Blog dédie au poète Aimé Césaire notamment à son oeuvre, sa poésie et collectant les articles qui ont été publiés sur ce grand homme martiniquais
mardi 28 avril 2009
"La terre gibbosité" C’ETAIT AIME CESAIRE
Si on me demandait de désigner un poème qui donnerait comme une épaisseur-pays à l’œuvre poétique d’Aimé Césaire c’est, bien sûr, Comptine dans Ferrements que j’aurais choisi. Cet éco-poème qui dit le triomphe de la mémoire, de la vie même, sur la rudesse de l’histoire et le primat de la culture sur la nature, marque un ancrage du poète (peut-être, malgré lui) dans cette terre-mémoire-culture-caribéenne de Martinique.
Comptine qui rassemble ces îlots de mémoires douloureuses gagnés sur l’océan, décale l’universalité de la poésie césairienne, la ramenant, par sautillements multiples, au lieu martiniquais. Les poètes chantent toujours un lieu avec lequel ils font corps, parfois. "Cette pierre sur l’océan élochant de sa bave" que le poète prend pour terre c’est dire une matrice-mémoires qui façonnait ce qu’Aimé Césaire nommait "l’identité martiniquaise". Ferrements marque l’entrée de la poésie césairienne dans le/les temps de l’enracinement. Mais le lieu qui était ici passeur de mémoires données en une seule roche, pouvait-il, déjà, faire la relation avec l’ailleurs-monde, tous les ailleurs possibles ? Les ramures de cette terre-mémoire-culture-Martinique emplissaient le Calendrier lagunaire/Moi, laminaire qui faisait comme une sourde réplique à Comptine/Ferrements et signalait l’enracinement achevé puisque l’ailleurs était ici même, puisque la mémoire tombait dans l’histoire.
Cette terre-mémoire-culture-Martinique, une victoire sur la nature, c’est dire que Aimé Césaire avait travaillé son cri nègre, (le cri césairien n’était pas un cri brut, le cri damassien), renvoyait une densité, une épaisseur que le peuple, dans ses combats quotidiens, donnait aux lieux, à la terre-pays. La poésie césairienne qui était restée campée sur une langue française trop cavalière, revenait au pays réel après une solidarité franche avec les humanités souffrantes partout dans le monde. Elle revenait au pays réel puisqu’elle était partie à la conquête/reconquête de tous ces bouts de monde qui portaient "son empreinte digitale", l’empreinte nègre. Partir pour, "homme-juif, homme cafre, homme-hindou-de-Calcutta, homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas", faire voix avec les sans-voix. Partir, pour s’enrouler dans ces histoires nègres-debout, Haïti, mère de toutes les terres-histoires ; Mississipi/Amérique, un pont d’injustices qui flotte jusqu’aux rives des Caraïbes/Amériques, le Congo rebelle qui pointe une vision trop courte sur le continent-Afrique. Tous ces rivages explorés ont-ils révélé un acteur nègre accompli ? Le Cahier d’un retour au pays natal présentait davantage les traits d’un départ en quête de, dont Ferrements aura scellé le retour obligé.
Qui était le nègre de la négritude césairienne ? Puisque la poésie césairienne n’était pas afro-centrée, puisqu’elle courait le monde, même enracinée dans la terre-mémoire-Martinique, alors le nègre de la négritude césairienne n’avait pas toujours été africain ou ni afro-descendant. Le défaut déterminant des négritudes c’était la négation de la diversité culturelle et politique du continent-Afrique. Les colonialismes et la négro-phobie/mélano-phobie (parfois la négro-phagie) qui les habite, avaient créé cette Afrique là, une et brute, une vieille roche que « l’histoire » coloniale finirait par dompter ; les négritudes en tant qu’elles étaient des contre-discours-colonialistes ont repris, en la renversant doucement parfois, cette Afrique une et brute.
"ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité
d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage de terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre"
Le cynisme commémoratif césairien était bien en déport des négritudes damasienne (cynisme angélique) et senghorienne (métissage des identités-races-cultures, de l’hellène raison et de l’émotion nègre), elle s’appliquait simultanément à, une identité-culture, une identité-mémoire, une « crypto-identité-race », jusqu’à une proto-identité politique. Parfois angélique, souvent commémoratif le défi cynique césairien arborait une complexité qui n’avait jamais intégré l’identité-langue-Martinique. Or c’est bien cette identité-langue-Martinique qui fait l’histoire et la culture, authentiques. Sans cette identité-langue-Martinique on ne pourrait marronner hors les tracées de l’histoire coloniale ; c’est cette identité-langue-Martinique qui projette.
Dans ce 20e siècle où les mémoires passaient essentiellement par le lieu, la négritude césairienne avait relu trop rapidement une histoire coloniale (coloriste) tombée des carnets de correspondance et de voyages des abbés et négriers du 18e siècle, des abolitionnistes et « amis des noirs » du 19e siècle. C’est sans doute là, une des raisons majeures de son insuffisance politique, cette incapacité à ajouter une voix martiniquaise aux mouvements des indépendances/décolonisations qui ouvraient au/le monde. Cette incapacité à faire rentrer la terre-mémoire-culture-Martinique dans l’histoire et à envisager le pouvoir politique. Cette poésie césairienne enracinée dans la terre-mémoire-culture-Martinique n’a pas eu un écho politique vrai, l’assimilation/départementalisation ne peut-être la décolonisation mais bien une institutionnalisation du fait colonial, une permanence du délire négrophobe/mélanophobe et négrophage.
1- Les trois temps de la poésie césairienne.
Le temps de la solidarité avec toutes les humanités-monde souffrantes s’inscrivait, toujours doucement, dans cette vision marxienne, un messianisme éclairé où les derniers étaient supposés soumettre les premiers mais aussi un hyper-assimilationnisme social-républicain où le salut des colonisés était subordonné à l’avènement d’un pouvoir prolétarien en Europe. Le poète solidaire, humaniste à l’écoute de tous les opprimés du monde, chevauchant une langue et une culture françaises, pensées universelles, n’avait fréquenté aucun verbe martiniquais. Dans les mornes qui surplombent Fort-de-France - Mòn-koko, Mòn-pichven, Latrenel, Sitron, Tivoli -, la langue martiniquaise, en tout cas sa version parlée, le créole, avait servi de marchepied au grec ancien, – eïa hellèn -, au latin, langue morte depuis madjigada, même au serbo-croate, au français d’an-tjou-man-deviran, à l’anglais wichpitinglish, et autres langues trop euro-centrées. Aucune des nombreuses langues de la mater Africa (aberewatia Abibiman) n’avait pu s’exprimer dans la poésie césairienne. Le poète communiste, le poète du Cahier d’un retour au pays natal, le poète de Les armes miraculeuses, n’avait prolongé aucune de ces musiques martiniquaises, toutes caribéennes, qui, armes miraculeuses justement, nous avaient façonné peuple.
Le temps de la commémoration signalait une pré-conscience raciale et une conscience culturelle qui n’arrivaient toujours pas à lire le fait politique martiniquais. Le poète ruminait, commémorait, se souvenait mais ne faisait jamais corps avec un destin nègre-martiniquais libre. C’est Frantz Fanon qui dès Peaux noires, masques blancs, (et le pluriel des masques crie, anmwe, man-persefout) avait stigmatisé cette conscience qui se contentait de se souvenir. Ce commémoratif là, Cadastres, Soleil cou coupé, avait abruti plusieurs générations d’une vision réductrice du continent africain qui parfois ressemblait tristement à une lointaine province française et caricaturé l’histoire afro-américaine chiffonnée, griffonnée à Gorée (Sénégal), une altération de l’histoire pour les bénéfices de l’hallucinante francophonie. Et les voici, Akan, Yoruba, Igbo, Mende, -101 nanchon Afrik-Ginen-, brillantes comme des sousoun-klere du dimanche, avant la grand-messe, tombées dans le gouffre de l’oubli : "dans l’incognito chrétien de l’entrepont… où la pesanteur, les fièvres, la famine, la vermine, le béribéri, le scorbut, le manque d’air et la misère y ont célébré d’atroces orgies" pour citer Yambo Ouologuem dans Le devoir de la violence. Ce commémoratif là, qui pourtant a pu initier un dialogue avec des nativismes afro-étasuniens et afro-caribéens, n’a jamais fréquenté les résistances nègres-caribéennes, Bumba, Campo Grande, Palmares, Bwa-Leza-Matinik, Le Maniel, Para, tous ces territoires du premier temps caribéen.
Le temps de l’enracinement touchait une conscience culturelle qui nous a fait tantôt héritiers, tantôt diaspora d’une Afrique pensée non plus comme un continent mais comme un espace-temps unique, sans histoires franches mais dont la mémoire chantée par quelques vieux griots hébétés ré-ouvrait incessamment notre blessure originelle. Brass, Calabar, Ilfe, Nupe, toutes ces cités-états ante-coloniales qui avaient magnifié le politique. Une structuration autochtone de la culture martiniquaise n’était jamais envisagée ; comme si la déterritorialisation et le passage n’avaient jamais existé ; comme si le dominé yorouba, akan, ibo, mende et tous les autres dans la plantation coloniale n’avaient jamais cherché à renverser cette domination ; comme si le marron des hauteurs n’avait jamais intégré un/des paysages de la terre-mémoire-Martinique (la reterritorialisation) ; comme si les enfants de la deuxième génération des akan-igbo-yoruba/nago n’avaient jamais bricolé cette langue-culture créole qui a fait la langue-culture-Martinique contemporaine. La pré-conscience politique qui en était sortie n’arrivait pas à poser la terre-mémoire-culture-Martinique dans une perspective historique. Le poète enraciné n’avait pas réussi à prendre la terre-Martinique avec la mémoire-Martinique pour en faire une histoire-Martinique-Monde. Il avait, par exemple, toujours commémoré Victor Shoelcher, grand libérateur de nègres devant Olórun/Osebùruùwà, jusqu’en 1978 quand quatre jeunes dont Guy Cabort-Masson avaient interrompu une de ces cérémonies de fin d’Avril et mis en lumière la révolution antiesclavagiste du 22 mai 1848. Schœlcher a d’ailleurs continué à hanter et injurier le 22 Mai puisque l’on célèbre encore Viktò Chelchè et le 22 mai n’est plus qu’une vulgaire date anniversaire d’abolition.
2- Le nègre césairien, un opprimé du monde.
Communisme des mornes ou de la forêt, dans son en-aller en solidarité avec tous les opprimés du monde, "poreux à tous les souffles du monde", la négritude césairienne s’était embrouillé dans son vouloir-dire la supériorité morale de l’opprimé. C’est la langue de la dialectique qui, certes belle, ne collait pas. C’est qu’il avait fallu partir pour libérer le langage. C’est que cet acte de poésie exprimait une révolte, Aimé Césaire rugissait, criait, dénonçait et ce cri faisait musique mais la langue d’adoption rétrécissait le champ/chant même de cette musique. Le pentatonique yoruba était resté cantonné au tibwa de la danse Beliya. Le nègre césairien sorti de cette musique-poésie était dépouillé d’une langue native-natale. Il était alors tous les opprimés du monde. Comme un type-idéal froid et abscons sans aucun geste martiniquais/caribéen.
Dans la réalité il y avait plusieurs nègres dans la négritude césairienne. Le nègre césairien du temps des solidarités avec tous les opprimés du monde n’était pas toujours africain ou afro-descendants. Faut-il le dire ici ; dans toute l’Amérique des plantations, le mot nègre renvoie, depuis la Révolution haïtienne et Jean-Jacques Dessalines, au statut d’être humain et non à un phénotype. Le nègre du poète commémorant était un africain. Aimé Césaire affirmait avoir découvert la Martinique en découvrant l’Afrique. Cette formule déraisonnable (l’Afrique est un continent donc indécouvrable et indécouvert d’ailleurs ; on se perd dans un continent) signalait une "conscience raciale " au sens fanonien du terme qui pervertissait la conscience politique. Mais quel Afrique-continent avait-il découvert ? Puisqu’il avait découvert la Martinique à travers l’Afrique, le nègre du poète enraciné était alors un afro-martiniquais. Ceci renvoyait à une construction de la nation martiniquaise dont les césairiens, césairistes et les césairolâtres attribuaient la paternité à Aimé Césaire sur un modèle "racial". C’est Louis Telgard, 1838-1882 le père de la nation martiniquaise et c’est bien la Révolution politique de 1870, l’acte fondateur de la nation-Martinique.
La conscience raciale n’était pas pleine chez Aimé Césaire ; c’est qu’elle n’avait pas dégagé une conscience historique qui l’enracinerait dans la terre-mémoire-culture-Martinique. C’est que le Cahier d’un retour au pays natal avait été trop proéminent dans l’œuvre d’Aimé Césaire ; il avait asséché jusqu’à la poétique même de la négritude. La négritude césairienne errait au gré de plusieurs marqueurs identitaires, de manière indifférenciée, le phénotype, la culture, la mémoire, l’identité. Elle était à la fois un retour aux origines, un el dorado nègre africain/outre-mer, une reconquête de l’humanité africaine bafouée et une dénonciation appuyée de l’oppression partout dans le monde. Tout ça c’était déjà le Cahier. Et puisque l’épiderme ne peut être un marqueur identitaire, puisqu’il ne peut y avoir de "pensée noire " (sauf pour les négro-phages), puisqu’en Amérique, nègre n’était pas un phénotype, alors la conscience-race césairienne était bel et bien un humanisme agissant.
3- L’impossible conscience politique.
Il est illusoire de vouloir faire l’union du poète/philosophe/dramaturge avec le politique. C’est que la littérature fréquente des imaginaires, renouvelables à l’infini, qui étirent le réel jusqu’à tordre, déterritorialiser la langue. La littérature multiplie la langue, par langages recomposés ; le politique se cantonne aux lieux pré-requis (donc aux lieux-communs) de la langue. Le politique et la littérature, entretiennent des passerelles invisibles ou secrètes qui étoffent la conscience politique quand ils habitent la même niche écolinguistique. Dans cette complexité-langue, les peuples y jouent parfois leur survie.
La confusion politique qui a précédé la loi de départementalisation dont Aimé Césaire fut le rapporteur montrait bien cette difficulté pour un poète francophile à traduire la demande politique martiniquaise toujours complexe ou simplement tourmentée. Comment peut-on vouloir la fin des privilèges coloniaux, par l’intégration brute au système colonial ? Et même si Aimé Césaire avait porté toutes les contradictions du 20e siècle, l’intégration politique en lieu et place de la décolonisation démontrait cette naïveté politique qui cadrait bien la faible conscience historique du poète et ce vieil axiome marxiste du prolétariat européen qui tirerait les peuples sous-développés des chaînes. Parce que les conditions socio-historiques (le conflit racial non tranché) auraient fouillé la dépendance antillaise ; parce que les peuples de Guadeloupe et de Martinique n’avaient pas été consulté sur la transformation des vieilles colonies, en des départements coloniaux ; parce qu’une décolonisation ne peut faire l’objet d’un décret dans une assemblée d’outre-mer, cet acte de piraterie politique (le peuple n’a pas été consulté) signifiait que la conscience raciale du poète (qui encore une fois, fut le rapporteur) avait supplanté sa conscience historique, la conscience politique égarée à jamais. Si le poète a reconnu que l’égalité revendiquée avait été habilement transformée en assimilation c’est bien qu’aucune conscience politique n’avait présidé cette légèreté. La rupture politique avec le parti communiste et la création du Parti Progressiste Martiniquais en 1958, et les affrontements verbaux, et physiques parfois, entre césairistes et communistes vers mars 1858 notamment, ont mis en évidence une prise de conscience tardive de la manipulation et de la non-maîtrise des réalités politiques antillaise par les communistes français. Quant à cette loi de départementalisation, c’était quand même un modèle politique taillé sur mesure pour les békés même si ces derniers tellement bòkoy ne l’avaient pas compris au départ. C’était quand même là, un manquement grave à la pensée communiste, la lutte des classes en tant qu’elle est le moteur de l’histoire, du changement social, en plus terre à terre.
Pour se transformer en conscience politique, la conscience raciale devait lâcher le commémoratif, le souvenir pour l’histoire, dégager une singularité martiniquaise/caribéenne dans la mémoire nègre universelle. Cette conscience historique devait permettre le dépassement de la race et ouvrir les voies d’une conscience politique quand elle donne une cohérence, une géographie aux résistances d’hier. La poésie césairienne enracinée dans la terre-mémoire-culture-Martinique avait pétrifié cette conscience-race, bloquant toute initiative d’un changement social et politique dans ce pays. La lutte des classes et la lutte de libération nationale désactivées durablement, le poète avait planté "l’arbre de la réconciliation" avec le maître-savane d’ici là mais cette réconciliation obligée n’avait scellé aucune refondation puisque la conscience historique était ailleurs.
La poésie césairienne, celle de l’enracinement, semée dans la terre aux neuf volcans avait chanté un idéal-Martinique que le Cahier d’un retour au pays natal, trop entêté à l’universel avait déjà fixé. Cette poésie de l’enracinement était comme condamnée à minéraliser une terre-mémoire-culture-Martinique qui désormais tombait lourdement dans l’histoire coloniale d’en France.
Vòlkan Senpiè "Il ya des volcans qui meurent
Il y a des volcans qui demeurent
Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent… "
Et puisque les poètes ne meurent jamais, recouvrons vite, l’homme politique de cette terre dont il a scellé, malgré lui, la disparition du peuple natif-natal pour que, au pire, la terre demeure.
Simao moun Wanakera
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