dimanche 15 septembre 2013

Le chant du temps : la pluie

Vue depuis un des quais du Malécom sur le chouval bwa (manège)
Si à Paris mai cousine avec novembre, en Martinique il en va de même, on pourrait croire que le soleil joue à cache-cache avec la pluie,  cinq minutes de soleil puis deux de pluie,  et ainsi de suite pendant toute la journée, les deux comparses dansent et jouent  à   saute-mouton  sous un ciel gris et des nuages bas.
Au fond les pitons du  ou les mornes du ?


L'air est saturé d'humidité, une humidité qui vous colle à la peau et vous rend poisseux. Ce temps hors saison fatigue et  n'incite à sortir ni à entreprendre, on se cantonne chez soi, on s'occupe comme l'on peut, d'autant que l'alizé souffle un vent plus glacé que d'habitude. Certaines me disent qu'il fait froid, cela pourrait prêter à sourire, vu à la latitude où nous nous trouvons, mais autour de moi,  des personnes s'attifent de petites laines, d'autres  s'affublent de blouson ou de veste voire  s'accoutrent de bonnet  d'hiver.


Fumeurs de cannabis
De ce temps illisible, presque incompréhensible, ma tante y voit la fin des temps. Je ne m'évertue  à lui expliquer, que climat subit les contrecoups de la baisse d'activité du soleil, nous sommes confrontés à un phénomène cyclique et naturel, car  il m'est amusant de les entendre maugréer contre la terre entière, récriminer contre les dépravations des uns et des autres : ne nous en sommes-nous pas à marier des hommes et des hommes, des femmes et des femmes ? 

Pour ces vieilles personnes ce sont les péchés de l'humanité et la mauvaiseté de l'homme, encore plus du nègre,   qui nous précipite vers cette fin des temps.
Les tourterelles se protègent de la pluie
Nous sommes aux derniers jours, le temps du jugement approche !

Malgré les exhortations à ne rien entreprendre, les sollicitations à rester au lit, je suis quand même sorti, un petit tour sur le bord de mer afin de m'insuffler l'âme des gens, de m'animer de l'âme du pays.

Le quai
Sur le premier quai en partant du canal Levassor,  des petits groupes  se sont formés, toujours les mêmes personnes qui les composent, des hommes sont à refaire le monde, ça parle de tout et de rien. 

Ce soir nous avions un grand grec,  un historien, il racontait aux autres l'épopée de Clovis et  du vase de Soissons, des généraux romains,  de Jules César, et j'en passe...

Un malpropre : un pisseur !

J'ai aussi revu la jeune femme de la dernière fois, celle en peine de cœur qui pleurait de tout son soul,  cette fois-ci elle était en joie, rieuse et amoureuse, collée à son petit ami...

La jeune fille
Sur le second quai, les passagers attendant les navettes se dirigeant  vers les Trois Îlets.
En face, les voyageurs qui attendent une navette maritime
Le dernier quai, est la tanière d'une jeunesse divagante, je préfère éviter le contact de ces jeunes  dont la principale occupation est de fumer et vendre de la drogue  au vu et au sus de tous.

L'alizé souffle, sa froideur me cingle le corps, je me dis que la petite laine dont je me moquais naguère  serait la bienvenue. 


Le quai on  s'accoste les paquebots de croisières
Je regarde et scrute ce qui m'environne, peu de pêcheurs à braver l'interdiction de pêche dans la baie des Flamands à cause de la pollution au chlordécone,  dans le ciel  des frégates tournoient, d'autres sternes les rejoignent. A mes pieds, une tourterelle chasse une « colombe », plus loin un zagayak (petit crabe) téméraire, s'approche de moi pour manger les miettes de mon gâteau...

Le  crépuscule s'annonce, mais point de coucher de soleil ou de ciel en feu, la nuit vient tout simplement. Au pied du quai des poissons sautent pour échapper à un prédateur. Et voilà que le vol d'un oiseau me surprend, il fait nuit, un kayali se pose sur  les bords du quai, je le photographie et retourne à mes contemplations de la nuit.

Il n'y a pas foule sur le Malécon (Bord de mer), les gens se sont raréfiés comme la pluie à la saison du carême, les commerces en pâtissent,  ils sont désertés, les bars vides comme les poches de la déveine, dans les restaurants les tables esseulées côtoient des serveuses au sourire rare.

La nuit chemine, l'heure de regagner mes pénates s'amorce, j'avance  dans la ville, la pluie survint, je m'abrite dans le snack Elizé en face de la Savane,  commande  un menu  madras et un jus de prune de cythère. 

Sainte Thérèse, un quartier de Fort de France
La pluie cesse,  de retour  à la maison, je suis accueilli par le chant des petites grenouilles, un chant plus dense que d'habitude, elles fêtent la pluie.

Evariste Zephyrin
texte et photos

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