mercredi 30 avril 2008

N'oublions pas la Da tamoule qui berça le petit Aimé.



En Martinique on appelait la nourrice d'un enfant sa Da, en Guadeloupe on disait la Mabo.

Aimé Césaire, qui naquit et vécu enfant sur la Plantation Eyma de Basse-Pointe. Sa Da était d'origine indienne, comme bon nombre de travailleurs de l'endroit. Elle eut toujours libre droit d'accès en Mairie de Fort-de-France, même en période de crue, pour voir l'enfant devenu écrivain, puis maire, puis député - celui qu'elle avait « nourricé ». Les chants en Tamoul dont elle le berça restèrent dans sa mémoire, il les évoquait à l'occasion.

Tel avait été aussi le cas d'Alexis Léger, blanc créole de Guadeloupe, le futur Saint-John Perse, initié à la magie des sons sacrés de l'Inde par les servantes de sa mère, sur la plantation Bois Debout à Capesterre.

Citons M. Raphaël Confiant :

...il évoque les langues dravidiennes dont nous savons qu'elles remontent à plus de 2.500 ans avant Jésus-Christ, et parmi elles, ce tamoul qu'il a dû entendre fredonner par cette servante « qui sentait bon le ricin... Cette trop belle servante hindoue... disciple secrète du dieu Civa » qui fredonnait donc tout à la fois, chose extraordinaire, la plus vieille langue du monde, et la plus neuve, à savoir le créole.

De Basse-Pointe à Obéro, le Poète aimait son peuple races confondues et toutes couleurs du pays. Il le manifestait naturellement. Il s'asseyait pour faire causette dans l'escalier du père Noël Mardaye, que l'on surnommait Papa Noël, qui faisait figure de “chef” des koulis du dépôt d'Obéro. Le père Mardaye était commandeur du service de nettoyage de
Fort-de-France (cimetière, tinettes à caca...), corvée qui on le sait était devenu le lot et perçu comme la malédiction de ces koulis, rejetés telle une caste inférieure par le reste de la population martiniquaise.

M.
Gerry L'Etang, antropologue spécialiste de l'engagisme et des apports indiens aux îles, dans son rapport sur l'héritage culturel des Congo, Indiens et Chinois à la Martinique, dépeint ainsi la situation, des Indjens du Foyal :

A l'issue des retours en Inde (le dernier convoi quitta l'île en 1900), se retrouvèrent au dépôt de l'immigration sis à Fort-de-France quelques dizaines d'Indiens qui attendaient là un improbable navire de rapatriement, ou encore qui, venus embarquer, s'étaient ravisés et avaient décidé de rester à la Martinique. Loin des Habitations, ils vivaient d'expédients et constituaient un souci pour le Conseil général (qui avait en charge le dépôt) et la municipalité. Cette dernière les affecta alors au nettoiement de la ville.

Ce groupe de balayeurs indiens, renforcé d'apports successifs en provenance des plantations à mesure que s'étendait le chef-lieu, se vit attribuer l'exclusivité d'une tâche méprisée. Et le proverbe de s'enrichir d'une nouvelle acception: “tout Indien se retrouvera un jour ou l'autre balayeur de trottoir” - tout kouli ni on kout dalo pou'y fè. En fait, dans un cas comme dans l'autre, l'expression énonce une malédiction.

Cette dépréciation générale de l'Indien allait s'exacerber au travers de l'appellation créole qui le stigmatisera : kouli. L'expression, probablement d'origine tamoule (kuli), signifie originellement salaire et par extension salarié. Elle fut utilisée par les Anglais puis par les Français en Extrême-Orient (Inde, Chine, etc.) pour qualifier un ensemble varié de travailleurs non spécialisés aux revenus précaires : employés aux travaux pénibles, dockers, manœuvres, tireurs de pousse-pousse, journaliers agricoles, ouvriers, etc.

Et que dire aujourd'hui, des mots cette chanson d'un vieux fond Saint-Pierrais, antérieure à l'éruption de la Pelée, sinon qu'ils témoignent d'attitudes de l'époque et des relents à venir :

Nonm-lan sôti lôt bô péyi’y,
I pasé dlo vini isi,
Tout moun té ka pran li pou moun,
Pandan tan-an sé vakabon (bis).

Mwen fè si mwa dan le ménaj,
Mi tout lajan nonm-lan ban mwen:
I ba mwen di fran man ba bôn mwen,
Fo mwen mété sen fran asou’y.

Mwen fè twa mwa de maladi,
Mi tout rumèd nonm-lan ban mwen,
Mi tout mèdsen nonm-lan ban mwen:
I ba mwen an nonm pou swanyé mwen.

Refrain
Woy! Vini wè kouli-a, woy!
Kouli-a, kouli-a, woy!
Ba li lè pou li pasé,
Pou li fè kout twotwè li kanmenm

Woy! Vini wè kouli-a, woy!
Kouli-a, kouli-a, wo!
Ba li lè pou li pasé,
Pou li peu chanjé de konduit

La Négritude en sa grandeur relevait certes le plus meurtri des opprimés en vue d'en faire un puissant fer de lance du respect de l'homme. Mais ce n'est pas à un mesquin ethno-centrisme de blablature que Césaire donna naissance. Née d'un for humble et compassionné, la Négritude ne saurait cautionner le mépris hautain d'une ethnie par une autre : elle englobe toute la souffrance de l'humanité, y compris celle de l'homme-hindou-de-Calcutta... de l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture... sachant que

Chaque peuple quelque petit qu'il soit
Tient une partie du front
Donc en définitive est comptable
D'une part même infime
De l'espérance humaine.

M. Jean-Pierre Arsaye écrit dans “ Mémoire d'Au-Béro” :

Aimé Césaire qui, paraît-il, aimait spécialement discuter avec Homère Nahou, était lui aussi chaleureusement accueilli dans le quartier et ce, même après sa démission en 1956 de la Caravelle Rouge, pour employer une expression de Georges Gratiant.

À chaque réélection du député-maire, les habitants d'Au-Béro se joignaient aux gens des Terres-Sainville, de Trénelle et autres lieux pour une retraite aux flambeaux aux premiers rangs de laquelle ils se plaçaient.

Leur assiduité à la messe dominicale était cependant irréprochable. Et ils se confessaient, communiaient, faisaient baptiser leurs enfants. L'absolution était toujours donnée à tel ou tel qui se trouvait à l'article de la mort…

Césaire ne se ralliait pas au sentiment indigne et méprisant dont les minorités firent hélas un temps les frais dans nos îles. Sa doctrine, qui ne rejette la personne de quiconque, prétend nous élever au-dessus de l'indignité enfouie en l'un et l'autre.

Faudrait-il, au nom d'une Africanité réductrice couper en deux, comme au jugement de Salomon, celui qui descend à la fois du Nègre et de l'Indien? Dans les années 1960 le calypsonian batazendien Mighty Dougla, qui eût préféré jouir fièrement de sa double origine, exprime ainsi ce dilemme :

If they sending Indians to India
And Africans back to
Africa
Well somebody please just tell me
Where they sending poor me?
I am neither one nor the other
Six of one, half a dozen of the other
So if they sending all these people back home for true
They got to split me in two,


Césaire qui persifla toute la méchanceté du Monde savait qu'au-delà des apparences phénotypiques, nous sommes tous en îles - quelle rare chance - un peu Indien, beaucoup Nègre, assez Blanc, peu ou prou Sino-Libanais, sans omettre l'Amérindien, plutôt désapparu que disparu, dixit Glissant.

Pas moins que St John Perse, à qui Patrick Chamoiseau fait cette adresse dans une Méditation :

Autour de vous, des négresses, des chabines, des mulâtresses, des servantes indiennes, des chinois. Des façons d'Afrique, des survivances amérindiennes, des cultes étranges du dieu Shiva dessous les gestes qui vous dorlotent.

Aimé Césaire envoyait son chauffeur quérir diverses personnes pour causer. C'est le bonheur qu'a connu Madame Christiane Sacarabany, auteur du roman intitulé “L'Indien au Sang Noir” et plus récemment, de “Son Matalon”, livre d'art illustré avec le concours de M. Luc Marlin et qui met en valeur l'apport indien à la culture antillaise.

Manière sans doute pour le Poète de se remémorer les jours de la plantation de Martinique la plus fournie en indjens, qui inféodés, qui militants contre leur exploitation par les Békés. Les travaux et les jours de ces rescapés d'une civilisation millénaire, la lente et inévitable créolisation d'un peuple qui a contribué par son courage tranquille, sa patience infinie, à reconstruire les îles après l'abolition de l'esclavage sont aussi décrits dans le roman “Eclats d'Inde” par l'écrivain Camille Moutoussamy, originaire lui aussi de la plantation Eyma.

L'Aimé de Basse-Pointe avait d'ailleurs hérité, de par son ascendance maternelle, sa part de sang indien. Coiffeur et photos l'attestent volontiers... et surtout son arbre ancestral, établi par Madame Enry Lony, généalogiste de profession au Centre d'affaires Agora. La municipalité de Basse-Pointe devait faire cadeau d'un exemplaire de cette recherche à son illustre enfant lors d'une cérémonie “de retour” en 2005.

En 2003, au cœur des cérémonies du cent-cinquantenaire de l'arrivée des travailleurs indiens aux Antilles Françaises, Aimé Césaire, devenu maire honoraire de Fort-de-France, avait honoré de sa présence l'inauguration du buste du Mahatma Gandhi envoyé par l'Inde pour sa ville. Aux côtés de son dauphin, M. Serge Letchimy - notable au patronyme indien bien frappé s'il en est (nom francisé de la divinité de l'abondance...), le Maître avait alors improvisé un fort bel éloge, hélas non préservé, de l'apport incontestable des travailleurs koulis, ou Indjens, à tous les secteurs du pays Martinique.

Linguiste affectueux, le Chantre s'était même procuré des livres pour s'initier tant soit peu au Tamoul. Langue classique et littéraire, qu'il trouva ô combien complexe! Nous faisant l'insigne honneur de me léguer parmi ces ouvrages rares le dictionnaire Tamoul-Anglais de sa bibliothèque, Monsieur
Aimé Césaire l'avait dédicacé avec le souhait “que le Tamoul soit enseigné aux Antillais, parmi d'autres langues bien sûr”.

Généreuse évidence, pour une langue qui fut un temps parlée par des dizaines de milliers d'habitants de
Guadeloupe et de Martinique, parmi le Bhodjpuri, l'Ourdou ou l'Hindoustani... Pans d'un riche patrimoine linguistique qui, victime d'ostracisme et d'oppression scolaire et missionnaire, a quand-même fini par dépérir aux îles, ne laissant que des noms de famille ancestraux - les prénoms indiens furent interdits, Biblique oblige.

On sait le peu d'indianité qui survécut clandestinement, malgré tous les aléas, grâce à la farouche détermination de quelques-uns. Si on compare leur destinée avec celle de leurs frères et sœurs de sang, déposés par les mêmes bateaux à l'île Maurice ou à la Réunion, avant d'être éparpillés dans les plantations de la Caraïbe, la vastitude d'oubli de leur histoire, et même de rejet de celle-ci, qui pèse sur les indo-antillais a de quoi laisser pantois.

M. Jean-Pierre Arsaye, descendant d'Indien, cherchant à retracer l'histoire du quartier indo-foyalais d'Au-Béro qui fut définitivement emporté par le cyclone Dorothy en 1970, l'a bien constaté :

Notre histoire antillaise souffre d'oblitération.

Et donc, n'oublions pas la Da tamoule de Basse-Pointe.

Qui sait son nom? Qui aurait une photo?

Jean S. Sahaï Viranin

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VOIR

Article de M. Gerry L'Etang
L'héritage Congo, Indien et Chinois à la Martinique

http://tinyurl.com/6eq84m

Article de M. Gerry L'Etang
sur la chanson Vini wè kouli-a
http://tinyurl.com/4sd6ys

Roman de M. Raphaël Confiant
La Panse du Chacal, Mercure de France
Essai : Aimé Césaire, ou la traversée
paradoxale du siècle.

http://tinyurl.com/34ueot

Roman de M. Camille Moutoussamy
Eclats d'Inde, Ed. L'harmattan
http://tinyurl.com/3kmtjj

Roman de Mme Christiane Sacarabany
L'Indien au Sang Noir, Ed. L'harmattan
Son livre-album Mémoire des Ancêtres, Son Matalon
http://tinyurl.com/5w3g2m

Essai de M. Jean-Pierre Arsaye
Mémoire d'Au-Béro, quartier indien de Foyal
Editions Ibis Rouge
http://tinyurl.com/2bum93
Mme Liliane Mangatal
Pages indo-martiniquaises
Kann'la ka pran fè
La vi anlè labitasion

http://tinyurl.com/5xpwjv

M.Tony Mardaye
Service aux morts ou le Samblani

sur le site Pyé Piman-la
http://tinyurl.com/6jk4m9

M. Evariste Zéphyrin
O-Béro : Crasse de vie dans le dédale du dalot
http://cqoj.typepad.com/chest/2005/05/dans_le_ddale_d.html

Mme Francesca Palli
Rubrique Indianité
sur le site Potomitan
http://tinyurl.com/3hn5ma

Rubrique Kilti Zendyen Kréyol
sur le site Montray-Kréyol
plus de 75 articles
http://tinyurl.com/2uzwt3

N° spécial de la Revue Alizés
Entre négritude et créolité, l'indianité en question
Paris, Juillet-Septembre 2003
http://tinyurl.com/59kh9k

Filiations Créoles
Enry Lony
Généalogiste professionnel
http://www.cgpro.org/lony.htm

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