Tout commence par le refus de l’assimilation. Au début des années 1930, le jeune Césaire refuse de jouer le jeu du milieu petit-bourgeois martiniquais, dont l’art poétique se résume à quelques alexandrins surannés. C’est donc sans regret qu’il part étudier à Paris, ville synonyme, pour lui, de liberté. A Louis-le-Grand, il rencontre Léopold Sédar Senghor, qui fait de lui son “bizuth”. Dans les salons des sœurs Nardal, il découvre les poètes noirs américains, les premiers à affirmer leur identité à travers la “Négro-renaissance”. Au sein de la revue L’Etudiant noir, créée en 1934, Césaire, Senghor et le poète guyanais Léon Damas popularisent le concept de “négritude”. “Rendons à Césaire ce qui appartient à Césaire”, aimait à dire Senghor, quand on lui prêtait à tort la paternité du mot : c’est sous la plume du poète martiniquais que le terme “négritude” apparaît pour la première fois en 1939, dans son Cahier d’un retour au pays natal. Le poème est publié à un tirage confidentiel, avant d’être redécouvert et célébré par André Breton lors d’un voyage aux Antilles en 1941.
Contre l’asservissement, la fraternité
A 92 ans, Aimé Césaire ne se départit pas de sa modestie et s’étonne encore de l’intérêt suscité par ses écrits passés. La clairvoyance de ses propos reste intacte. Analysant le mal-être antillais et la trace inexorablement laissée par l’esclavage, il dénonce l’universalisme à la française, l’asservissement tout comme l’assimilation qui nie la spécificité de l’autre. Il reste méfiant face à l’idée de réparation (“pour moi, c’est irréparable”), mais il exige le soutien de l’Occident “pour aider les pays à se développer, à renaître”. Tout en affirmant son identité noire, Césaire a toujours cherché à s’ouvrir au monde. Prônant un nouvel humanisme, il défend la fraternité et le dialogue entre les civilisations. A Fort-de-France, il garde cette dimension altruiste : il s’enquiert de la vie de tous et accueille quiconque désire lui parler. A une exception près, et de taille. Malgré sa timidité, Césaire a toujours refusé d’être instrumentalisé, que ce soit par le Parti communiste hier ou par le ministre de l’Intérieur aujourd’hui. Resté fidèle à lui-même et à ses convictions, il a préféré refuser cette entrevue-là et, surtout, une poignée de main dont la portée l’aurait dépassé. Un exemple à méditer dans ce tout-monde médiatique.
Aimé Césaire
Nègre je suis, nègre je resterai : entretiens avec Françoise Vergès
Albin Michel, 14 euros.
Sandrine Marziani
[www.stopinfos.com]
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