HOMMAGE à AIMÉ CÉSAIRE
Non, les Géants ne meurent pas.
Comme à l’île de Pâques, ils laissent leur imposante stature à la face de l’univers et au questionne-ment des vivants.
De la solitude de l’exil, l’annonce triste a déstabilisé un peu plus l’existence fragile de mon être. Ce ne sont que des maux et encore des mots de souffrance indicible. Maux spasmés, mots convulsés, mots déchirés, mots soufflés des abîmes de la douleur.
Le Temps a fait son ½uvre. Il t’a drapé de son manteau qui te rend invisible aux tiens. Il a mis fin à une vie de 94 années de combat ; déjà Césaire, 1833 et l’affaire de la Grand’ Anse puis 1870, dans le Sud, la conscience politique. 1913, naissance à Basse-Pointe ; 1934, 1939 la négritude et le Cahier du retour au pays natal ; 1946, l’édilité ; 1950, la résultante : le Discours sur le colonialisme ; 1970 à Morne Rouge…
Le Temps a osé t’éloigner de nous mais nous prendrons notre revanche. Ton ½uvre est vivante.
Dimanche,
nous conterons encore ta vie, nous dirons tes mots, nous exprimerons tes phrases,
je serai là, immergé, esprit à la rencontre de l’essence qui désormais flotte dans le bel azur de pureté qui baigne notre île.
Dimanche,
sur ta dernière demeure, nous jetterons une poignée de notre Terre, la Martinique pour notre fusionnelle affection.
Dimanche,
nous y jetterons des fleurs de balisier, le calice des furtifs colibris et aussi fleur de l’espérance que tu nous a inculqué dès ton engagement pour les « sans-voix », pour le respect de la dignité de l’Afrique humiliée, de ses enfants tombés sous les coups de la férocité, mais qui, debout, « dans la cale » ont bravé l’injustice du Nord.
Ah ! Toussaint, quel homme, quelle nation, quelle analyse politique.
Lorsque parut Le Progressiste, seule la réservation sauvait le lecteur. Je n’étais qu’un enfant et n’avais pas atteint ma dixième année. Feu mon père me remis « 20 centimes coq » et m’envoya chercher un exemplaire. C’était l’évènement de l’année, il y avait foule et discussion. Dans l’entête, la devise disait : « La chance de la Martinique, c’est le travail des Martiniquais ». Je fus conquis par la profondeur de cette vision qui plaçait notre Nous, face à ce monde de « capitaines d’industries ». Je me revois en train de lire en marchant, j’entends feu mon oncle Casimir de Fort-de-France, avec une voix de stentor, en vanter la portée salutaire et terminer par un « Ah ! Césai di ou sa… ». Il n’était point le seul.
Enfin, la question de la prise en main de notre destin était posée avec réalisme. Nous ne pouvions être « la chose des autres ». Le Cahier d’un retour au pays natal avait déjà subjugué les consciences. Le Rebelle avait parlé, « plantureusement », impossible d’éviter les débats foisonnants. La Pelée surprit les habitants, un matin du 8 mai 1902, et bloqua les aiguilles de l’horloge à 7h52. Phénix, tu as réveillé en l’être humain : la conscience de soi, la dignité de soi, le respect de l’Autre, la dimension de l’Être.
Ta place est toujours parmi nous, dans notre île généreuse et fertile, la belle Juanacaera des Caraïbes, notre Martinique chérie, notre perle frangée par l’écume blanche des flots qui jaillissent et se meurent sur ses côtes ciselées, île joyau et désormais écrin précieux de ton corps, le plus beau des Panthéons. L’abbé Grégoire, Hugo, Lamartine, Schoelcher même, j’en suis sûr, le voudrait ainsi. Alors, que l’humus fertilise notre sol pour la postérité.
Tu restes toujours Aimé, à jamais gravé dans nos c½urs et notre mémoire.
Non, les Géants ne meurent jamais.
Aux proches, à la famille, je vous assure de ma profonde sympathie et vous présente mes Sincères condoléances
Lucien JOLET
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