mardi 22 avril 2008

Rivalités politiques aux obsèques d'Aimé Césaire


Ce dimanche 20 avril, ils sont présents à Fort-de-France comme en pèlerinage, malgré les avions pleins, les hôtels bondés. A les écouter, ils vénèrent tous Césaire. Mais à peine affiché cet unanimisme de façade, le vernis craque, les ambitions affleurent.

Les femmes sont arrivées les premières. Ségolène Royal, vendredi soir. Elle se sent ici chez elle. La Martinique lui a donné son meilleur score à la présidentielle (60,5 %). Lors de la cérémonie d'obsèques, elle a été la plus applaudie. Pour elle, Césaire est "un père spirituel, le symbole de la France métissée". "Il m'a beaucoup aidée dans cette campagne, il était le président de mon comité de soutien", souligne-t-elle. Pour l'ex-candidate socialiste, qui se laisse surnommer "la petite Martiniquaise", il ne fait aucun doute que la place du poète est au Panthéon : "C'est une reconnaissance de densité historique. Il y sera aux côtés de Victor Schoelcher."

Christiane Taubira (apparentée Parti radical de gauche) revendique un lien plus intime avec le poète. Son Césaire est moins convenu : "Son oeuvre est une oeuvre de combat, une pensée insurrectionnelle. La France et l'Europe seraient bien inspirées de relire la fin du Discours sur le colonialisme."

Les responsables socialistes sont arrivés samedi soir, Pierre Mauroy en tête, suivi de François Hollande, Lionel Jospin et Laurent Fabius. Ils se sont assis côte à côte pour l'hommage rendu par le Parti progressiste martiniquais (PPM) dans le stade Pierre-Aliker. Mais à peine échangés les premiers sourires et poignées de mains, les rivalités ont pris le dessus. L'entrée au Panthéon en a fait les frais. "Cela part d'un sentiment généreux, commence M. Fabius avec une moue dubitative. Mais Césaire était d'abord attaché à sa terre." François Hollande renchérit sur le même ton : "Ses proches sont-ils d'accord ? Le véritable Panthéon qui convient à Césaire, c'est un Panthéon sans murs, dans notre mémoire."

Le premier secrétaire du Parti socialiste est venu rendre hommage à "un grand élu de la République". M. Fabius préfère vanter "l'homme de gauche". À la sortie de la cathédrale, dimanche matin, le président du Modem, François Bayrou, salue "l'homme de terroir, attaché à sa terre natale".

La gauche martiniquaise se divise autour du cercueil. Claude Lise, président (PS) du conseil général et compagnon de Césaire pendant trente ans, critique la mainmise du PPM sur l'organisation des obsèques. "Les responsables du PPM veulent signifier que Césaire leur appartenait. Or, il était l'homme de l'universel."

Il est vrai que Serge Letchimy, le président du PPM et maire de Fort-de-France, est omniprésent. Il reçoit les politiques, organise les obsèques, prononce l'oraison funèbre. "Nous allons continuer, réaffirmer la reconnaissance de notre identité de Martiniquais", déclare-t-il, se posant ainsi en successeur naturel.

La ministre de la culture, Christine Albanel, s'était prononcée dans un premier temps en faveur de l'entrée au Panthéon. Mais Yves Jégo, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, arrivé sur place dès mercredi, a vite compris que les proches du poète et la population martiniquaise n'y étaient pas favorables. Il a rectifié le tir. "Césaire était attaché à sa terre, explique-t-il. Ce serait une erreur de le priver de son retour au pays natal, pour reprendre le titre de son premier livre. Son fils m'a dit : "Vous imaginez mon père enterré dans le Ve arrondissement ?"."

"Vouloir inhumer Césaire au Panthéon, c'est faire preuve d'une méconnaissance totale de l'âme martiniquaise, poursuit M. Jégo. C'est une forme de captation de l'héritage d'Aimé Césaire par l'Europe qui a des relents de néocolonialisme."

Venu présider l'hommage national, dimanche après-midi, Nicolas Sarkozy a salué "l'homme de liberté", "le défenseur infatigable de la dignité humaine". Mais il n'a pas évoqué le colonialisme, pomme de discorde entre les deux hommes. Césaire avait refusé de recevoir le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy en 2005, après l'adoption de la loi sur "le rôle positif" de la colonisation. Le poète avait finalement reçu le futur chef de l'Etat le 11 mars 2006, improvisant à son intention une leçon d'histoire de 40 minutes sur les réalités de la période coloniale.

Xavier Ternisien

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