vendredi 18 avril 2008

es Retrouvailles de la Négritude


Césaire est mort hier, jeudi 17 avril, à 94 ans, au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Fort-de-France, en Martinique, où il était hospitalisé depuis le 9 avril. Il a eu la délicatesse d’aller rejoindre son éternité en ménageant sa famille, ses amis, les hommes et les femmes disséminés (es) à travers la planète, qui l’ont connu, aimé, fréquenté ses textes et adoubé, préparant ainsi les esprits à se faire à l’inéluctable.

Devenu un passage obligé, on l’aura vu ces dernières années quelquefois à la télévision, sacrifier au rituel qui consistait à recevoir la visite de personnalités du monde politique et culturel. Et c’était rafraîchissant de constater qu’en dépit de son âge avancé, il avait conservé toute sa tête et une combativité portée par un visage radieux, illuminé par un regard qui transperçait d’intelligence ses lunettes de vue. Aussi continuait-il d’avoir son mot à dire sur la marche du monde.

« Nègre, nègre, depuis le fond du ciel immémorial », lui qui dans son fameux « Discours sur le Colonialisme », avait mis à nu l’arrogance d’un Occident en train de s’édifier sur « le plus haut tas de cadavres de l’humanité », s’était refusé de rencontrer lors d’un voyage prévu aux Antilles en 2005, un certain Nicolas Sarkozy qui trouvait un rôle positif à cette douloureuse parenthèse, avant de finalement recevoir en mars 2006, celui qui était alors devenu ministre de l’intérieur.

Quoi d’étonnant pour le créateur de la Négritude, ce concept qui a fait irruption dans un espace pollué par le « rire banania » pour y décliner une humanité enfouie en chacun de nous, enculturée dans des valeurs et des traditions que nulle oeuvre colonialiste ne saurait piétiner et envelopper dans les limbes de l’oubli, puisqu’elle renferme ce « noyau infracassable de nuit » qui, selon le surréaliste André Breton, rend possible le refus de l’inacceptable et la quête effrénée de liberté. Césaire aura magnifié tout cela sans violence, sans racisme à rebours, mais avec une fermeté principielle qui avait l’avantage de pouvoir s’ouvrir à l’autre en le conviant à une sorte d’éloge de la différence, de la pluralité et par conséquent du respect de soi, loin de tout antagonisme qui fige dans une identité irréfragable.

En ce sens on ne peut que s’émouvoir de sa maîtrise exceptionnelle du français, une langue qu’il a su s’approprier, dompter, pour faire vibrer sa créolité au rythme de sensations profondes et ultimes, loin de tout ressentiment victimaire, puisqu’il décriait des systèmes mortifères au nom de son amour de l’humain.

Quel indiscible plaisir, lorsque la mémoire se décide à lâcher alors quelques brides de mots doux, violents, rebelles, du Discours sur le Colonialisme, qui ont meublé l’imaginaire de tant et tant de générations étudiantes. Il s’agissait d’une violence rédemptrice, accoucheuse d’une histoire apaisée, celle qui réconcilie avec l’humain tout en faisant prendre conscience des singularités malmenées qui bordent les frontières du monde.

Quel plaisir à reconvoquer la force pénétrante des images nées de la puissance et de la sonorité des mots que charrie le « Cahier d’un retour au pays natal ». Plaisir teinté de frisson qui fait entendre et réimaginer la posture obsédante de la mère nourricière arc-boutée sur son outil de travail qui « pédale, pédale et pédale » sa vieille machine à coudre, à se détruire la santé pour la survie des siens.

Assurément Césaire a su rendre compte dans son oeuvre multidimensionnelle de la détresse des hommes et des femmes, de leurs aspirations. En tirant sa révérence, 6 ans avant le bouclage d’un siècle de vie, cet homme aux convictions d’airain, rapporteur en 1946 de la loi sur la « départementalisation de la Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion », a fini par emprunter le chemin d’un ailleurs qui le mène au Sénégalais Léopold Sédar Senghor, au Guyanais Léon Gontran Dama, illustres condisciples avec lesquels il a forgé le courant de la Négritude. Il s’en est donc allé au Pays des Anges pour d’ultimes retrouvailles, comme une absence qui sera éternellement présentifiée.

L’ayant pressenti, l’aéroport de Fort-de-France, ville dont il fut maire pendant 56ans, de 1945 à 2001, lieu de départs et d’arrivées, de brassage et de convergence, avait pris les devants en portant son nom. Tout un symbole. Que la terre de Martinique qu’il a tant chérie lui soit légère.

modération à priori

Aucun commentaire:

CARNAVAL . D'où vient exactement " le Touloulou " ?

Auteur d'un ouvrage sur le carnaval il y a une dizaine d'années, Aline Belfort a travaillé plus récemment sur l'origine du toulo...