vendredi 18 avril 2008

Portrait posthume - Aimé Césaire, le chantre de la Négritude : «L’Aimé» du Sénégal

Il est très aimé du Sénégal. Non pas simplement à cause de son engagement pour la Négritude, aux côtés du Président Senghor, ni à cause de son affinité avec Cheik Anta Diop, mais parce que Aimé Césaire était un «Africain», mieux un «Sénégalais» qui n’a jamais caché sa sympathie et son attachement pour ce pays. Alors qu’il est désigné parrain de la IIIe édition du Festival mondial des arts nègres (Fesman), devant se tenir au mois de Février prochain au Sénégal, l’illustre fils de la Martinique et de l’Afrique vient de tirer sa révérence. Retour sur la vie du père de la Négritude, ses convictions, son œuvre et surtout ses liens avec le Sénégal.

«Aimé Césaire a mené avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas, le combat pour la dignité de l’homme noir sous le vocable de la Négritude. Député de la Martinique pendant plus d’un demi-siècle, il a été maire la ville de Fort-de-France de 1945 à 2001.» Cet écrivain martiniquais, qui a rendu l’âme, hier, a marqué toute une génération. Toute la planète. Son nom à lui seul fait retentir les cloches du XXe siècle et donne envie aux générations du XXIe siècle, d’aller à la découverte de l’homme d’exception qu’il a été. Tellement, il a impressionné le monde par sa vie, son itinéraire et sa force intellectuelle.

De nombreux hommes de culture et de lettres lui ont, d’ailleurs, rendu hommage ces dernières années. Au nombre de ceux-ci, les intellectuelles et écrivains africains et plus particulièrement Sénégalais, dont l’écrivain philosophe sénégalais Hamidou Dia. Alors que Aimé Césaire fêtait en juin dernier ses 94 ans, cet écrivain sénégalais, qui dit avoir «tout appris et apprendre à rêver» grâce au défunt, s’était fait le porte-voix du Sénégal, pour dire ce que pense tout bas de lui, nombreux de ces compatriotes. «Maître, Au seuil miraculeux de vos 94 printemps (26 juin 2007), je suis particulièrement heureux de vous souhaiter joyeux anniversaire. Pour le Sénégalais que je suis, vous êtes pour moi la référence absolue : votre poésie m’a éveillé au monde alors que j’étais adolescent et depuis vous m’êtes d’un compagnonnage utile», a déclaré dans un éloquent discours Hamidou Dia en présence de ces collègues écrivains du Sénégal dont Alioune Badara Bèye, le Président des écrivains du Sénégal.

Hamidou Dia, avait alors rappelé à l’endroit du disparu : «Avec vos amis Senghor à la récade d’ivoire et Damas «feu sombre toujours» vous avez ouvert dans la littéraire universelle un nouveau continent : celui de la Négritude avec ses divers départements : antillanité, créolité, authenticité etc. Si, aujourd’hui, j’ai la claire conscience d’être un Nègre fondamental, c’est à vous que je le dois. Maintenant que les identités faibles et les citoyennetés rétives sont menacées par une mondialisation dangereusement déstructurante, votre message fort et fraternel, toujours est d’une actualité dramatique…» Des propos qui résonnent, aujourd’hui, encore comme une vérité universelle. Ils témoignent surtout de la grande affection et du respect que le Sénégal voue à l’endroit de cet homme d’exception.

Césaire et les grandes amitiés du Sénégal

Si le Sénégal, comme bon nombreux pays, pleure aujourd’hui la disparition de Aimé Césaire, c’est surtout à cause du lien indéfectible qui le lie au Président-poète, Léopold Sédar Senghor. Car, l’amitié de ces deux hommes qui ont marqué le XXe siècle n’est pas inconnu du monde. Un lien si profond, si intense, - l’homme Senghor dont Césaire parle le plus à ses visiteurs -, qui a occupé une place essentielle dans sa vie. La mort de ce dernier en décembre 2001, rapporte-t-on, l’avait bouleversé au point qu’il refusa pendant plusieurs mois de l’évoquer en public. Depuis, il ne cesse de redire son admiration pour cet ami-poète. «Tous les jours, je lis Senghor. Je le lis. Je le relis et quand je le relis, je retrouve tout mon drame, tout mon itinéraire, toute notre époque. Senghor est pour moi un poète fraternel», clamait-t-il avec beaucoup de chaleur et de conviction Parler véritablement de l’amitié entre ces deux hommes, n’est donc pas faire dans un langage de diplomatie ou encore essayer de forcer ou de maquiller l’histoire, comme c’est malheureusement le cas dans certaine circonstances. «Senghor et Césaire sont plus qu’amis. Ce sont des frères», confie le «poète héritier de Senghor», Amadou Lamine Sall. Leur rencontre et leur amitié remontent au lycée Louis-le-Grand, dans les années 30, à Paris. Césaire arrivait de la Martinique. Senghor était déjà dans les murs. Une rencontre déterminante pour le «bizut» martiniquais qui découvre alors, au contact de son aîné sénégalais, la part refoulée de son identité : la composante africaine. Aimé Césaire lui-même, au sujet de cette rencontre avait affirmé : «Ça a déterminé le cours, pas seulement de ma pensée, mais tout simplement de ma vie. C’était une orientation nouvelle pour moi parce qu’en découvrant l’Afrique, je me découvrais moi-même et à travers l’Afrique, je découvrais la Martinique.»

A l’époque, les deux amis, férus de grec ancien et de latin, s’engagent alors fiévreusement dans le combat pour la décolonisation. Ils participent à la création du journal L’étudiant Noir et inventent, avec l’écrivain guyanais Léon-Gontran Damas, un concept qui va révolutionner, à tout jamais, le monde noir : la Négritude. Un mouvement d’affirmation de l’identité et de la dignité noires qui étaient jusque-là niées et bafouées, et de lutte contre l’oppression culturelle coloniale. Cependant, Senghor et Césaire n’avaient pas la même conception de la Négritude bien qu’ils se rejoignaient sur le fond. Le premier la définissait comme «l’ensemble des valeurs économiques et politiques, intellectuelles et morales, artistiques et sociales, des peuples d’Afrique noire et de leur diaspora». Le second voyait dans la Négritude «la reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture.» Contrairement à son ami, Césaire refusait de se laisser enfermer dans une approche raciale. «C’est deux conditionnements différents, mais en réalité il s’agit bel et bien de la même Négritude. Il est tout à fait évident que la Négritude d’un Antillais à la reconquête de son être ne peut pas être exactement la même que la Négritude d’un Africain qui n’a jamais douté de son être» avouait en juillet dernier encore, Aimé Césaire, lors d’une visite mémorable de quelques écrivains et intellectuels du Sénégal.

Par ailleurs, Léopold Sédar Senghor n’a pas été le seul personnage sénégalais à marquer la vie de Aimé Césaire. A Paris, Césaire côtoie d’autres intellectuels africains. Il y’a l’historien Cheikh Anta Diop qu’il rencontre fréquemment au quartier latin et qui fera scandale avec Nations nègres et cultures, son livre sur l’antériorité négro-africaine de la civilisation égyptienne. L’écrivain martiniquais sera, d’ailleurs, l’un des rares, sinon le seul, à le soutenir et à le plébisciter. Il disait que c’est «le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit» dans son fameux Discours sur le colonialisme. Cheikh Anta Diop était à ses yeux un véritable pionnier. «C’est un homme qui compte incontestablement dans le grand mouvement de réveil de la culture noire et de la culture africaine. Son livre est essentiel. Cheikh Anta Diop a contribué à donner à l’Afrique son passé, et en redonnant à l’Afrique son passé, il a redonné peut-être son passé à l’humanité», selon l’illustre disparu.

le «bien-aimé» du Sénégal

Son attachement avec le Sénégal se consolide davantage avec l’organisation à Dakar du premier Festival mondial des arts nègres. Le poète martiniquais, vice-président du Fesman, à en croire les confidences de l’écrivain Hamidou Dia, est subjugué par la beauté du pays et par une «reine» chez laquelle une grande fête a été en son honneur en Casamance. «Il y avait là tous les gens distingués de la région et soudain j’ai vu arriver une dame, petite, ronde, qui avait l’air très gentille et très intelligente. J’ai failli me précipiter sur la scène tellement elle ressemblait à ma grand-mère», s’est souvenu, nostalgique il y a de cela quelques mois, Aimé Césaire, lors de la célébration de ces 94 ans.

Césaire était si attaché au Sénégal, qu’en février 1976, dix ans après sa venue au Sénégal, il avait invité son «ami africain», le Président Senghor, à venir en Martinique. Visite historique et casse-tête diplomatique. «Ça a posé un véritable problème parce qu’un Président de la république ne pouvait pas être invité directement par la municipalité de Fort-de-France», se rappelle Pierre Aliker, l’adjoint à l’époque de Césaire. «Il a fallu passer par le gouvernement pour obtenir son accord et obtenir qu’il invitât Senghor à la Martinique» révèle-t-il. Le gouvernement français, hostile à ce rapprochement, traîna les pieds mais finit, face à la détermination de Senghor, par céder. L’amitié entre Senghor et Césaire n’empêchait pas les disputes parfois rudes entre les deux hommes. «Césaire était très sévère avec son ami, mais Senghor lui a toujours donné l’absolution», explique sur le site d’Afrik.com, Denise Wiltord, la sœur du poète martiniquais, qui a assisté à leurs querelles.

En 1962, leurs relations connaissent un coup de froid pour des raisons politiques. Césaire, sourcilleux sur la question des droits de l’Homme, avait signé une pétition pour exiger la libération du président du Conseil Mamadou Dia. Ce dernier en fut chagriné, mais ne lui tint pas rigueur. Leur amitié transcendait leurs divergences. Une amitié récemment magnifiée en le choisissant comme parrain de la troisième édition du Festival mondial des Arts nègres (Fesman III). Ce fut le prestigieux Parc floral et culturel de Fort-de-France en Martinique qui a, d’ailleurs, abrité la cérémonie officielle du lancement de ce troisième Fesman. Alioune Badara Bèye, informe que «ce fut en présence de Aimé Césaire lui-même, qui reçu le diplôme et le trophée du Fesman III, faisant de lui le Parrain de la prochaine édition par le Sénégal. Ce trophée, qui est une belle œuvre d’art symbolisant le logo du Fesman et réalisée par Kalidou Kassé». Le député de Fort-De-France, Serge Letchimy s’était, à l’occasion, réjoui de la marque de sympathie et de considération que le Sénégal porte à l’égard de Césaire. Puisque le lancement du Fesman III dans les Caraïbes s’inscrivait dans le cadre des manifestations culturelles dénommées : «Le Sénégal à la Rencontre de Césaire.»

La vie et l’œuvre de l’illustre disparu

Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 au sein d’une famille nombreuse de Basse Pointe, commune du Nord-Est de la Martinique, bordée par l’océan Atlantique dont la «lèche hystérique» viendra plus tard rythmer ses poèmes. Son père est un petit fonctionnaire, sa mère est couturière. Mais, Aimé Césaire, élève brillant du Lycée Schœlcher de Fort-de-France, poursuivit ses études secondaires en tant que boursier du gouvernement français au Lycée Louis Le Grand. En septembre 1934, Césaire fonde, avec d’autres étudiants Antillo-guyanais et africains (Léon Gontran Damas, les sénégalais Léopold Sédar Senghor et Birago Diop), le journal L’Étudiant noir pour davantage promouvoir le combat de la défense de la race Nègre. Admis à l’Ecole Normale Supérieure en 1935, Césaire commence en 1936 la rédaction de son chef d’œuvre Le Cahier d’un Retour au Pays Natal. Marié en 1937 à une étudiante martiniquaise, Suzanne Roussi, Aimé Césaire, agrégé de Lettres, rentre en Martinique en 1939, pour enseigner, comme son épouse, au Lycée Schœlcher. En réaction contre le statu quo culturel martiniquais, le couple Césaire, épaulé par René Ménil et Aristide Maugée, fonde en 1941 la revue Tropiques, dont le projet est la rappropriation par les Martiniquais de leur patrimoine culturel.

Il continue son œuvre littéraire et publie plusieurs recueils de poésie, toujours marqués au coin du surréalisme (Soleil Cou Coupé en 1948, Corps perdu en 1950, Ferrements en 1960). À partir de 1956, il s’oriente vers le théâtre. Avec Et les Chiens se taisaient, texte fort, réputé impossible à mettre en scène, il explore les drames de la lutte de décolonisation autour du personnage du Rebelle, esclave qui tue son maître puis tombe victime de la trahison. La Tragédie du Roi Christophe (1963), qui connaît un grand succès dans les capitales européennes, est l’occasion pour lui de revenir à l’expérience haïtienne, en mettant en scène les contradictions et les impasses auxquels sont confrontés les pays décolonisés et leurs dirigeants. Une saison au Congo (1966) met en scène la tragédie de Patrice Lumumba, père de l’indépendance du Congo Belge. Une tempête (1969), inspirée de Shakespeare, explore les catégories de l’identité raciale et les schémas de l’aliénation coloniale. Pensant à l’origine pour situer l’action de cette adaptation de Shakespeare aux États-Unis, il choisit finalement les Antilles, gardant tout de même le projet de refléter l’expérience noire aux Amériques.

Au total Césaire à publié plus de quatorze œuvres, recueils des poésies, pièces de théâtre et essais. De nombreux colloques et conférences internationales ont été organisés sur son œuvre littéraire qui est universellement connue. Son œuvre a été traduite dans de nombreuses langues: comme l’Anglais, l’Espagnol et l’Allemand. Bref, Aimé Césaire était tout simplement un Seigneur et un homme hors du commun.

Gilles Arsène TCHEDJI

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