Ce dimanche 20 avril, des obsèques nationales célèbrent en Martinique la disparition d’Aimé Césaire, en présence de Nicolas Sarkozy et de nombreuses personnalités, telles le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, plusieurs ministres (Michèle Alliot-Marie, Christine Albanel, Rama Yade) et des figures de gauche (Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Ségolène Royal). Pour « Bakchich », le commandant de police et écrivain Philippe Pichon, prend la plume pour un dernier hommage au poète.
La Nation, c’est la terre elle-même mêlée à la cendre nourrie de nos pères, c’est un enracinement dans une culture, dans une conception commune de l’honneur, c’est la continuité d’un peuple dans un mouvement, un élan, un idéal, moteurs de son avenir. La Nation est une communauté de patrimoines, de territoires, de valeurs charnelles et spirituelles, une communion des vivants aux morts, la solidarité entre compatriotes, l’unité en laquelle se fondent les traditions d’un peuple pour faire de son destin une mission, l’insertion des vies et des vocations personnelles dans une vie et une vocation nationale.
Le « vrai » patriotisme implique la pratique des vertus sociales et privées. Il enrichit les vies, facilite l’épanouissement de l’homme, corrige l’égoïsme facile et l’héroïsme gratuit, par le sens de la communauté et s’élargit naturellement jusqu’à l’amour de l’humanité. Le patriotisme ne consiste pas à agiter des drapeaux dans la rue ou à les accrocher à l’aplomb des balcons, un jour de match de football, ni à détester certains pays étrangers. Nos pensées doivent être intérieures, aller vers la Nation comme des prières, dans le recueillement. C’est avec émotion que les prisonniers saluaient en cachette, au milieu des barbelés, un drapeau qu’ils avaient cousu de leur chair et qui leur appartenait plus que les drapeaux tout faits des temps faciles. Sur les murs de leurs cachots, au mont Valérien, des résistants ont laissé, avant d’être fusillés, leur testament dans ces mots : « Vive la France » médités dans leurs pensées suprêmes.
Pour aimer son pays, il faut le connaître. Aimé Césaire connaissait les Antilles françaises, c’est-à-dire qu’il aimait la France et la sentait à travers sa propre conscience. La France, par la voix du poète-militant Césaire, est un peuple qui s’est identifié à la conscience de l’humanité. France, chérie de toute âme nègre qui aime ou sert ses semblables. A la mairie de Fort-de-France (1945-2001) comme au Palais Bourbon où il fut député de Martinique (1946-1993) pendant une durée inégalée, le message de « Papa Césaire » permit à la France de se donner mission de ramener l’homme à l’humain.
L’unité de la France, c’est à travers la diversité des provinces et des tempéraments dont les différences frappent l’observateur et le déroutent parfois, que nous devons la sentir, professait encore l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal. Qu’est notre Nation ? Ni maritime, ni terrienne, ni métropole, ni outre-mer, mais les quatre, tournée vers l’Europe mais aussi vers les autres continents.
Dans notre histoire, que de traditions s’affrontent avant de se composer. La France est à la fois militaire et pacifique, chrétienne et anticléricale, aristocratique et populaire, centralisatrice et éprise de liberté. Pour Péguy, aujourd’hui si mal lu par quelques plumes d’altitude élyséenne, « la France a deux vocations dans le monde : elle a deux tâches, deux fidélités, à sa vocation de chrétienté, et à sa vocation de liberté. Dans le chrétien, dans le sacré, elle a la garde de la foi et peut-être plus encore de la charité et certainement de l’espérance… Mais dans le laïque et peut-être dans une autre sorte de sacré, le civique, il est indéniable qu’elle a la garde de cette liberté qui a, avec la grâce, une parenté si profonde et si obstinément mystérieuse. Telle est notre double charge, telle est notre double garde. »
Si nos tendances sont multiples comme les dispositions d’une femme, gardons-nous d’en renier aucune. Napoléon Bonaparte, le vrai, se déclarait « solidaire de tout, de Clovis au Comité de Salut Public ». Ne renions aucune des époques qu’ont marquées différents régimes : Royaume, Dictature, Empire, Restauration, République : c’est toujours de la France qu’il s’agit et c’est une indélicatesse et une malveillance que de vouloir faire commencer ou finir son Histoire à 1789, et, pour Aimé Césaire, clore son oeuvre par son entrée au Panthéon de quelques grands hommes.
Alors que la France organise ce dimanche 20 avril des obsèques nationales à Fort-de-France en son hommage, ce n’est pas la langue française qui est claire, c’est le style français qui exige la clarté de l’expression, c’est-à-dire l’universel et l’harmonie de la pensée. En sorte que le poète eut constamment le besoin et le pouvoir d’influencer le monde. La puissance, la monarchie de la langue française est visible dans chacun de ses textes. Peut-être qu’on ne saura bien une chose en France, la fraternité, que lorsque l’on aura entièrement assimilé l’héritage d’Aimé Césaire, pour qui « il [nous] reste toujours des terres arbitraires ».
Et pourtant, que les Français aiment la justice ! Ils s’associent toujours à l’indignation de qui leur paraît victime de l’injustice. L’Espérance est au coeur de chaque Noir. Ils ont adopté « Papa Césaire » et l’Espérance les a adoptés. Comment donner une meilleure synthèse du poète-militant ? Pour lui, les vertus les plus françaises sont : libre choix, libre critique, liberté. Ce qu’on a chez lui admiré de tout temps : le goût de l’essai collectif, l’étude de la condition humaine, le libre échange de la volonté. Césaire voit dans la justice, la tolérance, l’élégance, la loyauté, les principes de l’idéal français. L’amour du travail, le réalisme, l’absence de tout racisme, le non-conformisme sont notés chez lui dès 1946, où il est inscrit sous l’étiquette du Parti communiste à l’Assemblée nationale (jusqu’en 1956), avant d’être apparenté au groupe du Parti du regroupement africain et des Fédéralistes qu’il fonde (jusqu’en 1958) puis d’être réélu au Palais Bourbon, où il siégera (jusqu’en 1993) en tant qu’apparenté au Parti socialiste. Homme de gauche extrême extrêmement libre, il rêve la France comme une « nation de dialogue ».
Aimé Césaire avait une curiosité passionnée de la vérité, une grande confiance dans l’intelligence de l’homme pour atteindre le bonheur et la liberté ; il avait le sens de l’universel et des valeurs transcendantes. Ce qui caractérise la littérature de Césaire, ce qui la met à part et hors de pair, c’est que seule, elle a le culte de l’intelligence pour elle-même. Pour Césaire, l’Homme seul subit la griserie de l’intelligence pour l’unique joie de comprendre, de démontrer, de combattre et de convaincre.
Une connaissance poétique si fine des êtres et des choses est rare. L’écrivain antillais ne se sentait pas redoutable mais nécessaire et fraternel. Sa place ne peut rester vide et nul ne peut l’occuper. Il a pu faire beaucoup mieux que donner aux hommes de quoi vivre : il a pu leur rendre des raisons de vivre. C’est à l’ombre d’un palmier de Basse-Pointe, où il est né en 1913, sur la côte Nord de la Martinique, que l’écrivain continuera d’éclabousser l’humain de toutes ses richesses mobilisées. Nulle part ailleurs. A chacun de nous de rendre la France d’Aimé Césaire une nation digne des traditions qui la lui ont fait aimer et de l’espérance éternelle que tant d’hommes au monde mettent toujours en elle.
Philippe Pichon
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