jeudi 17 avril 2008

Aimé Césaire, patriarche de la négritude

Père du célèbre concept de négritude - la conscience d'être noir -, le Martiniquais Aimé Césaire, décédé jeudi à 94 ans, a consacré sa longue vie à la poésie et à la politique.

Solidaire du monde noir et de sa révolte contre le colonisateur, il se disait "fondamentalement poète, mais poète engagé" et "nègre, nègre, depuis le fond du ciel immémorial".

Fêté à l'université, célébré à la Comédie-Française, écrasante figure de la société martiniquaise, Aimé Césaire a écrit une oeuvre véhémente et revendicative, parfois proche du surréalisme.

Maire de Fort-de-France de 1945 (il n'avait que 32 ans) à 2001, député de 1945 à 1993, président du Conseil régional de Martinique, il avait quitté la présidence du Parti progressiste martiniquais (PPM) en 2005.

Le contraste était frappant entre la flamboyance de son écriture et le style de l'homme-Césaire, sanglé dans un strict complet et portant de grosses lunettes d'écailles.

Ses détracteurs l'appelaient "nègre costume-cravate-latin-grec" et ironisaient sur ses manières très "vieille France". Mais tout le monde le respectait et voyait bien qu'il portait sa terre natale à la semelle de ses souliers.

Né à Basse-Pointe le 25 juin 1913, ce fils surdoué d'un inspecteur des impôts est encouragé aux études par les professeurs du lycée Schoelcher de Fort-de-France.

A Louis-le-Grand, à Paris, il rencontre Léopold Sedar Senghor, le futur président sénégalais. Il rejoint Normale sup et lance, en 1932, la revue "L'Etudiant noir" où, pour la première fois, des écrivains noirs réfutent les modèles littéraires traditionnels.

En 1939, il fait une entrée fracassante en poésie avec "Cahier d'un retour au pays natal", employant, encore une première, le terme de "négritude". C'est, dit-il, "la conscience d'être noir, simple reconnaissance d'un fait qui implique acceptation, prise en charge de son destin de noir, de son histoire et de sa culture". Senghor a assuré que c'est Césaire qui a inventé ce mot mais ce dernier préférait parler de "création collective".

"Il manie la langue française comme il n'est pas aujourd'hui un blanc pour la manier", disait André Breton en 1941.

En 1946, il est rapporteur de la loi sur "la départementalisation" de la Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion. En 1957, il fonde le PPM, un an après sa démission du PCF, rallié après la guerre.

Lauréat du Grand prix national de la poésie (1982) et du prix des poètes de la SACEM (1995), Césaire a écrit des pièces comme "La Tragédie du roi Christophe" (1963, sur la décolonisation) ou "Une saison au Congo" (1966, sur Patrice Lumumba).

En poésie, il a signé "Les Armes miraculeuses", "Cadastre", "Soleil cou coupé", "Corps perdu" ou "Moi laminaire".

Césaire a aussi été polémiste avec son "Discours sur le colonialisme", texte virulent contre l'Occident, juché sur "le plus haut tas de cadavres de l'humanité" ou "Lettre à Maurice Thorez".

Nombre d'intellectuels africains ou caribéens ont grandi "dans le culte de Senghor et de Césaire", selon le mot du secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf. Pourtant, dans les Antilles, les "fils" turbulents de "Papa Aimé", comme les écrivains Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant ou Raphaël Confiant, ont entrepris depuis une douzaine d'années de déboulonner la statue Césaire.

Pour eux, ce n'est plus la "négritude" ou l'Afrique "fantasmée" par Césaire qui est pertinente pour sonder l'identité antillaise mais la "créolité", qui est un métissage des hommes et des cultures.

"Je leur apporte un monde: l'Afrique. Ils m'apportent un monde: la Caraïbe. Vous trouvez que ce sont les mêmes proportions? La créolité, fort bien, mais ce n'est qu'un département de la négritude", estimait le maire-poète.

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