"Schoelcher Philanthrope français libérateur des noirs, j’imagine cette définition de quelque dictionnaire qui eut comblé d’aise gouvernement et préfet. Et en effet, cette phrase résume assez bien le Schoelcher du schoelchérisme officiel.
Car vous le savez depuis quelques temps et pour faire pièce aux partis de gauche qui avaient déterré Schœlcher du grenier poussiéreux où l’avaient relégué les principes de la 3è et 4è république, les officiels de la 5è république véritables imposteurs sont repartis à la conquête de Schoelcher et fêtent Schoelcher à leur manière c’est à dire sans le peuple bien sûr mais avec préfets, généraux et amiraux.
Eh bien ce Schœlcher ce n’est pas le nôtre et je dois à la vérité de dire qu’il n’a avec le vrai Schœlcher qu’un rapport très lointain.
Quant au vrai Schœlcher, si nous pouvions l’interroger aujourd’hui sur son vrai rôle dans l’histoire de l’abolition de l’esclavage, j’imagine bien sa réponse et que sans renier son action, sans taire les épisodes de son combat, il se fut bien gardé de passer sous silence le rôle de ces combattants de l’ombre et de la nuit que furent les nègres marrons et les insurgés nègres.
C’est Schoelcher lui même qui le note. Écoutons Schoelcher : « Il ne s’écoule jamais dix années sans que les noirs ne protestent par quelques violence contre l’état où on les maintient. Voyez à la Martinique seule et sans remonter plus haut que 1811.
En 1811 : révolte
En 1822 : révolte
En 1823 : révolte
En 1831 : révolte, la conjuration générale, elle éclate au cri de
la liberté et la mort ! En trente ans quatre cinq insurrections de Nègres ! ».
Eh bien ces chiffres ne constituent pas une banale statistique de nature à satisfaire les esprits curieux d’histoire. Ils établissent au contraire un point capital à notre débat et illustre une vérité philosophique et sociologique fondamentale.
Cette vérité je pourrai en demander la formulation à Karl Marx ou à Lénine. Pour la circonstance j’aime mieux la demander à Victor Schoelcher. Écoutons donc Victor Schoelcher :
Depuis qu’il y a eu réunion d’hommes, les opprimés n’ont jamais rien obtenu des oppresseurs que par la force, et si chaque pas de la liberté est marqué de sang, c’est une nécessité qu’il faut reconnaître avec moi, mais dont on ne peut accuser que l’impuissance ou la méchanceté providentielle.
1848 n’a-t-elle pas constitué la divine surprise, la divine exception, à cette loi d’airain et de sang ? Et parler de 1848, n’est-ce pas précisément évoquer une époque particulièrement faste, où par un bonheur inouï, des hommes de conscience auraient, réveillant toute une Nation à la beauté des sentiments altruistes, obtenu d’elle l’abrogation d’un régime colonial inique.
Ce qui aurait dispensé notre peuple d’une action violente et épargné à la société martiniquaise un bain de sang ? Eh bien non ! Dans l’histoire coloniale il n’ y a place ni pour l’idylle ni pour la bucolique ni pour les nuits du 4 août, ni pour les vaines amourettes, et Schœlcher a raison de dire et de penser que, même dans le meilleur des cas, c’est encore et toujours la violence qui est l’accoucheuse de l’histoire. Et c’est pourquoi, malgré le décret du 4 Mars 1848, malgré le décret du 27 avril 1848, il fallait quand même qu’il y eut un 22 mai 1848.
On connaît Ces faits : En février 1848, une révolution éclate à Paris, qui renverse la monarchie de Louis-Philippe. Un gouvernement provisoire est formé dans lequel rentre Victor Schœlcher, et un des premiers actes du Gouvernement ainsi formé est de décider la constitution d’une commission ad hoc, pour préparer l’abolition de l’esclavage. Cela c’est le décret du 4 Mars 1848.La Commission se met au travail et le 27 avril, toujours à l’instigation de Schoelcher, obtient du Gouvernement qu’il publie un second décret : c’est le décret du 27 avril, lequel stipule en son article 1er :"l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune de d’elles". Alors me direz-vous, tout était joué. Eh bien non. tout n’était pas joué.
Encore deux mois à attendre. Que dis-je trois mois, peut-être quatre.Calculez bien : Ce temps que le décret arrive aux colonies et soit promulgué : il faut un mois ; donc cela nous amène à la fin de mai ou à début juin. Deux mois après, cela nous amène au mois d’août.Et c’est bien ce que voulaient les planteurs. Ils s’en cachaient à peine : il y avait une récolte à enlever et il fallait obtenir de la main d’oeuvre servile un dernier service. Tel était le calcul. Schœlcher n’en fait pas mystère :« Tous les planteurs réunis à Paris, écrit-il, suppliaient la Commission de reculer au moins l’abolition définitive jusqu’au mois de juillet pour laisser, disaient-ils, à la récolte le temps de s’achever ».
Attendre juillet Attendre Août ?Et puis qui sait ? Qui sait si à la faveur des événements, on ne pourra revenir sur la mesure d’émancipation prise dans un moment d’euphorie ou d’affolement général ? il faut croire que ce n’était pas mal raisonné puisque dès Mai 1848, la République passe à la réaction et vous connaissez les terribles massacres d’ouvriers qui furent perpétrés par le Général Cavaignac et qui firent des journées de juin 1848 à Paris, une manière de répétition générale des massacres de la semaine sanglante qui marquèrent la fin de la Commune de Paris quelque 23 ans plus tard.
Et alors il est permis de se demander, dans de telles circonstances, et clans une telle ambiance de réaction forcenée, que fut devenue la loi d’émancipation.
Pour ma part, j’ai de bonnes raisons de croire qu’elle aurait été tenue pour lettre morte, sinon purement et simplement abrogée.
Voilà qui suffit à Légitimer l’entrée en scène de nos ancêtres, une scène sur laquelle ils n’avaient pas été invités, en mai 1848.
Spontanéité des masses ? non pas. mais sûr instinct révolutionnaire. Quoi qu’il en soit, dès le décret du 27 avril, une pluie de conseils s’abat sur Ces malheureux, esclaves. Ils avaient attendu deux siècles. Et tous ces conseils rendaient le même son, répétait jusqu’à satiété le même leitmotiv : if faut attendre, il faut patienter. Patientez, leur avait dit le Ministre Arago Patientez, leur répétait Perrinon en termes, il faut bien le dire, assez niais : « Aux noirs nous recommandons la confiance dans les blancs. A ceux-ci la confiance dans les noirs ; à toutes les classes, la confiance dans le gouvernement. Patience, espérance, union, ordre et travail, c’est ce que je vous recommande »
Husson, Directeur de l’Intérieur à la Martinique "Vous avez bien appris la bonne nouvelle qui vient d’arriver de ’France, Elle est bien vraie. La liberté va venir. Ce sont de bons maîtres qui l’ont demandée pour vous. Mais il faut que la république ait le temps de faire la loi de liberté. Ainsi rien n’est changé jusqu’à présent. Vous demeurez esclaves jusqu’à la promulgation de la loi " Mes amis ayez confiance et patience".
Mais les nègres de la Martinique en décidèrent autrement. Ils avaient attendu deux siècles. Ils jurèrent de ne pas attendre une seconde de plus. (... ) Le 22 Mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève. (...) Le Gouverneur Rostoland cette fois ci comprend et ce fut l’arrêté du 23 Mai 1848.
Le 22 mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève, occupe la ville, incendie l’habitation des Abbayes, livre de sanglants combats au cours desquels 35 personnes trouvent la mort... Le Gouverneur Rostoland cette fois ci comprend et ce fut l’arrêté du 23 mai 1848 : article 1er : L’esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique.
Eh bien, martiniquais et Martiniquaises, voilà l’événement que nous célébrons aujourd’hui et que commémore la statue émouvante de René corail : une liberté non pas octroyée mais arrachée de haute Lutte ;
Une émancipation non pas concédée mais conquise, et qui enseigne à tous et d’abord aux martiniquais eux-mêmes, que s’il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d’hommeset cette assurance voyez-vous, est de celles qui nous autorisent à regarder le présent avec plus de fermeté et de toiser l’avenir avec plus d’insolence.
Regarder le présent avec plus de fermeté et toiser l’avenir avec plus d’insolence. Et maintenant regardez la statue de René Corail : c’est une femme, une négresse, peut-être la Martinique, qui, soutenant son enfant blessé d’une main, peut-être son enfant mort, brandit de l’autre main une arme, elle ne pleure pas, elle bat.
Regardez et souvenez-vous des autres statues de la liberté que vous avez vues et qui commémorent le même événement. rappelez-vous la statue de Schoelcher qui est devant le Palais justice de Fort-de-France : c’est une jeune fille dont les chaînes viennent de tomber et qui envoie un baiser de reconnaissance à son libérateur Victor Schoelcher Lequel d’une main l’enveloppe d’un grand geste paternel plein de bonté et l’autre lui montre le chemin.
L’oeuvre est assez belle. Mais retenez l’inspiration : C’est l’oeuvre d’un blanc. Et puis il y a une autre statue : C’est un bronze d’assez belle facture appartient à la mairie de Fort-de-France. Elle représente un nègre tordu de douleur dont la (France, en un geste violent, vient de rompre les fers dont elle brandit victorieusement les morceaux. Oeuvre déclamatoire peut-être, mais qui n’est pas sans puissance. Mais ici encore : retenez l’inspiration. C’est l’oeuvre d’un blanc et qui à sa manière est à la gloire du blanc libérateur.
Et puis maintenant comparez la statue de René Corail, artiste martiniquais. Ici le nègre n’est plus l’objet, il est le sujet. Il ne reçoit plus la liberté Il la prend et on nous le montre la prenant. Une grande négresse , larme à la main, maniant son arme, comme ses ancêtres la sagaie. Eh bien cela, c’est la vision martiniquaise de la libération des nègres Et seul un Nègre pouvait l’avoir. Et c’est parce que René-Corail la rendue, cette vision, avec fougue et éclat que je salue en lui" un grand artiste nègre et un grand sculpteur antillais.
Martiniquais et Martiniquaises,nous n’avons guère à la municipalité de Fort-de-France, l’habitude des inaugurations. Eut-il fallu en faire, il aurait fallu les multiplier et c’eut été vous prendre beaucoup de votre temps et de votre attention. C’est pourquoi je profite de l’inauguration de la statue de René-Corail pour porter à votre connaissance, deux décisions de votre Conseil Municipal ; deux décisions qui comme la loi le veut, prendront effet dans une quinzaine de jours. La première est de donner à la place sur laquelle nous sommes aujourd’hui, le nom de place du 22 mai.
La dernière est - et je vous demande d’y faire attention - de donner à la rue qui aboutit à cette place, en venant de Trénelle, le nom de Gérard Nouvet, Ce jeune lycéen, martyr qui est tombé sous les balles ou sous la grenade de la police lors du voyage de Messmer. Quel rapport me direz-vous, avec le 22 Mai 1848 ? Quel rapport avec Victor Schoelcher ?Eh bien je le dis tout net :Gérard Nouvet prend désormais place dans le long martyrologue de notre peuple, à côté des Martiniquais et des Martiniquaises tombés au cours des siècles, victimes du colonialisme et du sadisme policier. Et comme pour le venger, il y a toute une jeunesse, il y a pour accuser les bourreaux aujourd’hui comme hier, la voix de Victor Schoelcher. Écoutons le une fois de plus :"Envers les masses comme envers les individus, la meilleure voie pour gagner les coeurs est la persuasion. De la blessure d’une baïonnette gouvernementale jaillit une source de vengeance. Monte et malédiction à ceux qui l’oublient. " Puisse Terrade entendre ! Puisse Terrade comprendre !
Martiniquais et Martiniquaises :
Nous voilà donc devant cette statue de la liberté martiniquaise. Voyez où elle est placée : aux confluents de trois rues au bout de la rue Jean-Jacques Rousseau au bout du Boulevard Patrice Lumumba au bout de fa rue Gérard Nouvet Trois rues, trois symboles :
- Jean-Jacques Rousseau : Pensée révolutionnaire
- Patrice Lumumba . L’action révolutionnaire anticolonialiste
- Gérard Nouvet : La jeunesse martyre, victime des exactions colonialistes
Et c’est vrai toutes ces voies :la pensée honnête, donc révolutionnaire ; L’action courageuse ;Le martyr innocent résument toute fraîche innocence d’un peuple.
Tout cela mène à une même paie la liberté. La liberté martiniquaise. C’est donc en cette place, en ce point de convergence qu’il convient plus que jamais de crier, en ce 22 Mai 1971, avec toute notre foi et toute notre certitude : vive la Martinique !