mercredi 23 avril 2008

René Depestre pleure Aimé Césaire : "Je suis redevenu orphelin"



René Depestre, l'écrivain franco-haïtien, citoyen d'honneur de Lézignan-Corbières où il réside, a bien connu le poète martiniquais, le "père de la négritude" Aimé Césaire, qui vient de disparaître à Fort-de-France à l'âge de 94 ans. Rencontre.


Route de Roubia, René Depestre se sent malade, pire, orphelin. Depuis trois jours, il est enrhumé. Il pleut, il fait froid. Dans la villa Hadriana, l'écrivain ne quitte plus sa bibliothèque. Il compulse les écrits de son père spirituel, Aimé Césaire. Toutes les 5 minutes, le téléphone sonne. Les médias redécouvrent l'ancien maire de Fort-de-France, décédé jeudi à l'age de 94 ans. Ils veulent des témoignages. Et quel Audois le connaît mieux que René Depestre ? Khâgne en terminale

"J'avais 17 ans. J'étais en terminale. Césaire est venu animer un séminaire en Haïti de mai à septembre 1944. J'ai suivi ses cours avec passion. Il nous a parlé de Victor Hugo, de Baudelaire, du Romantisme, comme jamais personne avant lui. Ça m'a donné l'expérience d'un élève de khâgne !" , se souvient René Depestre.

Et de poursuivre : "Je l'ai revu, à Paris, lorsque j'étais étudiant à la Sorbonne et à Sciences Po. Il tenait une sorte de salon, chez lui, au 10 de la rue de l'Odéon. Les dimanches après-midi, j'y rencontrais beaucoup de gens connus, tels Camus, Picasso, Max-Pol Fouchet... Ils parlaient de culture et de civilisation".

Les dangers de la négritude

Un autre rendez-vous important pour ces deux hommes, devenus de vrais amis : "Nous nous sommes rencontrés en 1967 à Cuba. J'ai raconté ce long entretien dans un de mes livres. Le thème en était : Bonjour et adieu à la négritude. Ensemble, nous en avons vu le danger. Il ne fallait pas tomber dans ce piège historique, transcender cette notion pour ne pas éviter la haine et l'intégrisme" .

Et soudain, René Depestre a oublié son rhume et sa fatigue. Il s'enflamme. Se confie, avec une fierté légitime : "Et savez-vous ce que Césaire m'a dit ? Tu sais, tu auras été le meilleur d'entre nous, car tu as gardé l'innocence de la fraternité. Toi, tu n'as jamais connu la haine".

Puis, songeur, le poète ajoute, comme pour lui-même : "Oui, c'est à travers les vicissitudes de la condition humaine que l'on devient plus homme, plus femme. C'est la seule utopie. Déjà en 1935, en pleine montée de l'hitlérisme, Césaire luttait pour l'humanisation des humanités".

Le sage de la route de Roubia a posé ses valises à Lézignan-Corbières en 1986. Pour autant, il a continué à voyager. Il a souvent revu Aimé Césaire, à Paris surtout, où ils dînaient ensemble, devisant longuement. Césaire confiait à son compatriote et ami la tristesse des Martiniquais, "la folie de certains, qui voulaient l'indépendance". Depuis le début de ce nouveau siècle, il a rendu encore visite plusieurs fois à ce "fils illust re de la Martinique, de la France et de la francophonie." Congrès des écrivains
et des artistes noirs En 2006, René Depestre a représenté Aimé Césaire et présidé le 50 e anniversaire du premier congrès des écrivains et artistes noirs. Il y a prononcé d'ailleurs un important discours, digne du Prix Renaudot qu'il a reçu en 1987 (pour son ouvrage "Hadriana dans tous mes rêves").

Enfin, les dernières retrouvailles ont résonné comme un adieu : "J'avais le sentiment que c'était la dernière fois qu'on se voyait. Il m'a aidé toute ma vie. C'est l'homme que j'ai le plus admiré".

René Depestre se sent le fils spirituel d'Aimé Césaire. Il n'est sans doute pas son seul "héritier" à travers le monde, mais, aux Lézignanais et à tous ses compatriotes de l'Hexagone, il tient à transmettre ce message.
"La France n'a pas encore réalisé la stature, l'importance de Césaire dans la littérature et dans la conscience publique. Il est un relais entre la France, la Caraïbe et l'Afrique. Il est présent dans les programmes des collèges, lycées et universités. Il est citoyen à part entière de la République française. Il a fait le voyage de civilisation à l'envers. Il a apporté beaucoup à notre culture. Si la francophonie a un avenir, c'est grâce à lui. Mort, il entre dans ce Panthéon idéal, qui est l'imaginaire de la France. Il fallait qu'il franchisse une autre étape, qu'il soit connu aussi des Languedociens, des Bretons et autres habitants de toutes les provinces de France. Sa disparition réalise une sorte de synthèse, qui dépasse les clivages droite-gauche." Aujourd'hui, René Depestre est malade, pas tant de son rhume que du départ d'Aimé Césaire.

Noëlle Diamant-Berger

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