mercredi 30 avril 2008

Césaire : l'envol du Phénix



Oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne
Comme la légende lui attribuait le pouvoir de renaître de ses propres cendres,
Il devint le symbole de l'immortalité (1)

"La mort de Césaire ? La fin d'une époque". Voilà le mot qui clôt un hommage à Césaire, trouvé par un nègre (2) à la grande messe du 20 h de la grande chaîne publique française. La Négritude venait d'être évacuée comme une variante des enfantillages Banania. Une vénérable mais vaine théorie fondée sur un "coloriage" vient de s'épuiser dans un ultime soupir. Pas de quoi bousculer les parts de marché esclaves de l'audimat ! Avec Senghor ce n'était que l'agonie de cette vielle négritude. Maintenant on va lui faire la peau. Fin de la vacuité nègre.

Wole Soyinka, premier Nègre africain à recevoir le Nobel de littérature avait déjà défriché le champ de la contestation avec sa formule : "le tigre ne proclame pas sa tigritude, il attrape sa proie et la tue".Je ne devrais sans doute pas associer le nom du grand Soyinka à l'auteur de ce jugement à l'emporte-pièce, habitué des plateaux où certains excellent à hisser l'audimat, en s'égosillant comme les enfants à la crèche "en haut en bas !", titillés par des "puéricultrices" de peep-show affublées de porte-jarretelles et maniant fouet et martinet en usage dans ces émissions dont tout le monde parle, afin de contredire l'adage qui dit qu'on ne peut pas plaire à tout le monde.

Depuis, Soyinka a nuancé sa prise de distance. Moi-même je suis d'une génération qui a malmené une certaine négritude politique que nous trouvions molle dans ses rapports avec ce qui deviendra la "françafrique". Mais jamais il n'a été question pour nous de vilipender la Négritude venue des profondeurs de la grande diaspora des W.E.B.Dubois, Marcus Garvey, Georges Padmore, Langston Huges, les inspirateurs du "New negro movement", tels Claude McKay, Countee Cullen, Sterling Brown, sans oublier Richard Wright, etc., négritude reprise, relayée et réinventée par le groupe de Césaire, Senghor, Léon Damas.

Bref, la Négritude, l'autre versant du Panafricanisme, souffre d'une tare ontologique, depuis la malédiction biblique des enfants de Cham, ancêtre des Nègres. En se faisant l'écho du génocide esclavagiste, en dénonçant les infâmes travaux forcés du colonialisme, la Négritude est née dans les oublis, les dénis et les plis moisis des thèses et antithèses accumulées sur la négation de l'âme, des cultures nègres.

Cheick Anta Diop qui a exhumé des grimoires sorbonnards l'antériorité, l'origine nègre des civilisations égyptiennes, a subi l'ostracisme de ses "pères" blancs des décennies durant, jusqu'à ce que l'histoire renonce devant les faits, à peindre Ramsès sous les traits hollywoodiens de Yul Brynner.

Césaire et ses complices Senghor, Léon Damas, ont attrapé au vol et ont ennobli l'injure tirée de "nigger", vocable américain traduit du "negro", de la langue de Diogo Cao qui avait vaincu sur les rives du Congo, la négraille qui n'avait pas eu le génie d'inventer le mousquet. Le terme allait connaître sa première fortune avec la première revue noire. Je ne parle pas de celle de Joséphine Baker avec qui la future célèbre formule aurait pu commencer par I'm black BUT I'm beautiful, mais dont la beauté a été hélas réduite à des appâts pour Blancs qui aiment le manioc. "Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé !"

"La négritude n'est pas une métaphysique. La négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers. C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire" (Césaire, Discours sur la négritude).

La négritude est un être, au sens génétique du mot. Elle reprend sans cesse sens, avec les circonstances de temps et de lieu.

"La fin d'une époque", a donc tranché Kelman ! Comme si l'on pouvait couper la gorge à l'histoire qui se fait, confondue avec un état. D'ailleurs plus d'un demi-siècle plus tôt, Césaire avait anticipé le malentendu qui viendrait sûrement un jour, d'une brebis galeuse à "peau noire et masques blancs" (F. Fanon), victime du divertissement (Pascal) : "Je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat !". Même venu de "ceux qui se sont assoupis aux agenouillements ceux qu'on domestiqua et christianisa ceux qu'on inocula d'abâtardissement tam-tams de mains vides tam-tams inanes de plaies sonores tam-tams burlesques de trahison tabide …"

Etranges siècles (le dernier et celui qui s'annonce), où des nains emboîtent le pas à des géants avec l'outrecuidance de leur faire de l'ombre ! Je sais, G. Kelman de manque pas de talent oratoire. Mais la grandeur de la griotique (Niangoran Porquet) tient à ce qu'elle ne confond pas le champ noble de la Parole traditionnelle avec le tam-tam des nouveaux médias.

Parce que dans Négritude il y a noir, on aurait affaire à une logomachie sur la "colorité" ! Alors que Césaire avait bien avant, hurlé le contraire :

"La carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang répandu, j'accepte et la détermination de ma biologie, non prisonnière d'un angle facial, d'une forme de cheveux, d'un nez suffisamment aplati, d'un teint suffisamment mélanien, et la négritude, non plus un indice céphalique ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance."

Césaire avait encore deviné ce qu'il dira quand, plus d'un demi-siècle plus tard, au lieu du balai de l'éternel éboueur, on lui tendra le micro à ce mouton blanc de la fratrie noire,

"le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond, plus répandu au dehors, plus séparé de soi-même, plus rusé avec soi-même, moins immédiat avec soi-même..."

Quand André Breton le pape du surréalisme découvre dans le bric-à-brac d'une mercerie de Fort de France "Cahier d'un retour au pays natal", il crut d'abord au réveil de la montagne Pelée à côté. C'était au début de la seconde guerre mondiale, quand il fuyait la prolifération du monstre en sa mue vichyste en France métropolitaine. La suite on la connaît.

Césaire deviendra un des plus grands poètes de ces deux siècles. Il sera aussi un de ses plus grands dramaturges, avec "La tragédie du roi Christophe", "Une saison au Congo", "Une Tempête", etc. Ce qui m'amène à dire en paraphrasant l'autre chantre de la Négritude, Myryam Makéba, que tout comme "c'est Napoléon qui est le Chaka de l'Occident impérial", Shakespeare a été le Césaire du théâtre universel.

Césaire est encore plus grand !

Sans la négritude de Césaire, le monde n'aurait pas eu "I'm black and I'm proud, say it loud (James Brown), "Get up stand up (Bob Marley), "Black is beautiful, "Self defense, black nation.

Vous avez dit Black Panther, Malcom X, mais aussi Martin Luther King. Leroy Jones, James Baldwin et leurs incandescentes écritures, mais aussi The last poets, le Rap, le Hip-hop n'eussent pas existé sans la semence et les racines du grand fromager de la Négritude.

Qu'importe qu'un jeune homme pressé, un Camerounais, grisé par un certain "blacksuccess" n'aime pas le manioc ! N'est-ce pas dans l'ordre des choses du formatage culinaire de la mondialisation où l'on entend des auteurs (dont certains sont d'authentiques écrivains), d'origine africaine préférer se dire "a-fricains" ou mieux, heureux d'être "euro-africains", plutôt que d'être des auteurs africains. Il reste que le Cameroun et l'Afrique ne se feront jamais sans Félix Moumié, Ernest Ouandié, Ossendé Afana (3) qui eux mangeaient leur "ndollé", en lisant "Discours sur le colonialisme" et "Cahier d'un retour au pays natal".

Ce n'est pas d'avoir essayé de libérer le Cameroun avec les armes qu'on les a tués très vite. C'est qu'un certain Occident ne voulait pas d'une engeance politique qui se mêlait de mettre la culture au fondement de l'action politique et y enraciner les Etats et les nations futurs pour lesquels ils combattaient. Ils avaient compris comme Césaire le répétera plus tard, que le "culturel (est) un préalable indispensable à tout réveil politique et social."

Alors on s'est hâté de lui couper la tête à ce continent, pour laisser pousser à la place, des clones (ou clowns), aujourd'hui pères grabataires de nations d'une Afrique décidément mal partie (René Dumont).

Ensuite on a beau jeu de pérorer sur les responsabilités africaines de l'esclavage, du colonialisme, pour réfuter toute repentance, toute culpabilité de l'Autre esclavagiste et colonisateur.

Les enfants de Césaire ne sont pas ces Nègres "qui ne se consolent point de n'être pas faits à la ressemblance de Dieu mais du diable, ceux qui considèrent que l'on est nègre comme commis de seconde classe : en attendant mieux et avec possibilité de monter plus haut ; ceux qui battent la chamade devant soi-même, ceux qui vivent dans un cul de basse-fosse de soi-même.".

Rompus "… à faire des courbettes.",

En miaulant : "je sais comme vous présenter mes hommages, en somme, je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c'est le soleil qui m'a brûlé".

Et surtout, vous savez, je vous le répète, "je suis noir mais je n'aime pas le manioc" !

Les héritiers de Césaire et du flambeau de la vraie négritude sont ceux qui, face à "Un monde blanc horriblement las de son effort immense", sauront être magnanimes : "Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !"

Non sans avoir fait au préalable la prière revivificatrice des morts :

"Eia pour la joie
Eia pour l'amour
Donnez-moi la foi sauvage du sorcier
Donnez à mes mains puissance de modeler
Donnez à mon âme la trempe de l'épée
Je ne me déroberai point. Faites de ma tête une tête de proue
Et de moi-même, mon cœur, ne faites ni un père, ni un frère,
Ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils, ni un mari, mais l'amant de cet unique peuple.
Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race
vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n'est point par haine des autres races
que je m'exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c'est pour la fin universelle…"

Breton parlant de Césaire, a dit l'Homme fondamental.

Le maître de cérémonie du surréalisme savait à quoi il faisait allusion.

L'écriture de Césaire en sa lecture souterraine, sacrée, est comme l'écriture automatique des surréalistes, une voie initiatique, voie royale en vue de plonger dans le feu central de la création, là où l'homme entre en contact avec ce que d'autres nomment le centre spirituel, d'où il s'élève suivant l'axe du monde au-delà de l'être, pour rejoindre l'Homme universel (Al Insan al Kamil) des soufis, l'Homme transcendantal de l'ésotérisme occidental, l'Homme véritable des taoïstes (Extrême orient), l'Homme ancien des grands initiés de l'Afrique profonde, bref l'homme libéré du "samsara" (réincarnation) des hindouistes ou du bouddhisme.

Vu comme cela, le pays natal n'est pas seulement cette petite île, cette vaste Afrique ou même ce non-lieu infini de la Négritude. Ce pays natal, sujet-objet de la nostalgie de tous les grands poètes, n'est autre que l'Ile des Saints, la Mer de la Grande Tranquillité (Bouddha), le Pays du lointain et proche Khaïdara (Welo et Yoyo des Peuls), le Pays de la Grande Eau des Dogons, etc.

La grande Tradition n'a pas de patrie.

Nietzsche, ton frère en poésie a tout fait pour se libérer du cycle infernal de l'éternel retour. Mais dans ce bateau ivre pris dans la tempête des mots,

Nietzsche qui était aussi en quête du Surhomme, a rejoint le pays natal par le portail de la folie, comme Nerval et tant d'autres. Peut-être n'avaient-ils pas médité le fameux vers de l'autre génial et grand naufragé des mots, Hölderlin :

"Dieu c'est comme la mer, il se dévoile en se retirant."

Césaire, ton retour au pays natal a déjà échappé à l'éternel retour des bonimenteurs !

Bon vent, immortel Phénix pour le vrai Panthéon où a lieu la Communion des Saints.

Saïdou Nour Bokoum

Ecrivain, Saïdou Nour Bokoum est enseignant à l'université de Paris8-Saint-Denis, département de théâtre

(1) Voir aussi la dernière tirade La tragédie du roi Christophe
(2) Gaston Kelman, auteur camerounais de "Je suis noir et je n'aime pas le manioc"
(3) Tous camerounais, morts dans les maquis de la Négritude ou empoisonné
par l'Autre, ennemi de la liberté.

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