vendredi 18 avril 2008

Poète, nous te pleurons…




Un phare s’est éteint !

Jamais homme, en Martinique et en Guadeloupe, ne suscita tant de controverses, de polémiques et de débats comme si son œuvre et son action avaient dérangé la fourmilière coloniale d’une manière irrévérencieuse et quasiment « sauvage ».

Il lui avait suffi d’un petit recueil pour mettre le feu aux poudres : Le Cahier d’un retour au pays natal.

Il lui avait suffi d’un mot pour brandir le drapeau de la résistance et de la dignité : négritude.

Et vinrent les coups de canons que furent le Discours sur le colonialisme, la Lettre à Maurice Thorez, sans oublier l’ouvrage monumental consacré à Toussaint Louverture.

Puis, se voulant pédagogue, il éclaira le ciel du théâtre de fusées salvatrices : La tragédie du Roi Christophe, Une saison au Congo, Une tempête. Autant de questionnements où l’histoire déclinait ses inquiétudes, ses enjeux et ses défis.

L’homme politique que toujours le peuple martiniquais plébiscita depuis 1946, avocat inconsolé de la départementalisation, fondateur du Parti Progressiste Martiniquais, député-maire, Président du Conseil Régional, connut les morsures aux jarrets d’une droite fétichiste, les salves contraires des jeunes indépendantistes et l’incompréhension d’une France sourde à ses revendications et plus soucieuse de le déchouquer que de l’entendre.
Ce qui avait fait sa grandeur aux yeux des générations anciennes devenait un fardeau voire même, pour certains, un péché.

Il aurait été le père suprême de l’assimilation, le responsable de toutes les dérives décriées, le coupable d’une dépendance honteusement couverte d’allocations et de subventions.

Il fit front en plaidant que la départementalisation de 1946 était une demande émanant de la gauche, que le contexte de la guerre et de l’après-guerre imposait ce choix, que cela correspondait aux aspirations profondes du peuple.

Et peut-être, secrètement, il pensait aux débâcles des indépendances africaines et aux convulsions sanguinaires de la dictature « noiriste » de François Duvalier. On peut penser qu’il guettait un vent de révolte collective, une vraie poussée populaire, un balan de l’histoire qui ne vint jamais.

Le radicalisme des écrits se muait, à l’Assemblée nationale en exigence de justice sociale, en « postulation irritée de la fraternité », en tisons d’un humanisme vrai.

Plus qu’un guerrier c’était un avocat !

Et nul ne peut nier que ses plaidoiries furent de grandioses interpellations à une France qui se dévoyait dans la besogne coloniale.

Nul ne peut contester que sa poésie, lave effervescente, tentait d’éradiquer, à la racine même, « l’omni-niant crachat » du colonialisme.

Cette ambiguïté entre la pureté étincelante du dire et les compromis du faire en dérouta plus d’un. Ils trouvèrent que la statue littéraire manquait de ce socle qui fait les hommes d’état. En fait, ce qui manquait c’était la foi en la violence, les certitudes sectaires, cette passion barbare, ce sens enflé du moi qui font les beaux « libérateurs » du peuple.

Peut-être pensait-il que trop souvent le soleil des indépendances vire en volcan imprévisible d’une dépendance encore plus grande : celle de la misère et de la solitude.

Peut-être que tout simplement, accroché à de grands idéaux, croyait-il que la France pouvait accoucher d’une émancipation généreuse et solidaire.

Peut-être !

Toujours est-il que le monde caribéen, afro-américain, africain s’empara de ses mots pour signifier qu’on ne pouvait impunément minorer une partie de l’humanité et qu’il y avait place pour tous au rendez-vous de la fraternité.

Et plus l’homme politique s’usait, plus l’œuvre littéraire et militante agrandissait l’horizon, reformulait l’espérance, irriguait les cadastres minés par l’apartheid, le racisme, l’absence d’une utopie refondatrice. Tout cela au point qu’il devint de son vivant l’incarnation même de cette « blessure sacrée », de cet inconfort existentiel, de cette mémoire souffrante, de cette résistance ontologique où s’écrit le destin contrarié des damnés de la terre.

Et c’est ce qui nous reste !
Non pas des poèmes mais une pensée de nous-mêmes.
Non pas de la poésie mais une pétition. Non pas des mots mais une expression de l’identité.
Non pas une esthétique mais une vision.

Je n’ai jamais cherché Aimé Césaire dans le mirage de la négritude. Je l’ai trouvé de ce côté où l’homme proteste, parfois en vain, contre le calendrier des humiliations et des damnations de la condition humaine. Ces protestations l’ont érigé en conscience d’une « négraille inattendûment debout ».

Et pourtant c’est un poète !
Un poète comme il en surgit un par siècle !

Poète, parce que ses mots ont su plonger dans la cale des bateaux négriers, transformer les cris de souffrance en voix des peuples, concasser la langue jusqu’à en faire un semis de liberté, thésauriser nos rébellions, espérer une « remontée jamais vue ».

Mots d’une histoire singulière, tragique et toujours espérante.
Mots d’une géographie péléenne où viennent boire les mangroves, éclater les coraux, s’enflammer les balisiers.
Mots d’une existence plus tourmentée qu’on ne le croit, trempée dans une foi inébranlable en l’humanité souffrante.
Mots conjugués en flamme de beauté et portant la torche d’une vérité sans pourquoi.

Aimé Césaire, absolument poète, sincèrement poète, mondialement poète.

A cette heure où l’ombre attise tes paupières, nous te pleurons !

Désormais, il nous appartient de regarder l’avenir en face car nous savons que les plus grands bâtisseurs sont ceux qui réveillent l’énergie des cendres à travers les décombres.

Ernest PEPIN

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