Photographie : Christine Le Moigne-Simonis |
Août 2003. Ce matin, à mon réveil, je trouve Joseph dans un état concentration extrême devant un rameau de bambou. Sur la table, devant lui, des feuilles de papier à dessin d’une texture spéciale, une batterie de flacons d’encre de chine, à sa main un pinceau, en poils de martre précisera-t-il. Je restais sur le pas de la porte, évitant de le questionner. À cette heure où le soleil — vif pourtant — était très loin de son zénith, les vitres de la véranda diffusaient une lumière tendre, indécise, filtrée par les grands arbres autour de l’ostaou et adoucie par les montagnes alentours.
— Approche ! me dit-il en me montrant tout à la fois le rameau de bambou et le dessin qu’il venait de réaliser ; pour moi d’une incroyable exactitude.
— Voilà à quoi j’occupe toutes mes matinées. Un rameau de bambou que je dessine et redessine jusqu’à trouver sa vérité. Celle que l’on ne voit pas, mais qu’il contient pourtant. C’est une question de précision du trait, surtout dans tout ce qu’il a de flou, de maîtrise de l’encre, de contrôle de l’eau.
— Le résultat est déjà remarquable.
— Ne crois pas ça. Je m’en approche, un peu, mais c’est très loin d’être abouti. Regarde une peinture chinoise. Une vraie, pas un de ces ersatz sur les services à thé, et tu comprendras ce que je cherche. La pureté du trait. Le plus profond de l’âme humaine, une forme de sagesse. Ne cherche pas de mots ; cela n’a pas de nom.
C’est quelque chose que l’on sent. Je ne l’ennuyais pas. Il était fier de me montrer son travail et le chemin qui le guidait mais, en même temps, il avait hâte de retrouver sa solitude. Seulement, pour un Antillais de l’âge de Joseph, et pour chacun de nous je crois, il y a des rituels que nous nous devons de respecter. Ainsi, on ne dit pas : « Excuse-moi, je te laisse à ton travail », mais l’on s’éclipse avec juste ce qu’il faut de nonchalance pour que l’autre n’ait pas l’impression de nous avoir chassé.
Croyez-moi, c’est tout un art l’élégance créole.
Un quart d’heure plus tard, je ressortais de ma chambre avec ce poème que j’avais pris la précaution de calligraphier ainsi que je sais le faire quand je m’applique.
Assis
comme un moine copiste
le pinceau à la main
Dessinant des bambous
d'une main qu'il voudrait
ne jamais voir trembler
Maîtrisant le silence
avec des mots qui claquent
comme le tambour bel air
Zobel interroge les ombres
Au loin
sur l'océan des îles
sa main se charge
de terribles orages
En cet été torride
la terre a soif de jardins
Joseph le reçu avec une émotion non feinte.
— Je vois que tu m’as compris, murmura-t-il d’une voix enfiévrée. Je ne désespère pas de te conduire un jour sur le chemin.
Pourquoi pas ? Un jour, peut-être, mais pour l’instant, et Joseph le sait, la vie me tient trop à la gorge.
José Le Moigne
Joseph Zobel
La tête en Martinique et les pieds en Cévennes
Préface de Raphaël Confiant
Ibis Rouge éditions 2008
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