Le 28 août 2010, petite provocation à Washington : les meneurs des Tea Parties, mouvement populiste droitier essentiellement blanc, organisent une manifestation au coeur de la capitale fédérale. C'est le jour anniversaire du discours prononcé quarante-sept ans plus tôt en ce même lieu, au pied du Mémorial Lincoln, par le pasteur noir Martin Luther King. "Je fais un rêve", disait King, celui d'une Amérique où les femmes et les hommes "seront jugés non sur la couleur de leur peau mais sur leur personnalité".
On a cru le "rêve" accompli ou presque quand une majorité d'électeurs a, en novembre 2008, élu un Noir à la Maison Blanche, Barack Obama. On a cru "l'Amérique réconciliée". Mais deux ans plus tard, de façon subliminale ou beaucoup moins parfois, les animateurs des Tea Parties questionnent "l'américanité" d'Obama. Ils le font pour une seule raison : il est noir. Et ils le font avec succès : près d'un quart des Américains disent le président "kényan" ; 18 % le croient "musulman" - bref, un clandestin, "pas de chez nous".
L'élection d'Obama n'aurait rien changé ? Non, elle est le plus formidable marqueur de l'évolution de l'Amérique sur la question raciale - question consubstantielle à la naissance de la République américaine au XVIIIe siècle. Elle témoigne du chemin parcouru par les Noirs américains, la seule minorité qui n'était pas volontaire pour le Nouveau Continent. C'est l'histoire d'une longue lutte qui commence avec le traumatisme original, une immense et singulière tragédie : la traite des Noirs et l'esclavage.
L'héritage est lourd, il pèse encore. Il a profondément marqué l'histoire des Noirs américains - en fait, celle des Etats-Unis tout court. Le grand mérite du livre de Nicole Bacharan est dans cette manière de montrer comment l'histoire du pays est intimement liée à celle du mouvement d'émancipation des Noirs américains. Elles se confondent. On ne comprend pas la guerre de Sécession sans saisir la place de l'esclavage dans l'économie du sud des Etats-Unis. On ne comprend pas l'intensité de la lutte pour les droits civiques sans savoir ce qu'a été la ségrégation raciale. On ne comprend pas ce que sont aujourd'hui les deux grands partis américains, les démocrates et les républicains, sans en revenir au moment où les premiers ont perdu le Sud - après le vote sur l'égalité civique en 1963.
On ne comprend pas les "guerres culturelles" qui divisent aujourd'hui l'Amérique - entre les villes et les banlieues, les côtes et l'intérieur - sans revisiter la grande révolte des années 1960 et la contre-révolte qu'elle a suscitée dans les années 1980. On ne comprend pas la victoire d'Obama sans étudier la montée en puissance des Noirs dans le Parti démocrate et dans la politique locale, etc.
Réconciliation
C'est tout cela que raconte Nicole Bacharan, l'une des meilleures spécialistes françaises des Etats-Unis, de manière vivante et précise. Etudiants, prenez note : le livre présente en annexe quelques textes de référence et une chronologie sur quatre siècles des grands moments de la lutte des Noirs américains.
Nicole Bacharan est prudemment optimiste. L'Amérique est sur le - lent - chemin de la réconciliation. Le sort des Noirs américains s'est considérablement amélioré. La politique de discrimination positive a eu ses mérites. Il y a une bourgeoisie noire, grande et petite. Mais toujours des ghettos, toujours trois fois plus de pauvres dans la communauté noire, et une proportion alarmante de jeunes en prison, etc. Ce livre raconte une évolution, pas une révolution.
LES NOIRS AMÉRICAINS. DES CHAMPS DE COTON À LA MAISON BLANCHE de Nicole Bacharan. Tempus, 618 p., 11 €.
Alain Frachon
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