie, et l’Amérique, nuestra, ainsi que l’avaient rêvée Martí et Bolívar…
Je rêvais encore d’être une brigade internationaliste permanente, révolutionnaire polyglotte sans peur et sans attaches sur tous les fronts et les routes du Monde…
Je rêvais de rencontrer Nicolás Guillen en de longues conversations, en fureurs de poèmes et grands soubresauts de rires de negros bembones…
A dix-sept ans, je croyais que le fait de surprendre sur moi le regard du garçon dont j’étais follement éprise à chaque fois que je levais les yeux était prémisses d’une belle et durable première histoire d’amour. Jusqu’à ce qu’il me saccage…
A dix-sept ans je me battais désespérément pour qu’on cesse de me traiter de pute au simple motif que j’avais plus d’amis masculins que féminins. Les choses n’ont guère changé à cela près que je ne me bats plus pour prouver quoique ce soit !
A dix-sept ans, debout sur les balcons du lycée de Bellevue, je regardais des heures durant la mer en ses milles et un plis, en son vibrant silence et je rêvais de me faire enrôler sur un des nombreux bateaux qui traversaient la baie, quand je trouvais trop d’aspérités à ma vie, à la vie… Partir, loin de ce pays que j’aimais trop déjà… En dépit du fait que je n’ai absolument pas le pied marin !
A dix-sept ans, je noircissais des pages et des pages de cahiers colorés sans jamais me croire poétesse.
J’ai appris aussi que l’amitié pouvait écorcher durablement et l’amour marquer le cœur d’indélébiles blessures.
Mais, obstinément, follement, je croyais en la proche Révolution, en l’amitié et en l’amour plus forts que toutes les déchirures. Et je croyais « l’innocence consciente » supérieure à tous les désenchantements…
Et trente ans après, c’est cela qui demeure, intact, comme un diamant voué à la rédemption de la gangue…
J’ai dit au garçon de la photo que c’est son innocence qui m’avait attirée et, qu’en dépit de nos déchirures respectives, nous avions tout ce qu’il nous reste de vie pour conjuguer les pages de notre histoire en « innocence lucide »…
C’est la même innocence qui me permet de me mettre à nu aux yeux de ma fille aînée en partageant avec elle une expérience de dessin automatique. Je savais que mon dessin lui dirait tant de mon état de ce soir mais nos innocences respectives et le respect qui nous lie méritaient cette audace…
Oui en trente ans, il m’est arrivé et il m’arrivera encore peut-être parfois de rêver de partir (il y tant de façons de partir !), de larguer les amarres d’une vie dont j’ai le sentiment de ne pas posséder les codes.
Mais par-dessus tout j’aime la vie dont j’ai appris qu’un creux n’est là que pour vous impulser le courage de toucher le fond pour vous hisser jusqu’à la prochaine crête.
J’aime la vie dont les petites joies simples composent la toile bigarrée du bonheur et dont les larmes peuvent être douces…
Oui, en vérité, trente années plus tard, je peux dire que j’aime MA vie et que je ne regrette rien, pas même les trébuchements qui m’auront permis de fortifier la résistance de mes jambes. J’aime ma vie en son non-sens et en son tout-sens.
J’aime ma vie parce que c’est ce que j’ai pour grandir et mourir un jour en rêvant de Sagesse…
Nicole Cage,
Schœlcher,
11 et 12 septembre 2012
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