Entretiens
Les vérités d'Aimé Césaire, « père de la négritude » : NÈGRE JE SUIS, NÈGRE JE RESTERAI Entretiens d'Aimé Césaire avec Françoise Vergès
Albin Michel, 151 pages, 14 euros. Ces entretiens avec le poète martiniquais, « père de la négritude », prennent un relief particulier après l'embrasement des banlieues françaises.
C'est une affaire très personnelle. Avouons d'emblée qu'avec le « Cahier d'un retour au pays natal », nous devons à Aimé Césaire l'un de nos plus grands émois littéraires. Ce texte avait eu la force d'un coup de poing. Et la poésie de Césaire, souvent difficile, toujours puissante, n'a jamais estompé cette impression. On comprendra, dans ces conditions, le plaisir de retrouver aujourd'hui l'auteur martiniquais à travers des entretiens avec Françoise Vergès, réunionnaise et professeur de sciences politiques.
A quatre-vingt-dix ans passés, le « père de la négritude » n'a rien perdu de son engagement politique, de son humanisme (Michel Leiris parlait de sa « passion d'humanité ») et de sa faculté d'indignation. Dans ces (trop) brefs entretiens, Césaire revient sur sa rencontre avec son ami Léopold Sédar Senghor, d'un an son aîné, alors en classe avec Georges Pompidou au lycée parisien Louis-le-Grand. « Notre doctrine, notre idée secrète, c'était : nègre je suis et Nègre je resterai », dit-il. Il y avait dans cette idée celle d'une spécificité africaine, d'une spécificité noire. Mais Senghor et moi, nous nous sommes toujours gardés de tomber dans le racisme noir. J'ai ma personnalité et, avec le Blanc, je suis dans le respect, un respect mutuel. »
Césaire, qui n'a cessé d'analyser ce que signifiait naître et vivre sur une terre créée par la colonisation et où avait sévi l'esclavage, affirme le poids de l'altérité et la difficulté de la République d'établir une véritable égalité. « Où est la fraternité ? Pourquoi ne l'a-t-on jamais connue ? Précisément parce que la France n'a jamais compris le problème de l'identité », répond-il à Françoise Vergès. Critique envers la France, il ne sombre pas dans l'angélisme en ce qui concerne son île. Il faut sortir de la « victimisation » même si la tâche est rude : « Nous avons toujours été sujets, colonisés. Il en reste des traces. », affirme-t-il.
« Deux manières de se perdre »
Lire ou relire Césaire aujourd'hui prend un relief particulier après que les banlieues se sont enflammées. Ses textes (ses cris ?), en faveur d'un monde plus juste et sans racisme, n'ont pas vieilli. Il y a un autre modèle à mettre en place que « l'universalisme républicain » qui rejette, dans une attitude de « générosité », la distinction des groupes par leur origine ethnique ou culturelle. Les différences abolies, effacées, il n'y aurait donc que des égaux. Ces principes ont failli, car on n'« égalise » pas dans une société où certains sont considérés comme inférieurs. « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l'universel », écrivait Césaire à Maurice Thorez, alors qu'il quittait le Parti communiste en 1956 pour fonder le Parti progressiste martiniquais. Tant d'années après, il s'agit toujours d'établir un « droit de cité » afin que chacun trouve sa place.
RENAUD CZARNES
Une vie dans le siècle
Aimé Césaire (92 ans) est né à Basse-Pointe, en Martinique, dans une famille de sept enfants d'un père contrôleur des contributions et d'une mère femme au foyer. En 1924, il obtient une bourse pour le lycée Victor-Schoelcher à Fort-de-France. En 1932, il entre en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, à Paris, et il rencontre Léopold Sédar Senghor, avec qui il lie une amitié indéfectible. A sa sortie de l'Ecole normale supérieure, il enseigne dans son ancien lycée en Martinique. Il publie son premier livre, « Cahier d'un retour au pays natal », en 1939. Il est élu maire puis député de Fort-de-France en 1945 (il le sera jusqu'en 1993). Il publie « Armes miraculeuses », « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache », « Corps perdu », « Discours sur le colonialisme »... En 1957, il fonde le Parti progressiste martiniquais. Césaire est considéré comme un des plus grands poètes contemporains.
[www.lesechos.fr]
Albin Michel, 151 pages, 14 euros. Ces entretiens avec le poète martiniquais, « père de la négritude », prennent un relief particulier après l'embrasement des banlieues françaises.
C'est une affaire très personnelle. Avouons d'emblée qu'avec le « Cahier d'un retour au pays natal », nous devons à Aimé Césaire l'un de nos plus grands émois littéraires. Ce texte avait eu la force d'un coup de poing. Et la poésie de Césaire, souvent difficile, toujours puissante, n'a jamais estompé cette impression. On comprendra, dans ces conditions, le plaisir de retrouver aujourd'hui l'auteur martiniquais à travers des entretiens avec Françoise Vergès, réunionnaise et professeur de sciences politiques.
A quatre-vingt-dix ans passés, le « père de la négritude » n'a rien perdu de son engagement politique, de son humanisme (Michel Leiris parlait de sa « passion d'humanité ») et de sa faculté d'indignation. Dans ces (trop) brefs entretiens, Césaire revient sur sa rencontre avec son ami Léopold Sédar Senghor, d'un an son aîné, alors en classe avec Georges Pompidou au lycée parisien Louis-le-Grand. « Notre doctrine, notre idée secrète, c'était : nègre je suis et Nègre je resterai », dit-il. Il y avait dans cette idée celle d'une spécificité africaine, d'une spécificité noire. Mais Senghor et moi, nous nous sommes toujours gardés de tomber dans le racisme noir. J'ai ma personnalité et, avec le Blanc, je suis dans le respect, un respect mutuel. »
Césaire, qui n'a cessé d'analyser ce que signifiait naître et vivre sur une terre créée par la colonisation et où avait sévi l'esclavage, affirme le poids de l'altérité et la difficulté de la République d'établir une véritable égalité. « Où est la fraternité ? Pourquoi ne l'a-t-on jamais connue ? Précisément parce que la France n'a jamais compris le problème de l'identité », répond-il à Françoise Vergès. Critique envers la France, il ne sombre pas dans l'angélisme en ce qui concerne son île. Il faut sortir de la « victimisation » même si la tâche est rude : « Nous avons toujours été sujets, colonisés. Il en reste des traces. », affirme-t-il.
« Deux manières de se perdre »
Lire ou relire Césaire aujourd'hui prend un relief particulier après que les banlieues se sont enflammées. Ses textes (ses cris ?), en faveur d'un monde plus juste et sans racisme, n'ont pas vieilli. Il y a un autre modèle à mettre en place que « l'universalisme républicain » qui rejette, dans une attitude de « générosité », la distinction des groupes par leur origine ethnique ou culturelle. Les différences abolies, effacées, il n'y aurait donc que des égaux. Ces principes ont failli, car on n'« égalise » pas dans une société où certains sont considérés comme inférieurs. « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l'universel », écrivait Césaire à Maurice Thorez, alors qu'il quittait le Parti communiste en 1956 pour fonder le Parti progressiste martiniquais. Tant d'années après, il s'agit toujours d'établir un « droit de cité » afin que chacun trouve sa place.
RENAUD CZARNES
Une vie dans le siècle
Aimé Césaire (92 ans) est né à Basse-Pointe, en Martinique, dans une famille de sept enfants d'un père contrôleur des contributions et d'une mère femme au foyer. En 1924, il obtient une bourse pour le lycée Victor-Schoelcher à Fort-de-France. En 1932, il entre en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, à Paris, et il rencontre Léopold Sédar Senghor, avec qui il lie une amitié indéfectible. A sa sortie de l'Ecole normale supérieure, il enseigne dans son ancien lycée en Martinique. Il publie son premier livre, « Cahier d'un retour au pays natal », en 1939. Il est élu maire puis député de Fort-de-France en 1945 (il le sera jusqu'en 1993). Il publie « Armes miraculeuses », « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache », « Corps perdu », « Discours sur le colonialisme »... En 1957, il fonde le Parti progressiste martiniquais. Césaire est considéré comme un des plus grands poètes contemporains.
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