lundi 28 mai 2007

Aimé Césaire : père de la « Négritude »

Cahier d'un retour au pays natal (1939)

Conçu comme un anti-poème, une sorte de poème en prose à la manière d'Une saison en enfer de Rimbaud et des Chants de Maldoror de Lautréamont, le Cahier d'un retour au pays natal est un long texte de 75 pages.
Il est né d'une crise morale et spirituelle que traverse Aimé Césaire entre 1935 et 1936, alors qu'il prépare l'agrégation à l'Ecole normale supérieure de Paris. La première version du poème est publiée en 1939, mais l'auteur ne cessera de la reprendre, de la corriger en y ajoutant des passages entiers jusqu'à 1956, date à laquelle il remet le dernier état du manuscrit à Présence Africaine qui publie la même année cette version définitive du poème. Autobiographique comme le mot "cahier" dans le titre le laisse entendre, évoquant quelque carnet ou journal intime, cet ouvrage raconte en effet un parcours initiatique qui conduit le narrateur-récitant du rejet de soi-même, de son histoire (noir, fils de colonisé, petit-fils d'esclave déporté) et de sa géographie ("cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravines...") à l'acceptation de sa race et de sa négritude.
Le processus de l'écriture entraîne le poète du désespoir à l'espoir, et au refus d'assumer le passé de sa race avilie, humiliée, soumise à l'affirmation d'une négritude triomphante, annoncée par l'image de "Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité". Considéré comme le texte fondateur de la négritude, ce poème est désormais associé aux combats raciaux et politiques des Noirs dans le monde entier.

Les armes miraculeuses (1946) et Soleil cou coupé (1948)

Les trente et les soixante-quatorze poèmes qui composent ces recueils appartiennent à la période surréaliste de Césaire, comme les titres des deux volumes le suggèrent. Le titre Soleil cou coupé est extrait du dernier vers de Zone de Guillaume Apollinaire. Ce titre traduit la blessure atroce de la séparation originelle avec l'Afrique. Le poète évoque aussi les Antilles, l'océan et sans doute les souffrances de la traversée qui continuent de scander la mémoire collective antillaise: "Soleil serpent oeil fascinant mon oeil/et la mer pouilleuse d'îles craquant aux doigts des roses/lance-flamme et mon corps intact de foudroyé/l'eau exhausse les carcasses de lumière perdues dans le couloir sans pompe/des tourbillons de glaçons auréolent le coeur fumant des corbeaux...".
Tam-tam I, Tam-tam II et Batouque, les poèmes les plus connus de ces recueils, font également entendre le martèlement rythmique et répétitif (allitérations, anaphores, assonances...), si caractéristique de la prosodie césairienne.

Corps perdu (1950)

Ce recueil de dix poèmes, nourri de l'expérience de la venue du poète à la politique à une période où l'idée de l'indépendance des anciens colonisés n'était pas encore acquise, marque un tournant dans l'écriture de Césaire. Finie l'ère de l'optimisme béat et idéaliste sur lequel le Cahier s'est clos. Le mythe est battu en brèche par le réel. Le poème éponymique de ce volume dont le titre évoque les corps jetés par-dessus le bord des navires esclavagistes et perdus à jamais, traduit parfaitement le désarroi du poète politicien face aux insultes qu'on lui lance, aux fins de non-recevoir que la France impériale oppose à ses projets: "nègre nègre nègre depuis le fond/du ciel immémorial/un peu moins fort qu'aujourd'hui/mais trop fort cependant..."


Le morne Vert Rêvassé en Martinique 1979-80 : Claire Labonte

Moi, laminaire (1982)

"J'habite une blessure sacrée/j'habite des ancêtres imaginaires/j'habite un vouloir obscur/j'habite un long silence/j'habite une soif irrémédiable/j'habite un voyage de mille ans/j'habite une guerre de trois cents ans..."

Ainsi s'ouvre ce dernier recueil de Césaire réunissant soixante-trois poèmes écrits sur une période de dix-douze ans. Le poète se définit dès le titre, se comparant aux laminaires qui sont de longues algues accrochées aux roches sous-marines des Iles Caraïbes.

Ces algues battues par les flots sont le symbole d'une identité déterminée par la mer, par le vent, mais aussi par cette impossibilité d'enracinement qui sonne comme un échec pour Césaire : on sait combien la négritude fut, pour lui, le moyen de se rattacher à un passé, à une tradition pour mieux imaginer ce Nègre nouveau auquel il aspire pour lui-même et pour son peuple. Les limites de la négritude ont peut-être été atteintes car celle-ci n'a pas su fermer la blessure de la déportation, ni étancher la soif du renouveau. Seule la poésie, mémoire de la langue mise en valeur dans ce recueil consacré à la valence et à la poétique des mots, peut-elle encore faire barrage contre le désastre et la " torpeur de l'histoire ".


Moi, laminaire...
1982

Les poèmes qui composent Moi, laminaire diffusent l’angoisse de voir le feu des volcans se dissoudre et se perdre dans la vase maléfique des mangroves.
Avec pour drapeau une laminaire accrochée à son roc, le poète s’embarque contre le temps, refaisant l’inventaire des habits du voyage : la sérénité de la plante, la colère rentrée de la montagne, la fougue du petit cheval. Et il observe son histoire antillaise, grand fleuve au crépuscule, entre Niger et Amazone, briseur de frontières , fondateur de rivages, accusant les barrages, soumis aux méandres des terres. Et que reste-t-il des promesses des sources ? A l’embouchure où se confondent - tout horizon aplani en mangroves - la pourriture et le limon, la démission et la résistance, l’échouage des discours et la subversion d’une ultime parole à la mer ?

Mais Césaire n’est pas homme à labourer les flots ni à se contenter d’avoir semé : « Je hais les faims qui capitulent en pleine récolte », avait-il proclamé dès 1943.
Dans ce recueil, surgi d’une nécessité longtemps retenue, aucun jeu avec les mots ne vient masquer l’exigence de lucidité devant un demi-siècle d’action poétique et d’engagement politique.

Daniel Maximin

« J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable... »

« avec des bouts de ficelle
avec des rognures de bois
avec de tout tous les morceaux bas
avec les coups bas
avec des feuilles mortes ramassées à la pelle
avec des restants de draps
avec des lassos lacérés
avec des mailles forcées de cadènes
avec des ossements de murènes
avec des fouets arrachés
avec des conques marines
avec des drapeuax et des tombes dépareillées
par rhombes
et trombes
te bâtir »

l'image provient de : [www.claire-labonte.com]

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