mardi 22 avril 2008

Aimé Césaire : "Mon destin est ici : je ne le fuirai pas."


Je lis, sur un blog ami, que la "panthéonisation" d’Aimé Césaire serait une ineptie. Souscrivant a priori à cette allégation je poursuis la lecture, mais ce n’est pas sans consternation que je découvre les raisons avouées du jugement.

L’auteur du blog conteste l’éventualité d’un transfert de Césaire au Panthéon au motif que les écrivains jusqu’ici hébergés sur la Montagne Sainte-Geneviève sont "des écrivains qui sortent de l’ordinaire et des hommes qui ont su porter ou incarner les valeurs françaises et républicaines, ils ont tous créé des mythes et des symboles, chaque Français peut se reconnaître en eux ou dans leurs personnages et ce sont des ambassadeurs de la langue française partout dans le monde."

Le blogueur en question ajoute que " si Aimé Césaire écrit un français parfait, il fait une place au créole martiniquais, valorise les écrivains du "terroir martiniquais" et il défend le concept de négritude, ce qui est une excellente chose, mais... n’incarne pas l’histoire de la France."

Ces arguments, à la limite du spécieux, témoignent d’une lecture probablement hâtive des textes de Césaire ou de quelque archive sommaire.

On regrettera plus que tout que lecture approximative du "Discours sur le Colonialisme" aboutisse à un mauvais procès intenté au poète antillais qui, sur ce blog, est tout simplement accusé d’avoir affirmé "que les Européens étaient tous peu ou prou pro Hitler en leur coeur car il assimile nazisme et colonialisme". N’oublions pas que Césaire a précisément refusé de faire sienne la réaction de ceux des Antillais qui considéraient que la lutte contre le nazisme n’était pas la leur. La démonstration magistrale qu’il a donnée de la nécessité de combattre la bête immonde s’appuyait sur la simple donnée d’une négritude assimilée au reste du monde, à l’universelle fraternité.

De même, la conception qu’il se faisait du créole n’était pas forcément celle d’un langage "séparé" mais d’une langue tissée au fil de la souffrance, de la lutte comme de la rencontre avec le colonisateur, d’une langue dont il a su enrichir voire renouveler l’expression littéraire francophone. Et ce n’est donc pas uniquement d’un véhicule identitaire qu’il s’agit, même si là aussi apparaît la certitude que l’universel ne se conçoit guère sans la diversité de ses composantes (sauf, bien sûr, à confondre universel et standard !).

Prétendre que Césaire n’a su créer aucun "mythe", aucun "symbole" et qu’aucun français ne pourrait se reconnaître dans tel ou tel personnage de l’œuvre de Césaire revient à dénier à des milliers d’antillais et de leurs descendants le privilège de la référence à la culture composite dont ils sont porteurs.

Quant au concept de négritude ("pas spécialement français", écrit le blogueur...), demandons-nous pourquoi Jean-Paul Sartre s’y est immédiatement intéressé, pourquoi c’est précisément en "français" que s’est développé ce concept, comment il s’est répandu, contrairement à ce que laisse entendre l’auteur du blog, sur tous les continents et a germé dans les esprits les plus acérés non seulement des "nègres" de tous pays mais chez les éveilleurs de conscience partout où il aura fallu mettre "debout" la révolte.

Le nom de Césaire a traversé les continents, son œuvre a imprégné des littératures insoupçonnées comme celles du Nord, par exemple, dont on serait surpris de lire certains auteurs lyriques. Qui peut encore penser que le Comité Nobel ait si souvent examiné la candidature de Senghor sans que fût abordée l’œuvre de Césaire ? Je passe naturellement sur l’écriture africaine, sur l’expression d’Amérique Centrale, du Sud...

Césaire est bel et bien de ceux dont la notoriété pourrait théoriquement justifier un transfert au Panthéon. Pour autant cette seule éventualité relève bien de l’absurde tant elle entre en contradiction complète avec tout ce qu’a dit, transmis, tout ce qu’a voulu vivre l’auteur du "Cahier". Il n’est que d’avoir écouté le bel hommage que lui ont rendu hier Daniel Maximin et les acteurs antillais pour se persuader que nulle autre terre ne saurait accueillir Aimé Césaire que cette Martinique à laquelle, à son tour "laminaire", il aura donné couleur plus vive encore, force nouvelle, vigueur plus nette.

Certes, la métropole voit s’accroître les "minorités visibles" et l’on pourrait être tenté de les séduire ou de croire les séduire en leur concédant, en quelque sorte, une représentation au Panthéon. Une concession, si j’ose dire, un peu d’exotisme parmi les grands défunts. Ce serait là geste pitoyable et qui, à juste titre, pourrait être perçu au mieux comme un contresens historique, au pire comme une insulte.

Certes y aurait-il quelque intérêt à ce que la France intègre au tissu racinaire dont elle veut témoigner une figure emblématique comme celle d’Aimé Césaire, arborant de la sorte une conscience non exclusive de l’Histoire.

Certes se dédouanerait-on, dans une certaine mesure, des erreurs passées, des errements les plus récents...("mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot ?")

"Cahier d’un retour au pays natal"... Quel curieux retour pourrait bien constituer un transfert à Paris, retour à ce passé où Césaire entendait se taire les chiens, sentait "le prix de nos vieilles sociétés" qu’on lui faisait payer ?

Aimé Césaire, dans "Une tempête", fait dire à Prospero : "Mes amis, approchez : Je vous fais mes adieux. Je ne pars plus. Mon destin est ici : je ne le fuirai pas."

Quelle impudence nous ferait dévier le grand nègre de sa trajectoire et le ferait ainsi manquer son destin

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