mardi 22 avril 2008

Césaire, "roi nègre" - Burkina


Au bout du petit matin du 17 avril 2008, le vieillard chenu et immense du monde noir, Aimé Césaire, s’est éteint. Aimé Césaire, poète, romancier, dramaturge, homme de lettres, politique avisé et éclaireur de consciences infatigable, ne fera plus gronder et chanter les mots avec un talent dont lui seul avait le secret et qui a nourri notre jeunesse puis fortifié notre esprit pour affronter les vicissitudes de notre vie de nègre.

La dignité du nègre fut son combat de tous les jours, sa quête inlassable qui l’a conduit à rejoindre la Guinée de Sékou Touré aussitôt après que le Sylli Guinéen eut dit "non" à la compromission avec le colon. Une Afrique debout, fière, voilà ce dont rêvait le grand homme, ce qui l’amenait à écrire à la "mitraillette".

Des mots qui pleurent, lorsqu’il parle de "son Afrique martyrisée", qui crépitent lorsqu’il chante "les Antilles dynamitées de petite vérole", des "Antilles qui ont faim et soif" ou qui grondent lorsqu’évoquant le calvaire vécu par Toussaint Louverture dans les Alpes françaises où il était embastillé, il affirme péremptoire que "la Neige est un geolier blanc". Un symbolique qui mêle à la fois "le tortionnaire blanc" et son milieu austère qui aura raison du premier général noir de l’Histoire, libérateur d’Haïti qui mourra de solitude et de chagrin dans cet univers froid, glacial et rébarbatif.

Au bout du petit matin, Césaire est mort, mais sa sève nourricière continuera à couler dans nos veines et à fouetter notre sang. "Ecoute plus souvent les choses que les êtres", disait Birago Diop, un autre grand écrivain noir. Alors, nous tendrons l’oreille pour entendre dans le buisson en sanglots, la voix frêle, mais puissante de ce nègre qui refusait d’être marron. Une vie de militant de la cause noire qui lui a valu d’être snobé par la Métropole où il était très peu enseigné malgré son talent à la hauteur de celui d’un Victor Hugo. Césaire, auteur confidentiel en France, boudé par l’Académie française, ignoré par le Prix Nobel, a pris sa revanche de son vivant, avec le culte que lui vouait ses frères noirs d’Afrique et de la diaspora. A sa mort, sa "mère-patrie", la France, a fini par s’incliner devant l’évidence en lui offrant des obsèques nationales, privilège que peu d’écrivains ont eu avant lui. "Lorsque le grand arbre s’effondre, les oiseaux se dispersent", dit le proverbe malinké.

La mort de Césaire doit faire mentir cet adage, par une appropriation massive et plus pointue de son œuvre. A l’heure où la prédation économique et politique est à son comble avec cette mondialisation "misérabilisante", cette œuvre est plus que jamais d’actualité. Nous vivons plus que jamais le temps des révolutions, ce qui exige des consciences fortifiées par ceux que l’on appelle les idéologues du peuple. Césaire vivra donc pour que l’Afrique et sa diaspora, jamais ne meurent. Ave César (salut l’empereur). Au bout du petit matin, la flamme que tu as allumée, brillera toujours.

Boubacar SY


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