mardi 6 mai 2008

Mort de Césaire | Précurseur de la lutte des classes



La mort du poète martiniquais Aimé Césaire n’a laissé personne du monde littéraire indifférent. Comme disait le poète Birkinabè Birago Diop, c’est une bibliothèque qui a brûlé. Le professeur Mbelolo donne ici son sentiment après la disparition de cet éminent africain, ami d’Eméry-Patrice Lumumba au sujet de qui il a écrit une pièce de théâtre. Mbelolo est un acteur important dans la lutte des étudiants noirs dans l’émancipation de l’Afrique tel que cela s’est produit en Mai 68 lorsqu’il terminait sa licence en philosophie à Liège. Le discours de Césaire aura porté ses fruits.

Né à Luozi au Bas-Congo le 10 juin 1938, le professeur Joseph Mbelolo ya Mpiko a eu son diplôme des humanités secondaires à l’école des Pasteurs et d’instituteurs Kimpese en Pédagogie Générale en 1961. Spécialiste de l’enseignement du Français et Histoire à l’Ecole normale de Nivelle en Belgique en 1964, Mbelolo est licencié en Philologie romane en 1968 à l’Université d’Etat de Liège. En 1972, il obtient un certificat d’Anglais à Boston aux USA. Docteur es Philosophie et Lettres en 1982, il est Doyen à l’ISTI en 1984 à 1986, puis recteur à l’IFASIC en 1978 à 2002. Aujourd’hui il enseigne à l’IFASIC, à l’UPC et ailleurs.


Le Révélateur : Monsieur Mbelelo, vous êtes professeur à l’Institut Facultaire de Science de l’Information et de Communication, dites-nous que représentent les œuvres d’Aimé Césaire pour votre génération ?

Mbelolo : Les œuvres d’Aimé Césaire pour notre génération représentent d’abord un acte intellectuel d’engagement c’est-à-dire que les intellectuels de la génération d’Aimé Césaire n’ont pas écrit pour écrire, ils ont écrit de la poésie, des pièces de théâtre, des essaies politiques pour défendre une cause qui était c’elle de la culture noire. Rappelez-vous que Césaire est originaire de la Martinique, supposé donc être Français de nationalité par le fait qu’il est né de la Martinique. Et tous les martiniquais ont toujours fait la mauvaise expérience.

Quand ils sont à la Martinique, ils se croient vraiment être français. C’est en arrivant en France qu’ils découvrent qu’on les considèrent pas comme des français. Alors Césaire rencontre Senghor à Paris, il rencontre Damas de la Guyane française. Donc, ce sont les membres de la diaspora, les intellectuels de la diaspora de l’époque coloniale, des gens qui sont partis pour faire des hautes études. Rappelez-vous que pour entrer à l’Ecole normale supérieure, il fallait passer un grand concours et Césaire l’avait réussi.

Senghor a fait des bonnes études à la Sorbonne, sans passer par l’Ecole normale supérieure mais les trois se sont rencontrés à Paris. En examinant la situation des Nègres, ils ont compris qu’ils avaient un rôle à jouer, celui d’être des veilleurs des consciences pour que les futures générations sachent que l’homme noir a sa culture, l’homme noir a une base à porter à la culture mondiale. Césaire était le premier à lancer le mot ‘‘négritude’’ lorsqu’en 1939 il écrit ‘‘Cahier d’un retour au pays natal’’. Un long poème publié dans le journal ‘‘Volontaire’’ et c’est là que le mot ‘‘négritude’’ apparaît pour la première fois, donc pour la première fois le mot ‘‘négritude’’ est entré dans le vocabulaire.

Ce qui fait que l’œuvre de Césaire représente pour les gens de notre génération non seulement une grande œuvre de création artistique mais aussi une œuvre au service d’une cause, celle de la culture noire, celle de la libération de l’homme. Dans l’engagement de Césaire, ce n’est pas seulement comme l’homme noir mais aussi comme l’homme de culture politiquement, socialement aussi.

Parmi les œuvres d’Aimé Césaire figurent aussi ‘‘Une saison au Congo’’ qui retrace la lutte menée par Patrice Lumumba contre les colonialistes. Dites-nous quel opinion avez-vous de cette œuvre ?
‘‘Une saison au Congo’’ est une des pièce des théâtres qui a fait connaître Aimé Césaire plus que sa poésie qui est une poésie hermétique, il faut le dire. Il a un style hermétique, un vocabulaire immense et donc pour pénétrer la poésie de Césaire il faut avoir une bonne culture générale. Alors dans ‘‘Une saison au Congo’’, il aborde la question politique de la libération de l’Afrique noire sous une forme théâtrale. Alors une saison au Congo est une pièce de théâtre qui retrace non seulement le combat de Lumumba mais aussi le combat du peuple congolais. L’erreur de la plupart des interprètes, c’est de croire que c’est Lumumba qui est mis en exergue.

Oui effectivement mais pour Césaire. C’est le peuple congolais qui mène sont combat et dans ce combat il y a des acteurs notamment Lumumba et donc c’est une pièce de théâtre qui est à la fois un hommage rendu à l’action de Lumumba, il faut le reconnaître, mais aussi au peuple congolais en général dans sa lutte pour son émancipation. ‘‘Une saison au Congo’’, d’abord le terme une saison c’est une expression poétique qui veut dire un séjour au Congo. On retrace une partie de l’histoire du Congo pendant un temps. Dans une saison au Congo comme vous le savez, non seulement on voit l’émergence de Lumumba comme un leader politique mais la prise de conscience progressive du peuple congolais et lui-même. Cela commence sous forme bonimenteur.

Lumumba se fait comme un bonimenteur c’est-à-dire le vendeur de la bière mais aussi la population qui derrière cette fraîcheur des tropiques, comme on l’a appelé, comprend qu’il y a quelque chose qui se passe et de fil en aiguille entre Lumumba et la population. C’est une sorte de complicité qui fait que la prise de conscience n’est plus une affaire d’une personne ; c’est une affaire de tout le monde et en même temps pendant que le peuple congolais mène le combat, on voit apparaître aussi en filigrane des traîtres parce que la mort de Lumumba n’est pas seulement une affaire de l’Occident, il est vrai que l’Occident avait tout organisé, il était aussi vrai que les Congolais ont participé activement à l’élimination physique de Lumumba. Dans cette émergence de la prise de conscience, du combat apparaît donc deux éléments très importants.

Ce que le combat ne peut pas se mener sans la prise de conscience mais en même temps cette prise de conscience doit passer à l’action pour que la société se transforme. Dans cette transformation, il y a des acteurs, ceux qui sont pour la bonne cause et ceux qui sont pour la mauvaise cause et dans le cas d’espèce, Lumumba est de ceux qui sont dans le camp de la bonne cause. Il veut l’émancipation de son peuple, il veut la libération de son peuple. Il n’a pas peur de s’engager publiquement dans ce combat. D’autres qui sont contre, généralement dans la pièce, ils apparaissent comme des gens qui jouent à l’impérialisme.

Londres, Bruxelles, New York, c’est la haute finance qui concoctent la mort de Lumumba et pour atteindre cet objectif, la haute finance a besoin des complices congolais. On les recrute librement parmi les Congolais. C’est le drame. En fait, ce combat est encore actuel jusqu’aujourd’hui si vous observez bien. Le peuple qui veut s’émanciper, des gens politiquement engagés qui veulent cette émancipation mais aussi d’autres Congolais qui s’engagent contre cette émancipation pour les intérêts égoïstes. Alors Aimé Césaire a voulu rendre un vibrant hommage à Lumumba et au peuple congolais.

Allez-vous confirmer que cette œuvre, une ‘‘Saison au Congo’’ avait été interdite au pays à l’époque de Mobutu ? Si oui dites nous pourquoi ?
Bon, officiellement non. Dans la première version d’‘‘Une saison au Congo’’, Aimé Césaire était très critique vis-à-vis de Mobutu. Il y a eu une deuxième version lorsque Mobutu proclame Lumumba héro national c’est au fond une sorte de compromis politique. Quand même, il faut le reconnaître et dans sa première version, cette pièce ne pouvait passer comme telle au Congo à l’époque de Mobutu. La dénonciation n’a pas épargné les Congolais qui étaient des grands acteurs dans l’anti-émancipation du peuple congolais. Pendant longtemps c’est une pièce qui circulait sous le manteau, lorsque la deuxième version apparaît, Mobutu proclame Lumumba héros national, il y a eu des compensations mais au total c’est une éthique politique sociale sur la manière dont les acteurs politiques congolais apprenaient, enseignaient la politique au service du peuple pour les uns et au service de l’impérialisme pour les autres.

Voulez-vous dire que ce n’est que la deuxième version qui a été jouée sous le règne de Mobutu ?
Absolument, la première version ne pouvait pas être jouée pendant l’époque de Mobutu, la dernière version a été jouée aussi à Bruxelles et dans cette dernière version comme je l’ai dit, il y avait des aménagements d’ordre politique et cela a permis à ce que la pièce soit jouée au Congo.

Propos recueillis par Munor Kabondo

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